L’Europe de Charlemagne aux pères fondateurs, quelles perspectives dans le nouveau siècle ?

par Jules Seyes
lundi 29 avril 2024

La campagne Européenne semble lancée dans un concours de boules puantes, elle devrait pourtant être l’occasion de nous interroger sur notre conception de l’Europe.

Centre du monde au XIXè siècle, elle propagea sa civilisation, ses réalisations comme ses fureurs à travers la planète. Patrie des nations et de la civilisation industrielle, l’Europe aborde le XXIè siècle avec de tous nouveaux enjeux.

Cette campagne pour un parlement Européen devrait donc être l’occasion de s’interroger sur nos identités et nos projet politiques fondamentaux, immense défi auquel les partis français occupés à s’écharper semblent refuser de s’attaquer[1].

Des thèses entières devraient être consacrées à l’histoire Européenne, bien au-delà de la portée d’un article. Il convient donc de se restreindre aux éléments principaux susceptible de mettre en lumière les enjeux stratégiques du scrutin à venir. Constatons donc l’existence d’une double histoire Européenne et tentons de lui donner un peu de consistance. L’analyse de la différence entre le règne de Charlemagne et le moyen âge qui l’a suivi pourra permettre de tracer la différence entre l’idée d’Europe empire et celle des nations.

Ensuite, nous devrions constater l’existence d’une Europe champs de bataille de la guerre froide, et des conséquences de cette époque sur la politique Européenne.

Enfin, afin de regarder vers le futur se pose la question de l’héritage et du projet politique à porter. Comment s’inscrire dans le monde moderne et cela pose des questions redoutables.

 

Noel 800, basilique Saint Pierre de Rome, pas de rois mages venus reconnaitre l’enfant Jésus, mais en présence de nombreux barons Francs, le pape couronne l’empereur Charlemagne.

Déjà, ces deux moitiés de dieu, le pape et l’empereur, se retrouvent et scellent l’union des guerriers francs et de l’héritage romain porté par l’église catholique. Cette dernière a su préserver l’acquis de la civilisation romaine et le transmettre aux nouveaux peuples d’Europe. Elle a triomphé des principales hérésies grâce au soutient de la noblesse à laquelle elle apporte les restes de l’héritage civilisationnel de Rome.

Le pape et l’empereur, voila qui rassure, comme rassurera le parti de l’Espagne du temps de Charles Quint. L’immense empire Habsbourg sur lequel, pour la première fois, le soleil ne se couchait jamais.

Un empire capable d’unir à la civilisation gréco latine les territoires et les peuples de l’atlantique aux marais du Pripet. Une vision propre à rassurer des élites qui formaient un groupe social à travers les territoires. Des familles royales où l’on se mariaient entre soi. Où l’on parlait français dans une société européenne où seule une minorité voyageait. L’idée d’Empire avait de quoi les séduire.

Le concept sera repris par tous les conquérants, de Napoléon à Hitler et la division française qui finit de succomber sur les escaliers de la chancellerie du Reich à Berlin en Mai 1945 se nomme Charlemagne dans une reprise évidente du projet politique.

Seulement, ce projet à ses limites et qui mieux que Hugo peut les mettre en lumière ?

Le pape et l’empereur sont tout. Rien n’est sur terre
Que pour eux et par eux. Un suprême mystère
Vit en eux, et le ciel, dont ils ont tous les droits,
Leur fait un grand festin des peuples et des rois,

Peut-on mieux l’avouer ? Un festin de peuple, voila bien la limite de l’idée de l’Empire, celle propre à le rendre à la fois si redoutable et si séduisant. On parle d’empire Chinois, il y aura les grands empires indiens, les empires Assyriens, Parthes égyptien, l’idée n’est donc pas nouvelle.

L’empire nie les peuples, leurs singularités, leur génie individuel pour les placer sous la coupe d’un édifice où le politique est tout et l’homme se réduit à une pièce interchangeable dans la machine.

Ce fut le destin de bien des civilisations et aurait dû être celui de l’Europe avec un centre entre Rome et Aix la Chapelle entouré de provinces lointaines et barbares.
Seulement, les règles de la succession carolingienne empêcheront la réalisation de ce destin. La division guette, les grandes invasions normandes approfondissent les schismes ou chacun défend sa petite motte locale seule capable de le protéger. L’Europe éclate entre une multitude de royaumes et la féodalité s’impose pour des siècles.

