Sports extrêmes : les hommes volants

par Desmaretz Gérard
jeudi 10 octobre 2024

Un wingsuiter italien de 38 ans vivant aux États-Unis a été retrouvé mort dimanche 29 septembre 2024 vers 15 heures par un passant sur la commune de Sallanches dans le secteur de Crève-cœur en Haute-Savoie. Les circonstances de l’accident demeurent inconnues. L'homme, un pratiquant régulier de wingsuit, serait mort dans la matinée. Le week-end précédent un autre adepte de de cette discipline qui consiste à sauter d’un point haut ou à partir d’un aéronef avec une combinaison ailée s’était écrasé sur la route nationale à Magland (Haute-Savoie) vers 9h20 après s’être lancé de la Tête Louis Philippe (1.389 mètres).

Au milieu du XIX° siècle l'ingénieur allemand Otto Lilienthal construit des monoplans ultra-légers, ancêtres des Delta-planes (aile en forme de Δ fixée sur un bâti tubulaire sous laquelle le libriste est suspendu dans un harnais) avec des baguettes de saule et du tissu de coton ciré. S'envolant du sommet d'une colline suspendu par les bras à sa machine, il parvient à la stabiliser et à la diriger en modifiant la position de son torse et par des tractions des bras. En 1891 il franchit la distance de 2 200 mètres sans toucher le sol. Il s'écrase et décède en août 1896 par jour de grand vent. Il totalisait un millier de vols libres. La même année, Lawrence Hargrave plane à 5 mètres au-dessus du sol suspendu à trois paires de cerf-volants cellulaires.

 

En 1912 l'Autrichien Franz Reichelt travaille à la conception d'un costume-parachute ; un vêtement en toile destiné aux aviateurs et à se substituer au parachute. Après plusieurs essais satisfaisants sur un mannequin, l'inventeur âgé de 33 ans se décide de sauter du premier étage de la Tour Eiffel. Le 4 février 1912 Franz Reichelt harnaché de son costume-parachute bascule des 57 mètres de haut du premier étage avant de s'écraser au sol sous les yeux des curieux et des journalistes venus assister à ce qui devait être un exploit. Dans les années trente, Clem Sohn, parachutiste acrobatique américain, saute d'un avion revêtu d'une combinaison en toile maintenue tendue par des tubes d'acier et plane avant d'ouvrir son parachute à 250 mètres du sol. Celui que la presse a surnommé « Batman » s'écrase au sol le 25 avril 1937 lors du festival de Vincennes. Ses successeurs, Harry Ward, les frères Masselin, et Salvatore Cannarozzo vont eux aussi perdre la vie lors de sauts expérimentaux avec une « combinaison volante ».

 

Au début des années quatre-vingt-dix Patrick de Gayardon repense le concept de la « combinaison volante » avec caissons et membranes souples. La combinaison se doit de générer la portance et permettre à son porteur de planer sur une longue distance avant d'ouvrir son parachute ralentisseur et de venir se poser au sol. Le 31 octobre 1997 Patrick de Gayardon s'élance d’un sommet proche de l’Aiguille du Midi et n'a de cesse que de peaufiner sa combinaison ailée qui atteint un coefficient de finesse de 1,8 ce qui représente une distance horizontale parcourue de 1,8 mètre pour 1 mètre de chute (distance verticale). Les wingsuits actuelles ont un coefficient de 3 (F = Dh / Dv). Parti de 4 000 mètres, le wingsuiter peut parcourir une douzaine de kilomètres. La combinaison ailée s'inspire de l'écureuil volant (polatouche) qui possède une membrane de peau (patagium) reliant les membres supérieurs aux membres inférieurs et une queue plate permettant la stabilisation du vol (principe du cerf-volant). L'écureuil volant peut planer sur une distance représentant près de 100 fois sa taille.

