SIDA : le scandale des traitements

par Sébastien
lundi 4 juillet 2005

Une note un peu longue aujourd’hui. Je sais, moi non plus, j’aime pas ça ! Mais, le sujet mérite qu’on s’y attarde un peu sérieusement : il s’agit de l’accès aux traitements contre le sida dans les pays pauvres.

1) Des chiffres, d’abord, pour rappeler l’immensité du fléau :

- le sida tue chaque jour 8500 personnes dans le monde ;

- 38 millions de personnes sont infectées. 23 d’entre elles ont une espérance de vie de 8 à 10 ans maximum : le temps qu’il reste à vivre quand on n’a pas la possibilité de se faire soigner.

- l’Afrique est particulièrement touchée : l’espérance de vie au Botswana est passé de 65 ans en 1990 à 40 ans aujourd’hui, de 55 à 35 en Zambie, au Swaziland et au Zimbabwe.

2) Un fléau qui entraîne, en cascade, d’énormes difficultés économiques et sociales :

- dans les foyers touchés, l’incapacité de travailler d’une ou plusieurs personnes entraîne une perte de revenus alors que les dépenses liées à la prise en charge des malades augmentent ;

- pour compenser les pertes de ressources, les familles recourent davantageau travail des enfants qui abandonnent alors l’école ;

- intervient ensuite la vente des biens (terres, bétail, ...).

- dans le secteur industriel, les employeurs voient leurs résultats baisser avec la mort de salariés formés et la montée de l’absentéisme ;

- enfin, les administrations, elles-mêmes touchées, remplissent de moins en moins leurs missions.

3) Ainsi, sida et pauvreté s’entretiennent mutuellement.

4) Il y aurait bien une raison d’espérer : les traitements antirétroviraux (ARV) existent. Ils permettent de vivre « mieux » et plus longtemps avec le virus.

Malheureusement, les pauvres n’ont guère accès à ces médicaments. Pour deux raisons au moins :

a) d’abord, parce que la chute des prix des ARV, avec l’arrivée des génériques brésiliens et indiens en 2000, n’est pas suffisante : même à 150 dollars par personne et par an, ils restent inacessibles pour les pauvres ;

b) ensuite, parce que la pénurie de personnel et d’infrastructures empêche une meilleure diffusion des ARV.

5) A ce sombre tableau se profilent des lendemains encore plus difficiles et c’est là l’objet de cette note. Les derniers accords de l’OMC, en effet, sont insatisfaisants.

Rappelons de quoi il s’agit :

- l’Inde, aujourd’hui de loin le 1er exportateur de génériques, a atteint cette année la date-butoir à laquelle elle doit, comme l’ont déjà fait les autres pays émergents, se mettre en conformité avec les règles de l’OMC sur la propriété intellectuelle, les accords ADPIC (Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce) signés en 1994 ;

- ces accords protègent par un brevet de 20 ans les médicaments postérieurs à 1995, qui dès lors ne peuvent plus être librement copiés, à la différence des ARV antérieurs à cette date. Or, pour contrer les mutations du virus, le malade doit avoir accès aux molécules les plus récentes, sinon cela ne sert à rien.

- il est vrai que les ADPIC prévoient une dérogation : un Etat, pour des raisons de santé publique, peut imposer une « licence obligatoire » à un laboratoire, ce qui lui permet de copier librement un médicament, mais pas de l’exporter.

- quid, dans ces conditions, des pays pauvres qui n’ont pas de capacités productives ? Des modalités d’accès pour ces pays ont été définies par un accord le 30 août 2003.

- Dans les faits, cet accord est inapplicable : pour importer des génériques postérieurs à 1995, un pays pauvre devra lancer une procédure de licence obligatoire, mais qui ne peut porter que sur un médicament, une quantité et une période donnée. L’opération devra être répétée pour chaque nouvelle commande. Un système kafkaïen conçu pour ne pas fonctionner : cet accord est intervenu après 2 ans d’obstruction de la part de Washington et du lobby pharmaceutique américain.

- un système qui, de surcroît, fonctionnera d’autant moins que certains pays du Sud sont en passe de durcir leur législation sur les brevets, au-delà des exigences de l’OMC : l’Inde a ainsi élaboré une loi qui prévoit qu’un laboratoire pourra opposer un recours suspensif contre une licence obligatoire. Les procédures étant très longues, le laboratoire continuera pendant longtemps d’amortir son investissement.

Pourquoi cette loi ? Parce que les labos indiens préfèrent viser les marchés américain et européens, où plusieurs médicaments vont tomber dans le domaine public, marchés autrement plus rentables que les pays pauvres. D’où leur excès de zèle.

- D’autant moins applicables encore ces modalités d’août 2003 que les Etats-Unis multiplient les accords bilatéraux où ils poussent les pays du Sud à adopter des législations plus restrictives que les ADPIC, avec en échange des concessions commerciales dans d’autres domaines que la santé ou, pire, des marchandages au profit d’intérêts privés.

6) Ainsi, alors que le monde a les moyens de traiter ces pauvres, les accords commerciaux actuels font que cela est impossible. Les majors pharmaceutiques se rassurent alors que la maladie progresse. Le commerce gagne quand la santé perd.

Aujourd’hui, il est urgent de dénoncer ces accords et de demander la renégociation des modalités d’accès des pays pauvres aux traitements.

Un accord qui ne permet pas de sauver des vies alors que l’on a les moyens de le faire est forcément mauvais.


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