Pour beaucoup, ces barons querelleurs incarnent le summum de la barbarie. De petits nobliaux occupés à s’affronter pour grapiller tel ou tel avantage dans une pyramide de vassalité complexe et inefficace par comparaison avec un empire capable de mobiliser les ressources d’une foule immense pour créer des merveilles du monde.

Seulement, l’Europe mettra mille ans à rationaliser cette structure et il en sortira deux choses : Tout d’abord, ces siècles de luttes fratricides seront le creuset d’identités locales prononcés que haïssent les empires. Bretons, germains Valackes, Bavarois, Autrichiens, la liste des peuples Européens est sans fin et source d’une diversité d’idées et d’opinions qui a permit de générer l’évolution technique suffisante pour ouvrir mers et océans et enfin accoucher des révolutions industrielles.

Des milliers de petites guerres entre féodaux puis les concurrences entre les puissances économiques produisirent les millions de petits procédés techniques suffisants pour briser la malédiction des civilisations et enfin, ouvrir la voie au révolutions industrielles.

Car telle est la malédiction des empires : Ils sont voués à la stabilité et limitent la croissance technologique au minimum nécessaire pour assurer la richesse de la classe dirigeante. Seulement, l’Europe coincée dans un féodalisme extrême n’a pas développé les moyens susceptibles de bloquer la course à la technologie et elle s’échappe dans une modernité brouillonne née de son histoire chaotique.

Nous connaissons le résultat : Les cathédrales, les caravelles, Spinoza, Voltaire, la liberté, les droits de l’homme, l’épopée Napoléonienne, les révolutions industrielles, la première, puis la seconde guerre mondiale !

 

 Comme vous le voyez, la féodalité en Europe fut la source de sa richesse, de sa créativité, mais au prix d’un bilan humain considérable et au lendemain de la seconde guerre mondiale, la solution impériale a le vent en poupe.

Pas sous la forme d’un souverain conquérant, l’histoire a montré la difficulté à conquérir l’Europe, mais par un accord entre les pays. Mais l’idée d’un pouvoir politique capable de chapeauter ces états querelleurs semble la solution idéale pour éviter le retour des tueries. Haros sur cette Europe des nations coupable de deux guerres mondiales, de plus de quatre-vingts millions de morts.

Il convient de faire culpabiliser les défenseurs des nations taxé de volontés guerrières et de barbarie. Fin des empires, organisations supranationales, les élites désirent profiter de la richesse mondiale pour imposer leur solution. Celle où il leur sera inutile de regarder vers l’extérieur pour parer les menaces. Celles où elles seront libres de réprimer leurs peuples et leur extorquer davantage de leur plus-value[2]. L’Europe est perçue comme un premier pas vers le gouvernement mondial où enfin ces peuples turbulents cesserons d’exister.

L’UE naît et elle bénéficiera de la chute de l’union soviétique. Son alliance/soumission aux Etats-Unis crée un bloc occidental perçu comme invincible après la guerre du Golfe.

Privé d’adversaire l’occident peut alors se consacrer à réprimer ses peuples et à liquider les instruments de régulation sociale mis en place durant la révolution industrielle et la fin de la seconde guerre mondiale. Seulement, il faut se montrer prudent, difficile de réduire des institutions qui ont sorties des millions de personnes de la misère. Le capitalisme réputé responsable des révolutions industrielles y pourvoira et d’ailleurs le communisme étant discrédité, les élites Européennes ont les mains libres. L’UE deviendra la championne du monde du libre échange et de la mise en concurrence des classes ouvrières. On appellera cela libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes.

Liberté, cela sonne bien, même si elle concerne le renard libre d’aller et venir dans le poulailler. L’Empire a des avantages d’ailleurs il s’incarne dans l’OTAN, réunion des moyens militaires de l’Europe et des Etats-Unis.

