L’antique ’’premier’’ Temple de Jérusalem, entre mythe et théologie ?!

par JPCiron
jeudi 5 mai 2022

Cette note se base sur une intéressante étude de Fabio Forza et Corinne Bonnet d'où il ressort que tant l'analyse exégétique que l'archéologie suggèrent une datations bien plus récente dudit Temple.

Leur analyse pragmatique est semble-t-il tout-à-fait convaincante.

Le ''premier temple'' de Jérusalem, bâti par le roi Salomon, selon la Bible, est « figé dans l'imaginaire collectif, d'une part à cause de l'absence de toute attestation archéologique et, d'autre part, en écho à des textes qui l'idéalisent. » (1) Selon un calcul basé sur les textes de la Bible, cette construction aurait donc été réalisée vers l'an 950 av. JC. Selon la même source, le second Temple aurait été reconstruit vers 525 av. JC (note : la période Perse post-exilique va de 540 à 330 av. JC)

Le Théologien Thomas Römer retient que « Le récit biblique sur Salomon ne remonte pas au X e siècle mais reflète d’abord le contexte de l’époque néo-assyrienne » (2) p. 412

 

Image = Restitution hypothétique du « premier temple » de Jérusalem : vision de l’extérieur (d’après Busink, 1970 : pl. 47) – Source : Article Palethnologie « Le temple de Jérusalem entre ''théologie'' et archéologie » par Fabio Porzia et Corinne Bonnet - http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/290/img-2.jpg

 

Deux éléments principaux militent en faveur d'une datation bien plus récente que celle biblique :

 

 

>> Un style de Palais ''récent'', de type Achéménide

 

Les auteurs soulignent que « Le texte biblique perpétue le modèle proche-oriental du roi-bâtisseur et de la dualité typique entre byt du toi et byt de la divinité. » (byt = maison = palais du roi / sanctuaire du dieu). On en parle en 2Samuel / 1Rois 5 / 1Rois 7.

La Bible dit que le palais était ''une maison de cèdre'', tandis que le sanctuaire de Dieu n'était pas encore construit :

« Lorsque le roi habita dans sa maison, et que l'Éternel lui eut donné du repos, après l'avoir délivré de tous les ennemis qui l'entouraient, il dit à Nathan le prophète : Vois donc ! j'habite dans une maison de cèdre, et l'arche de Dieu habite au milieu d'une tente. » (2Samuel : 1-2) Ce que confirme l’Éternel : « Va dire à mon serviteur David : Ainsi parle l'Éternel : Est-ce toi qui me bâtirais une maison pour que j'en fasse ma demeure ? Mais je n'ai point habité dans une maison depuis le jour où j'ai fait monter les enfants d'Israël hors d'Égypte jusqu'à ce jour ; j'ai voyagé sous une tente et dans un tabernacle. » (2Samuel : 5-6)

« Or, d'une part, des considérations d'ordre exégétique et historique suggèrent une rédaction d'époque perse pour ces textes, de l'autre, (…) le texte qui nous intéresse mélange deux traditions architecturales distinctes : un modèle nord-syrien ''indémodable'' (depuis le XVII s av JC) pour le temple et un modèle achéménide pour le palais. » (1) Ce dernier type de palais est précisément datable entre le VI et le V siècle av. JC côté Perse.

 

Par ailleurs, certaines parties importantes de la Bible évoquant la transcendance divine seraient également fort tardives : une conception du divin liée à l'exil, et une théologie post-monarchique, conçue après la destruction du temple par les babyloniens, en 586 av. JC. La rédaction de 2Samuel évoque effectivement plutôt la période d 'exil à Babylone, car « la conception de la divinité repose non plus sur le binôme Dieu/roi mais sur une comparaison entre Dieu et son peuple. » Ainsi, « la divinité s'affranchit en développant une plus grande transcendance. » (1)

L'analyse de Thomas Römer va dans le même sens : « Durant la première partie de l’époque perse, les livres constituant l’histoire deutéronomiste ont été révisés dans le but d’intégrer les nouvelles donnes de l’intégration de Juda dans l’empire Perse. Il s’agit, pour les derniers rédacteurs de cette histoire, de montrer comment l’exil s’est transformé en diaspora, et qu’il est désormais possible d’envisager une existence judéenne en dehors du pays. » (2) p. 417

 

Image = Reproduction du recto de l’ostracon de Tell Arad, portant la mention, tout à la fin (ligne 9) byt yhwh, «  maison/temple de YHWH » (d’après Aharoni, 1981 : 35) – Source : https://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/290/img-4.jpg

 

 

>> Les conditions pratiques nécessaires bien plus tardives

 

Fabio Porzia et Corinne Bonnet soulignent dans leur Étude que les conditions économico-politiques permettant de construire un tel ensemble palais-temple auraient pu exister au royaume du Nord vers le IX siècle, tandis que pour le royaume du sud & Jérusalem, il faudrait attendre l'époque hellénistique (à partir de 350 av. JC ca) (...en dépit des annonces sensationnelles de ''découverte'' de l'antique Palais de David par Eilat Mazar).

