Que sais-je du Tibet ?

par Libr’Op
jeudi 17 avril 2008

Auteur de l’ouvrage « Tibet : la question qui dérange » chez Albin Michel, Claude. B. Levenson nous offre un portrait saisissant du Toit du Monde dans cette nouveauté de la collection « Que Sais-je ? » aux PUF intitulée « Le Tibet » et tout juste sortie des presses. Un ouvrage de référence de 124 pages et 8 euros.

Voici un petit ouvrage fourmillant d’informations qui tombe à point pour répondre à l’honorable parlementaire maoïste Jean-Luc Mélenchon sur la question du Tibet.

La question essentielle qui se pose aujourd’hui sur le Tibet peut se résumer à la suivante : lorsqu’en 1950 l’Armée rouge de Mao envahit le Toit du Monde pour le libérer, disait-on, des « impérialistes », le Tibet était-il, oui ou non, un État libre et indépendant ?

Tout est là. Et, spécialiste confirmée du Tibet, l’auteur Claude B. Levenson apporte dans son petit « Que sais-je ? » n° 3038, 126 pages et 8 euros, de précieux éléments de réponse tombant à pic pour clouer le bec aux partisans du régime de Pékin et de son « boucher de Lhassa », Hu Jintao.

Qu’on en juge.

« Le Tibet alignait toutes les caractéristiques communément admises par les normes internationales d’un État-nation indépendant : un territoire, un peuple, une langue, une culture, une administration, un service de communications intérieures, un drapeau, une petite armée, des relations avec ses voisins immédiats, sans oublier qu’il battait monnaie », relève l’amie du Dalaï-Lama.

C’est un fait. L’on ne répétera jamais assez, et Claude B. Levenson le sait ô combien, qu’en 1912 le XIIIe Dalaï-Lama proclame officiellement l’indépendance du Tibet « par le traité d’Ourga avec la Mongolie ». C’est un autre fait. Un fait confirmé « l’année suivante publiquement à Lhassa à l’occasion des cérémonies de la Grande Prière », le Meunlam qui marque le Nouvel-An tibétain.

En 1950, le Tibet est donc officiellement indépendant depuis 1912.

Preuve supplémentaire de l’indépendance du Tibet, en 1949 les Chinois résidant sur place sont « reconduits sous escorte à la frontière ». Pour quelle raison ? « Parce qu’étrangers, chinois en l’occurrence » et donc « indésirables à Lhassa ».

Preuve encore, six ans auparavant, les Etats-Unis demandent au Tibet l’autorisation d’acheminer par son territoire des convois d’armes « aux troupes nationalistes de Tchiang Kai-sheck », le généralissime chinois, à la fois ennemi juré et allié de circonstance du futur président Mao. Et alors que la Chine est ouvertement engagée auprès des Alliés contre les Puissances de l’Axe, le Tibet entendra rester neutre.

Le 7 novembre 1950, le gouvernement tibétain, face à l’agression de l’armée chinoise, lance « un appel au secrétaire général des Nations unies ». Mais « hormis les protestations platoniques outrées, aucune démocratie n’a bougé ». C’est que l’Inde assurait qu’une « solution à l’amiable pouvait être trouvée hors de l’institution ».

Au Tibet, le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » qu’il incombait à « l’ONU nouvelle-née » de faire respecter passe dès lors à la trappe.

Claude B. Levenson de noter avec fort à-propos : « à contre-courant de l’évolution historique dans le monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Tibet se retrouve en voie de colonisation alors que les pays d’Asie et d’Afrique se libèrent du carcan colonial pour accéder à l’indépendance et à la souveraineté nationale. »

C’est que les diplomates ont une fâcheuse tendance à se retrancher derrière le « fait accompli ». Un fait accompli qui résonne comme un « écho des luttes d’influences du Grand Jeu de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, quand les grandes puissances du monde se taillaient des fiefs en territoire chinois ».

Qu’est-ce à dire ?

« Il importe de rappeler qu’après l’expédition britannique de Younghusband au Tibet en 1904, les émissaires de Sa Gracieuse Majesté britannique avaient signé en 1906 avec les plénipotentiaires du Fils du Ciel à Pékin, puis en 1907 avec les représentants du tsar de toutes les Russies à Saint-Petersbourg des accords bilatéraux concernant le Tibet sans en référer aux principaux intéressés qui n’avaient guère apprécié ; une politique éminemment coloniale dont les effets à retardement se ressentent encore aujourd’hui. »

Seuls ces accords bi-latéraux reconnaissaient la pseudo-suzeraineté de la Chine sur le Tibet.

Une entourloupe à laquelle le XIIIe Dalaï-Lama pensait avoir mis fin par la suite en forgeant le drapeau national tibétain et en proclamant l’indépendance de son pays. En 1914, la Convention de Simla reconnaît officiellement la frontière entre l’Inde et le Tibet. C’est la fameuse « ligne Mac Mahon » du nom du négociateur britannique. La Chine se tient à l’écart de cette convention, nouvelle preuve de l’indépendance du Tibet.