Là, se trouve la seconde caractéristique de l’Europe : Née du dégout face au massacres de la seconde guerre mondiale, l’Europe est une union des vaincus : France, Bénélux, vaincus par le Reich et libérés par les USA, Italie, Allemagne, vaincus par les dits USA, les Anglais s’étant déjà placés en 1941 sous la suzeraineté US. Ces états ne sont donc libres que dans la mesure où l’Amérique le tolère. Peut désireuse de gérer elle-même ces trublions européens, Washington opte pour la voie des relais d’influence.

Le plan Marshall, place les structures économiques européennes sous contrôle US. L’OTAN accomplit la même fonction pour les forces militaires, Hollywood se chargera de convaincre les peuples de la bienveillance du vainqueur et une inlassable activité diplomatique avec des programmes comme les young leaders sélectionnent les hommes, les toutous Européens ne devraient pas tirer sur leurs laisses.

Et finalement, ce n’était pas si mal ! L’Amérique, riche et relativement bienveillante des années Eisenhower apportait du capital pour reconstruire l’Europe, l’OTAN permettait de mutualiser les forces et la dépendance était compensée par un effort de défense réduit. La logique impériale jouait à plein et l’empire US mutualisait les forces.

Les américains allaient sur la Lune, mais au nom du monde libre et par procuration, les peuples européens participaient à l’épopée Apollo, puis les navettes et l’ISS.

Face à l’URSS, la bienveillance s’imposait et finalement le bien être des peuples européens constituait à la fois la meilleure des propagandes et aussi l’arme absolue. Le modèle américain décliné en Europe forcerait même le bloc de l’est à matérialiser le rideau de fer pour éviter la fuite de sa population. Très vite, dès les années cinquante, ce modèle pousserait l’opposition soviétique à la faute et l’Europe province acquerrait de véritables droits à la reconnaissance des peuples.

Situation favorable au bien être des peuples, pourtant, tel est le destin des empires : Faute d’adversaires à leur mesure, ils échouent à renouveler leur classe dirigeante et se complaisent dans la stagnation technologique.

Certes, dans le monde moderne, il n’est plus possible de couper la tête des artisans inventeurs des roues à eau. Au contraire, il convient d’investir et les états le feront. Mais dans un cadre contrôlé où les financiers finissent toujours par gagner. Plus grave, les classes dominantes se dirigent vers le légal, la finance, l’argent facile et négligent les difficiles études d’ingénierie.

L’empire occidental en es là : Dépassé par les progrès dans le reste du monde, seul le cœur américain parvient à conserver une certaine capacité d’innovation, mais même eux déposent maintenant moins de brevets que la Chine.

Les effets des révolutions industrielles se réduisent et la perspective d’une nouvelle révolution industrielle porteuse d’une nouvelle richesse s’éloigne. La vie devient plus dure et les besoins de la classe dominante ne diminuent pas, bien au contraire. Les USA s’endettent et ont besoin de davantage. Il faut donc trouver des payeurs !

De facteur aidant pour l’Europe, l’empire occidental passe en mode récolte. Récupération des sociétés, remontée des dividendes, contraintes aux achats d’armes américaines, ce qui fut un empire bienveillant devient un pouvoir toujours plus coercitif.

Ses agents, ses mercenaires sont donc contraints d’organiser le mouvement : Lois sociales régressives, puis combats contre les oppositions mènent à la censure et à la neutralisation de la démocratie. Sous couleur de droit, on confie à des institutions non élues la responsabilité du sale travail. L’UE en est l’exemple parfait, mais l’OMS et d’autres organisations jouent le même rôle et le progrès semble aujourd’hui être de confier toujours plus de prérogatives politiques à des organisations non élues libres d’arbitrer contre les intérêts des peuples de plus en plus éloignés de la décision réelle.

L’Europe incarnée dans l’UE devient querelleuse, occupée à souffler sur les braises en Ukraine, dans les Balkans avec les guerres de Yougoslavie. Elle devient coûteuse avec une bureaucratie lourde et aussi bien payée que loin des peuples. Elle se met au service des intérêts particuliers et Bruxelles devient la terre promise des lobbystes. Elle génère la peur pour passer en force son agenda dans le plus pur déni démocratique.