Au début des années soixante l'autrichien Erich Felbermayer est le premier à sauter à partir d'une falaise dans les Dolomites (Italie). En 1969 l'Américain Carl Boenish filme ses sauts depuis El Capitan un sommet de 900 mètres dans la vallée de Yosemite. Celui que certains considèrent comme le « père du base jump », après la diffusion de ses films en 1978, se tue en 1984 lors d'un saut en Norvège​​. Le base jumper n'emporte qu'un seul parachute conçu à cet usage (ouverture rapide). Le Troll Wall (Norvège), la plus haute paroi rocheuse verticale en Europe avec 1 100 mètres reste l'un des spots favoris des base jumpeurs. Glenn Singleman et Heather Swan sautent en 2006 du Meru Peak, 1 700m de chute ! ​

Le wingsuit ne pardonne pas l'erreur. L'impétrant se doit de suivre une progression : chute libre (ouverture retardée et ouverture commandée) - vol en parapente - base jumping (saut en parachute à ouverture manuelle) au partir d'une tour, antenne, falaise, d'un pont ou d'un immeuble. Le risque d'un accident est estimé à un sur cinq cents sauts ! Les candidats prudents désireux à en éprouver les sensations sans risque se tournent vers des vols en soufflerie.

L'équipement du wingsuiter : une combinaison adaptée au niveau et objectifs du happy few. La wingsuit niveau 1 pour l'apprentissage, la wingsuit niveau 2 pour un pratiquant confirmé (au minimum 20 sauts), la wingsuit niveau 3 réservée aux experts. Celle-ci doit être vérifiée avant chaque saut car la toile subit de grosses contraintes (fermetures, usure, déchirure). Un parachute composé d'une voile principale et d'une voile de secours, un casque avec visière, altison, altimètre, une paire de chaussures capable d'amortir l'impact à l'atterrissage et un moyen de communication.

Les wingsuiters sont confrontés aux lois de la physique, il leur faut convertir la vitesse de chute en vitesse horizontale. Si on lâche un corps pesant dans la troposphère, sa chute est contrariée par la résistance de l'air (fluide). Plus sa vitesse croit, plus la résistance de l'air augmente. Un saut de 4 000 mètres permet une chute libre d'une cinquantaine de secondes, en position standard, jambes et bras tendus, un chuteur (ouverture commandée ou retardée) atteint 209 km/h (58 m/s) après une dizaine de secondes ; 300 km/h (83 m/s) en « piqué ». Lorsque la résistance de l'air égale la masse totale, le corps atteint sa vitesse limite, le chuteur est en équilibre et perd environ 300 mètres par tranche de 5'' écoulées. La hauteur d'ouverture minimale fixée à 850 m se fait généralement à 1 000 mètres, le parachute se déploie en 4 secondes (temps moyen) et le chuteur passe de 200 km/h à environ 15 km/h en quelques secondes. La vitesse terminale (posé) est de quelques m/s selon les conditions aérologiques et le type de voile.  ;-(( Relations usuelles : V en m/s = √ 2g . h ; t en secondes = √ 2h / g ; h en mètres = g . t2 / 2. La résistance R = ρ / 2g. V2 . S (la masse volumique de l'air ρ varie avec l'altitude).

La wingsuit plane et avance grâce à l'énergie emmagasinée et aux transferts d'énergie. Tout objet qui se déplace a une énergie de mouvement (énergie cinétique). Pour un wingsuiter de 70 kg volant à 60 km/h, l'Ec est égale à 0.5 x 70 x 16,6 m/s, soit 583 kg ou 5235 J. L'énergie potentielle de pesanteur dépend de l'altitude de la chute. Plus l'objet chute d'une grande hauteur, plus il emmagasine de l'énergie. L'Epp est égale à : la masse en kg x g (9.81N.kg-1) x Z (altitude de l'objet en m). Pour un wingsuiter de 70 kg s'élançant d'une altitude de 1.100 mètres, l'Epp vaudra 755,370. L'addition de Ec et Epp correspond à l'énergie mécanique Em.

La combinaison ailée déployée offre une surface dissymétrique en raison de sa courbure. Lorsqu'une surface portante se déplace, des pressions différentes apparaissent au-dessus (extrados) et au-dessous (intrados) de celle-ci. L'air qui passe par-dessus est accéléré et sa pression diminue, l'aile se soulève (surpression sur l'intrados et dépression sur l'extrados). La portance (perpendiculaire à la direction du mouvement) augmente avec la vitesse mais aussi avec l'accroissement de la surface, de sa courbure, et de l'angle d'incidence avec lequel la surface coupe les filets d'air. Lorsque celui-ci dépasse une valeur limite, le flux d'air passe au-dessus, devient turbulent, et l'aile peut décrocher. La portance est également en relation avec la finesse, plus celle-ci est élevée, plus le wingsuiter peut planer loin et longtemps.