Pourtant, en 1933, mais bientôt deux décades ont passé, le même Thubten Gyatso, alias « Grand Treizième », prédit, face à la montée du maoïsme en Chine, que « sous peu, les communistes seront à nos portes ». Et de conclure, prophétique, dans son testament, « nous deviendrons les esclaves de nos envahisseurs ».

C’est encore là un fait. Même « catégoriquement opposés au colonialisme et à l’esclavage sous toutes leurs formes », comme l’affirmait non sans un aplomb particulièrement cynique, le président Hu Jintao à l’université de Pretoria en février 2007, les communistes chinois vont à partir de 1950 procéder à une « colonisation, ou usurpation des terres au détriment des autochtones pour le seul bénéfice du colonisateur ».

Claude B. Levenson de préciser qu’en Mongolie intérieure, « sur environ 24 millions d’habitants », eh bien il y a « 19 millions de Hans et 4 de Mongols ; au XinJiang, 8 millions de Ouïghours sur 23 millions d’habitants et dans les régions anciennement mandchoues, sur 39 millions d’habitants seuls dans quelques villages les vieux parlent encore le mandchou ».

Aujourd’hui, il y a peut-être bien trois à quatre fois plus de Chinois que de Tibétains. Le Tibet vit une « colonisation par sinisation accélérée d’une terre annexée de force ».

Vient alors à se poser une question légitime : pourquoi donc cette « colonisation » entre autres du Tibet ?

Le précieux petit ouvrage de la célèbre collection des PUF apporte un réponse précise qui tient en deux mots : exploitation des richesses. La Chine se livre au Tibet à une « exploitation anarchique des richesses du sous-sol » et aussi du sol, dirons-nous.

Ce qui « a poussé le régime maoïste à faire main basse sur le Tibet : en un sens, c’était une assurance anticipée sur son avenir économique ».

Claude B. Levenson dénombre « 600 gisements de charbon, d’uranium et de zinc (40 millions de tonnes chacun), de fer (plus d’un milliard de tonnes), sans compter le gaz ni le pétrole pour une valeur estimée à 128 milliards de dollars ».

Dans les alentours de Golmud au Qinghai, anciennement la province tibétaine de l’Amdo, les « réserves de pétrole atteindraient 30 milliards de tonnes, de gaz naturel - 300 milliards de mètres cubes, sans oublier les rivières avec des ressources en eau estimées à 238 millions de mètres cubes, plus les énergies solaire et éolienne ».

Et certains projets prévoient de détourner là les eaux du Brahmapoutre tibéto-indien au profit du Fleuve Jaune chinois.

Rien moins.

On comprend dès lors pourquoi les autocrates de Pékin s’époumonent à répéter à l’envi que « le Tibet appartient à la Chine » !

Même si cette exploitation met en danger de façon inconsidérée « les fragiles équilibres écologiques », pollue les eaux et l’air.

Ici apparaît au grand jour la stratégie de Pékin qui proteste des bienfaits soi-disant prodigués tant à ses régions autonomes qu’à ses minorités : « sous couvert d’aide généreuse au développement », le régime chinois procède d’abord à « une occupation subreptice des lieux en installant sur des terres étrangères une partie de son trop-plein de population » puis à « la mise en exploitation de ressources appartenant de fait à des groupes ethniques éparpillés et trop peu nombreux pour se défendre, les dépouillant pratiquement des richesses qui devraient assurer leur avenir, sinon leur survie ».

La Chine se livre donc bien qu’on le veuille ou non à une « colonisation à bride abattue sous couleur de modernisation et d’ouverture au monde ». Politique, à nos yeux, expansionniste, colonialiste et hégémoniste, s’il en fût. Le Communisme chinois serait-il donc un impérialisme ?

Si l’auteur ne pose pas cette question, elle y répond néanmoins.

Le président Hu Jintao (alias le « boucher de Lhassa » car il dirigea là-bas en son temps une sanglante répression) a rendu sa première visite officielle à l’Inde en novembre 2006. A la veille de son arrivée, l’ambassadeur chinois déclare publiquement à New Delhi que « le Tibet appartenant à la Chine, il allait de soi que l’Arunachal Pradesh... lui revenait de droit ». Et l’on évita de peu l’incident diplomatique.

Territoire du nord-est indien, l’Arunachal Pradesh était cédé en 1914 par le Tibet au Raj - l’Inde colonie de l’Impérialisme britannique -, par la Convention de Simla à laquelle la Chine n’était pas partie.

Ce qui n’empêche pas Pékin de prétendre à sa souveraineté sur le territoire de cet État de l’Union indienne. Pourquoi se gêner, n’est-ce pas ?