Le choix impérial ressemble de plus en plus à ses multiples avatars et à sa dernière tentative : Le troisième Reich. Comme lui, l’empire va chercher dans les vastes plaines de l’Est les ressources qui permettrons de poursuivre la course folle du système vers toujours plus de déficit. Seulement les Russes refusent l’esclavage économique !

Peu importe, ils fourniront au moins un ennemi susceptible de refondre les populations de l’Empire en une seule nation Européenne. Fusion partielle, certainement, mais suffisante pour rendre les évolutions institutionnelles irréversibles.

 

Une obligation, car si le projet impérial se radicalise, les nations font leur grand retour. La bombe atomique a rendu la guerre difficile si ce n’est impossible et dans ce monde la coexistence s’impose aux nations.

Si l’empire est facteur d’appauvrissement des populations livrées au déprédations du centre et des castes supérieurs, les nations peuvent rétablir une obligation de solidarité.

De même, les nations peuvent recréer une saine émulation. Privée de la possibilité de réprimer les peuples par la concurrence extérieure, elles peuvent inspirer à ceux-ci un noble dévouement et une envie de briser une fois de plus les barrières.

Monsieur le président Macron l’a déclaré : "Notre Europe est mortelle ! "

Il a raison car l’évolution du monde ramené sur le devant de la scène un projet alternatif où les nations ont leur place. Seulement, dans ce cas, les collaborateurs zélés de l’Empire n’y auront plus la leur. Le futur de l’Europe pourrait s’écrire au pluriel.

Une éventualité inacceptable pour nos dirigeants et probablement le véritable enjeu des élections à venir. L’Europe doit-elle prendre sa place dans un empire mené par les USA pour venir s’y cooconer comme un ancien dans une maison de retraite où doit-elle sacrifier les acquis, faire le bilan et se replier sur ses bases nationales historiques ?

 

Une décision difficile et propre à faire peur. Si l’Europe n’est plus la paix, elle maintient la guerre au loin. Il conviendra d’organiser une sécurité européenne. Des solutions pour faire vivres des peuples qui partagent le même ciel, les mêmes fleuves et où l’Empire a engagé une fusion partielle des peuples.

Revenir aux bases nationales ne séparera pas les couples Erasmus, ni ne brisera les chaines logistiques. Faute d’un marché organisé de 500 millions d’habitants, nos entreprises repliées sur des marchés nationaux seront incapables de lutter en termes d’économies d’échelle avec celles dont les marchés nationaux sont à l’échelle d’un continent.

Il convient de proposer un nouveau cadre capable de rallier l’ensemble des peuples. Chez chacun de convaincre les partisans de l’Empire, de renoncer à la solution précédente. Si l’UE a fait le nécessaire pour se faire haïr, elle n’a pas encore dégouté tout le monde. Comment la remplacer par une structure légère ? De nouveaux traités s’imposent, comment dissoudre les liens d’affaires sans confiscations ?

Comment gérer des frontières, les projets scientifiques ? Même si les états seront appelés à avoir des projets nationaux, la science est par nature internationale ce qui impose d’organiser ces coopérations.

Ces défis, loin de nous effrayer, doivent nous motiver. La modernité a ceci de formidable que le modèle social loin d’être imposé par une misère indicible devient l’objet d’une lutte politique. A nous de nous montrer à la hauteur de ces nouveaux défis.

Et si monsieur Macron nous dit : Notre Europe peut mourir, il nous revient de savoir lui répondre : "Oui et ce n’est pas la fin du monde ! "
 

 

[1] Cf la maniére dont les partis mettent en avant des thématiques et des personnalités pour les incarner en lieu et place de grandes visions idéologiques.
Européennes 2024 : coups médiatiques, renouvellement… Pourquoi les partis recrutent des personnalités sur leur liste (francetvinfo.fr)
Laissons la Macronie désireuse d’agiter les peurs et de transformer le scrutin en ralliement des anti RN en vue des présidentielles.

[2] Sur ce plan, l’Europe est une réussite, la répartition salaire profit est toujours davantage en faveur de ces derniers et ce au niveau mondial grâce à l’effet d’entrainement de l’ensemble US/UE.

(PDF) L'avenir du travail dans le secteur automobile. Les enjeux de la (dé)globalisation (researchgate.net)


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