 

Notons que plusieurs faux ont signalé un byt yhwh (sanctuaire de Yahweh). Cependant, les auteurs de l'étude soulignent que « La seule inscription authentique est l'ostracon 18 (recto, ligne 9) de Tel Arad, du milieu du VIII siècle, mais ni le contexte ni la localisation de ce lieu de culte ne sont précisés. » (1) Tel Arad se trouve entre Hebron et Dimona. Notons aussi qu'à l'époque de ce « ''byt yhwh'' de Tel Arad  », plusieurs YHWH différents étaient déjà mentionnés « YHWH de Samarie  », « YHWH de Teman » bien postérieurs il est vrai à la « terre des Shasous de YHW3  » d'une liste d'Amenophis III (= Soleb au Soudan, vers 1370 av. JC).

 

Note JPCiron : Les mots évoquant Yahweh sous Amenhotep III (v. 1370) et Ramsès II (v. 1250) semblent se référer à Yahweh, mais pourraient très bien correspondre à une autre divinité portant un nom similaire. Divinité qui ne serait pas nécessairement à associer aux Israélites.

Ainsi, il est notoire que Friedrich Delitzsch était convaincu de l'origine akkadienne de Yahweh. Sa lecture de tablettes remontant au temps de Sin-Mullabit, père de Hammurabi (vers 1740 av. JC, bien des siècles donc avant que Moïse ne fasse la connaissance de YHWH), lui a fait identifier des mots lus ''iau'' (prononcé i a ou ) à YHWH. Cela lui a été fermement reproché. En effet, notre lecture du Nom Divin associé à un patronyme ne signifie pas nécessairement que l'individu portant ce patronyme soit Judéen ou Israélite ! Nous devons donc éviter ce travers attribué à Delitzsch car tout nom Ancien semblant correspondre à YHWH n'est pas à rattacher nécessairement aux Israélites.

En outre, un culte pour YHWH a existé chez des populations non-israélites, bien avant que certains israélites n'adoptent ce dieu. C'est en tout cas ce que nous dit la Bible.

 

 

Au Final, la Bible nous dit bien que la ''maison de Dieu'' a été construite après la ''maison du Roi'' qui est décrite dans la Bible comme de style achéménide caractéristique... La datation mythique d'érection du ''premier'' Temple au début du premier millénaire avant JC ne me semble tenir debout que par la volonté d'y croire...

Thomas Römer, quant à lui, évoque la possibilité que « la maison que Salomon construit ou rénove est d’abord une maison pour Shamash [dieu solaire], dans laquelle se trouvait une sorte de chapelle latérale, un deuxième débir, pour Yhwh. L’idée d’une vénération conjointe d’un dieu solaire et d’un dieu de l’orage trouve un appui dans l’iconographie, pas seulement dans le sud mais aussi dans plusieurs stèles du nord de la syrie et de l’anatolie, où l’on voit le dieu de l’orage avec ses attributs et au-dessus de lui le disque solaire. » (2) p. 412

 

Par ailleurs, l’Éternel lui même ''commande'' à David la construction de sa première ''maison'' depuis l'Exode hors Égypte. Ce dernier élément étant clairement un mythe, je serais tenté d'incorporer aussi les deux autres éléments ci-dessus au récit mythique.

 

« Politique et théologie, dans le cas d'Israël, risquent souvent de s'entremêler et de se confondre. » Alors que l'archéologie doit être libre et libérée de tout jugement d'ordre théologique.(1)

 

 

JPCiron

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(Traductions de la Bible : Louis Segond 1910)

.. (1) - Etude Palethnologie « Le temple de Jérusalem entre ''théologie'' et archéologie » par Fabio Porzia et Corinne Bonnet – 2017 – (CC BY-NC-ND 4.0)l - https://journals.openedition.org/palethnologie/290

Porzia F., Bonnet C., 2017 - Le temple de Jérusalem entre « théologie » et archéologie : quels enjeux, quel dialogue ?, dans Boissinot P. (dir.), Archéologie et sciences sociales, Université Toulouse Jean Jaurès, P@lethnologie, 9, 32-52.

.. (2) – Milieux Bibliques - « YHWH : ses origines, ses cultes, sa transformation en dieu unique  » Cours du professeur Thomas RÖMER, théologien.

https://www.college-de-france.fr/media/thomas-romer/UPL6379713332778425502_ro__mer.pdf

Sur cette stèle (vers 750 av. JC), on note le symbole solaire associé au dieu de l'Orage. - Musée du Louvre – (photo JPCiron) On se souvient que le dieu YHWH ''supplanta'' le dieu de l'Orage levantin BAAL. - (La forme cintrée de cette stèle est plutôt syro-levantine, mais sa représentation témoigne d'un héritage syro-hittite. Le style résulte d'une adaptation de l'art assyrien)

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