Rêveurs et nageurs

par Luc Brou
dimanche 26 juin 2005

Rêveurs et Nageurs (ou du plaisir parmi les difficultés)

de Denis Grozdanovitch Ed. José Corti - http://www.jose-corti.fr

Le livre n’est pas encore ouvert qu’il ne peut pas être mauvais, puisque édité chez Corti. Un éditeur pourrait commettre des erreurs de jugement. Sauf que cette maison est exigeante, prend parti et surtout défend ses auteurs, peu importe les ventes. C’est ainsi que devenu célèbre (il a refusé le Goncourt en 51 pour « Le Rivage des Syrtes »), Gracq n’a jamais voulu quitter la maison malgré des propositions généreuses.

Le choix de ce livre s’est fait en écoutant un jour une célèbre émission de radio cinquantenaire où pour la première fois l’ensemble des critiques était unanime. Sans que cela ne soit la référence à tout choix littéraire (ou cinématographique, théâtral), c’était en soi exceptionnel.

Le genre est simple, à la portée de tous (en apparence car rien de plus difficile que la transmission du sentiment qui nous occupe au quotidien), un carnet de notes diverses, courtes, longues, drôles ou mélancoliques. Des notes qui s’attachent à de petites choses de la vie, parfois des grandes, comme les souvenirs, la mort. La nature, la peinture et ses peintres français à New York ou l’art brut dans une grotte, la littérature, le tennis, la Paume (l’auteur est un ancien champion de France de tennis et de Paume), les homeless, la religion (Dans le Talmud Le monde repose sur le souffle des petits enfants dans les écoles), et surtout les rencontres nombreuses et formidables, je pense surtout à cet homme de 80 ans « mort » par amour à 20 ans...

Là où le quidam tartinerait un blog, l’écrivain cisele ses phrases, ça glisse tout seul par des mots simples traduisant avec classe une érudition impressionnante mais pleine de modestie et de légèreté. À l’instar du titre de son précédent livre « Petit Traité de Désinvolture », il aborde tout sujet sans complexe, sans hiérarchie et sans préjugés.

« Et le souvenir,- je n’emploie évidemment pas ce mot dans son sens quotidien -, vivant dans le sang, nous liant mystérieusement avec des dizaines et des centaines de générations de nos pères qui ont vécu, et non pas seulement existé, ce souvenir qui résonne religieusement dans tout notre être, c’est cela la poésie, notre héritage plus que saint, et c’est lui qui fait les poètes, les visionnaires, les serviteurs sacrés du mot, nous unissant à la grande Église des vivants et des morts. » Ivan Bounine (1870 - 1953), écrivain russe, auteur de poèmes, nouvelles et de romans.

Ce n’est pas un journal, ce n’est pas un roman et ce n’est pas une chronique. C’est la vie, et un style qui rejoint celui de l’unique livre (pure chef d’œuvre chez Phebus Libretto) de Jacques Yonnet (1915 - 1974) sur les rues de Paris, « Rue des Maléfices ». Cela ne laisse pas l’impression d’un type passé à côté de tout, trop penché sur sa table mais d’un homme les yeux grands ouverts prêt à sentir le moment et le détail qui révèlera la beauté et la cruauté du monde.

Luc Brou


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