Pour descendre, le wingsuiter incline le torse vers le bas, la force de l'air soulevant les membres inférieurs accentue la descente. Si le wingsuiter pousse les bras vers le bas, il se met en piqué ; pour monter, il relève la tête, les épaules puis le torse (cambrure) ; pour freiner il relève progressivement la tête, les épaules et la poitrine ce qui a pour effet d'augmenter la trainée qui est en rapport avec le frottement et la portance. Pour changer de direction il abaisse l'épaule du côté où il souhaite se diriger ; pour accélérer le virage, il incline le buste et le bras selon l'intensité du virage désiré. A l'approche du sol le wingsuiter se prépare à l'atterrissage, il redresse son corps afin d'orienter la wingsuit en direction du flux d'air ce qui a pour effet d'augmenter la traînée et de ralentir avant de déployer le parachute. La combinaison ailée peut ralentir jusqu'à une soixantaine de kilomètres par heure, vitesse trop élevée pour se poser au sol sans l'aide d'un parachute.

En 2008 un couple d’Australiens, Heather Swan et Glenn Singleman, s'élance de 11 000 mètres. Le 28 mai 2011 le Japonais Shin Ito parcourt 23 kilomètres à 363 k/h après un saut à haute altitude. L'énergie liée à la portance diminue avec l'altitude et la température, à 4 000 m et par 15°C, par exemple, la perte est de 22 % (√1,225/0,819 bar, d'où Po x 1,22), soit une perte d'environ 10 % tous les 2 000 m. Loïc Jean Albert se livre au vol de proximité, vol qui consiste à longer les montagnes, au mont Verbier en 2003. Les courants ascendants, descendants et vents arrière ou avant ont une répercussion sur la longueur et l'angle du vol. Toutes les pentes exposées au soleil sont susceptibles de générer des courants thermiques. En fin de journée l’air se refroidit et descend le long des pentes et vers le fond des vallées (brise catabatique). Un phénomène similaire peut se produire au-dessus d'un glacier.

En 2014 les Soul Flyers sautent du Burj Khalifa (Dubaï), immeuble de 828 mètres de hauteur ; en 2017 ils rentrent dans un avion en vol après s’être élancés d’une falaise ! En 2016 l'Américain Kyle Lobpries parcourt 30,4 km en huit minutes trente. Au mois de septembre 2024 Vince Reffet et Fred Fugen s’élancent d’un hélicoptère au-dessus de la côte charentaise, parvenus à quelques dizaines de mètres du sol ils réussissent à reprendre de la hauteur avant de déclencher l'ouverture de leur parachute !

Le 26 septembre 2008, Yves Rossy, un pilote suisse âgé de quarante-neuf ans s'élance d'un avion harnaché d'une aile rigide en carbone d'une envergure de 2,4 m (extrémités repliables pour permettre la sortie de l'appareil et faciliter l’atterrissage) propulsée par quatre réacteurs. Il survole Calais à 300 km/h pendant quelques secondes avant de stabiliser sa vitesse à 200 km/h et de se poser à Douvres après avoir parcouru une distance de 35 kilomètres en 9 minutes 7 secondes et avoir consommé 32 litres de kérosène. Le Jetpack pèse une cinquantaine de kilogrammes. Contrairement à une wingsuit, l'aile dotée de réacteurs subit une force supplémentaire, la poussée. L'air aspiré est comprimé dans la chambre de combustion et le flux de gaz chaud est expulsé à haute vitesse vers l'arrière produisant une poussée dans la direction opposée.

Le 13 octobre 2015, Yves Rossy et Vince Reffet volent aux côtés d’un A380 de la compagnie Emirates dans le ciel dubaïote. Le binôme à l'origine du projet « Young feathers » atteint la vitesse de 300 km/h pendant une douzaine de minutes, et exécute des figures acrobatiques dans les trois dimensions. Le 14 juillet 2019 Frank Zapata survole les Champs-Élysées avec son flyboard avant d'accomplir la traversée de la Manche le 4 août en 22 minutes à la vitesse de 170 km/h. Le lecteur désireux de poursuivre sa lecture pourra consulter les articles du 01/11/2019 www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-debuts-du-parachutisme-218961 & celui du 05/07/24 https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/sports-mort-du-champion-du-monde-255547. Une correction, une précision, une remarque ?

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