Voter Bayrou, se faire plaisir
par Charles André
mardi 20 mars 2007
La posture antisystème et le positionnement rassembleur de François Bayrou sont sympathiques et rendent le vote-rejet moralement bien plus facile à envisager. Mais pour faire quoi ? Les citoyens ne devraient pas oublier qu’après douze ans de chiraquisme et quatorze ans de mitterrandisme, les réformes les plus importantes n’ont toujours pas été menées à bien. Jusqu’ici tout va bien, mais peut-on encore se permettre une élection sans horizon et cinq ans d’inaction ? Le candidat de l’UDF ferait bien de s’inspirer d’une règle fondamentale du modèle institutionnel germanique qui lui plaît tant : la motion de censure CONSTRUCTIVE.
Avec mes camarades, nous avons créé "jusqu’ici tout va bien", nous sommes réunis sur ce blog en grande partie parce que nous considérons que la France doit agir sur quelques fondamentaux pour basculer dans la modernité, renouer avec le dynamisme et la solidarité effective et redevenir un moteur du projet européen. L’heure est grave, illustrée par la dette que nous avons souvent évoquée. Le déclin français est la conséquence des non-choix que nous avons tous subis depuis 25 ans.
Nous avons voulu nous exprimer en particulier pour que les chantiers qui nous paraissent fondamentaux, trop longtemps repoussés, soient enfin traités par le prochain gouvernement. Pour ce faire, celui-ci devra avoir reçu un mandat clair du peule français (raison pour laquelle je me suis joins à l’Appel du Net, publié aussi sur Agoravox).
Et pourtant, la vague actuelle semble voir beaucoup de monde emporté par une vague romantico-nihiliste, une volonté de tout foutre en l’air, de faire un bras d’honneur à tous ces pourris. Au mieux un espèce de fuck off bobo ou aux relents d’amertume.
Si Koz le bien élevé est sceptique, je commence à passablement m’irriter. Si le vulgus pecum a bien le droit de croire à des sornettes, les jours et les échanges qui passent semblent montrer que certains s’intéressent à la politique plus pour se rassurer dans une aventure apparemment paisible, pour faire plaisir à leur intellect ou leur image d’eux-mêmes que par souci du bien commun et de l’avenir de notre pays...
Car faire fi des priorités que nous sommes nombreux à partager n’est pas un acte anodin.
Si Bayrou avait voulu fédérer autour d’un projet précis, de quelques réformes vitales, la majorité "de salut public" qu’il invoque aurait peut-être lieu d’être. Mais Bayrou, c’est le moyen sans la fin, le contenant sans le contenu. Dans tous ses discours depuis bien (trop) longtemps, il se contente de mettre en avant une dénonciation et un positionnement : droite-gauche (+ média), tous pourris, renversons la table pour tous nous accoupler. Le problème, François, c’est que quelque différence rend l’accouplement plus riche de conséquences...
Dépasser le clivage, évidemment, est un moyen aguichant : se mettre tous autour de la table pour régler des problèmes qui se posent à tous, quoi de plus séduisant ? Mais pour faire quoi ? Sur la base de quel diagnostic ? François ne nous le dit pas.
Sans direction donnée aux débats, sans ordre du jour, la table de négociation se videra rapidement. Où iront les acteurs, après ? Chez Marine, chez Olivier, puisqu’il n’y aura plus qu’eux qui poseront un cadre de revendications.
Quelques exemples de sujets qui me/nous tienne(-nt) à cœur et sur lesquels Bayrou est aussi creux, encore plus creux, que Royal :
Croissance et innovation
Exemple archétypique : la réforme - vitale - de
l’université : Bayrou parle de « r evoir la gouvernance »,
et basta. Pour Sarko, qui a évoqué avec précision la gouvernance d’universités autonomes
il y a deux ans déjà, on a tout
ça. Y a pas photo.
Qui propose concrètement un contrat de travail plus souple ?
Sarko. Les autres invoquent la flexisécurité, sans oser parler de baisses de
garanties.
Qui ose dire qu’il faut travailler plus, condition
nécessaire à la hausse du pouvoir d’achat, à la solvabilisation du système de
retraites et à la pérennisation de la
Sécu ? Sarko.
Dette et réforme de l’Etat
Alors que les traitements et salaires des cinq millions d’agents
publics représentent 45% des dépenses publiques... Dire "la dette c’est
grave, on va l’interdire dans la Constitution" (proposition d’ailleurs
reprise par l’UMP) est sympathique à première vue, mais complètement à côté de
l’enjeu...et inopérant.
Bayrou se contente d’une facile posture anti-Sarkozy :
"non, il ne faut pas d’objectif quantitatif de réduction du nombre de
fonctionnaires car il ne faut pas stigmatiser". Et puis après la fameuse vidéo des 35h à l’école, peut-être une petite niche pour François...oh non, pardon, Bayrou ne peut ontologiquement être électoraliste, puisqu’il est anti-ceux qui le sont...
Qui propose le service minimum, contrepartie évidente du
monopole qui permettrait de renouer avec un service public précisément au service du
public ? Sarko.
Qui a fusionné des directions-mammouths (DREE, Direction de
la prévision et Direction du Trésor) à Bercy, police et gendarmerie dans les
GIR ? Sarko. Et tout ça sans mouvement social notoire - pour ceux qui prétendent
que son « autoritarisme » mettra la France à feu et à sang.
Qui ose évoquer, sans craindre le corporatisme caché
derrière l’invocation du paritarisme, la fusion ANPE-Assedic, absolument
nécessaire à une véritable politique de l’emploi et au suivi des chômeurs ?
Sarko encore.
Le grand rassemblement centriste renforcera, par définition, l’extrémisme. Pour qui voter si on veut sanctionner le gouvernement ? Et ce gouvernement, comme nous l’avons déjà expérimenté, tombera à la moindre réforme ambitieuse éventuellement amorcée - car certains des membres de ces fragiles coalitions agglomérées sans objectif autre que d’exister la quitteront dès qu’ils pourront en retirer un bénéfice politique. Et ce sera un nouveau cycle d’immobilisme, voire de nouvelles convulsions violentes. Avec de plus grandes chances d’un Le Pen au prochain tour - probabilité encore agrandie par la montée en grade de la redoutable Marine.
Cette élection de 2007 ne doit pas être le moment du romantisme. Ni celui d’élire un nouveau Chirac. Il s’agit de porter un projet précis, visant à faire basculer le modèle économique et social de notre pays dans la modernité, et d’élire celui qui aura le courage de le mener.
Il ne s’agit pas ici de se marier. L’identité nationale garantie par l’Etat, très peu pour moi. La clique des Hauts-de-Seine, Carignon ou Longuet non plus. Le pouvoir personnel non plus. Mais l’essentiel est la mise en oeuvre d’un projet, pas une adhésion des pieds à la tête à la personne qui l’impulse et à ses potes. L’essentiel n’est pas institutionnel, n’en déplaise aux amateurs du jeu d’échec politique (dont je suis).
Si une éventuelle élection de Bayrou entraînait un profond renouvellement de la classe politique, je me réjouirais sincèrement. Mais le grand flou entourant son "programme" ou, même, l’absence de contenu concret de nombre de ses propositions-slogans (je lirai le livre de FB pour m’en assurer, mais ses propositions sur bayrou.fr ne me renseignent vraiment pas beaucoup à ce niveau) m’empêchent de considérer son projet comme
autre chose qu’une posture anti-système
mièvre.
Votez en vos âmes et conscience, mais grattez au-delà des vernis. Pas pour vous faire plaisir, mais pour que notre pays se remette à avancer.