« Le régime chinois d’aujourd’hui, anti-impérialiste car communiste prétend asseoir la légitimité de sa présence au Tibet sur une tradition impériale », observe fort justement Claude B. Levenson, « il s’obstine à n’y voir qu’une "affaire intérieure" dont nul étranger n’a le droit de se mêler, ce qui ne l’empêche pas de réclamer haut et fort le respect du droit à l’autodétermination de tous les peuples, pourvu que cela ne l’affecte pas directement ».

Double langage et impérialiste anti-impérialisme, car loin de se contenter de prétentions sur une partie du nord-est indien, la Chine a mis le pied au nord-ouest sur l’Aksai Chin dans l’Himalaya en y construisant « en douce » des routes.

Ces « revendications territoriales injustifiées » et autres « empiètements » à l’Est comme à l’Ouest, provoquèrent un « bref conflit armé » entre l’Inde et la Chine en 1962.

Mais le grand Timonier n’avait guère caché son jeu pourtant qui en 1949 clamait qu’à ses yeux « le Tibet est la paume de la Chine, le Ladakh, le Népal, le Sikkim, le Bhoutan et la NEFA (actuel Arunachal Pradesh) sont ses cinq doigts ».

Or, Pékin est l’alliée du Pakistan et de la Birmanie (Myanmar). Et New-Delhi « s’inquiète de cette stratégie de tenailles ». On s’en inquiéterait à moins sachant que Pékin qui a fait arriver son train à Lhassa nourrit le projet de le conduire jusqu’à Shigatsé puis à la frontière avec le Népal (tombé ou presque aux mains de maoïstes) dans un second temps.

On comprend dès lors combien la question du Tibet est ultrasensible et que Pékin à son égard tonne à la patrie en danger.

Mais, quoi qu’il en soit, nous dit Claude B. Levenson, « en revendiquant l’autodétermination, voire l’indépendance, le Tibet et les Tibétains ne réclament que leur dû, conformément aux dispositions de la Charte des Nations unies ».

A l’Assemblée générale onusienne, une « première résolution est votée le 21 octobre 1959 avec l’appui de Taiwan, exprimant la "grave préoccupation" de l’ONU, mais contre l’avis de l’URSS et de ses amis ».

C’est que « la Chine rouge naissante est assurée du soutien agissant » du grand frère soviétique.

« Une deuxième résolution passe l’année suivante, à la suite des rapports de la Commission internationale des juristes (CIJ), mais demeure elle aussi sans effet pratique. »

En 1964, la CIJ remet un document intitulé « violations continues des droits de l’homme au Tibet », avec un nouvel appel du Dalaï-Lama au secrétaire général de l’institution.

Le dossier se fonde « sur le rapport secret du Panchen-Lama », seconde plus haute autorité spirituelle tibétaine, « remis en 1962 à Chou En-lai » et détaille « les exactions commises au Tibet » après le soulèvement de Lhassa.

« Une troisième résolution est alors votée par l’Assemblée générale, tout aussi inefficace que les précédentes. »

En 1968, « le ministre des Affaires étrangères de Thaïlande se hasarde à mentionner "le génocide systématique" des Tibétains par la Chine » sans pour autant « éveiller plus d’écho ».

Parmi la dissidence chinoise même, Wei Jingsheng, Harry Wu, Wang Lixiong et Ge Jianxiong ont élevé la voix en faveur du Tibet voire nié tout titre de « propriété » ou de « suzeraineté » de la Chine sur le Tibet.

Une stèle érigée à Lhassa, et qui remonte à l’an 822, tôt consacre l’indépendance du Tibet. Peut-on y lire, n’en déplaise à Jean-Luc Mélanchon : « le Tibet et la Chine se maintiendront dans leurs frontières présentes : tout ce qui est à l’orient appartient à la Grande Chine, tout ce qui est au ponant est incontestablement le pays du Grand Tibet. »

Sachant qu’il s’agit de la réplique d’une stèle déposée à la frontière entre les deux pays, qui conclut : « cet accord solennel ouvre une grande époque où les Tibétains seront heureux en terre du Tibet et les Chinois, heureux en terre de Chine ».

Les Chinois apportant là une reconnaissance historique indéniable à l’indépendance totale du Tibet vis-à-vis de la Chine.

Indépendance totale qu’aucun événement, accord, traité ou autres ne vinrent remettre en question jusqu’à l’invasion de 1950 pour libérer le Tibet des « impérialistes » qui en étaient absents tout comme les Chinois.

Alors « quelle validité accorder encore aux revendications tapageuses de "propriété" sur un pays voisin et un territoire qui, historiquement, ne font pas partie de l’héritage classique chinois ? »

Oui, c’est bien là une excellente question, sachant que, de surcroît, « divers exemples témoignent à l’envi de la tendance à infirmer le fait accompli : la reconstitution de la Pologne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les pays Baltes et d’Europe orientale reprenant leur liberté de choix de société après la chute du Mur de Berlin... »

Claude B. Levenson énumère alors la foultitude d’autres exemples que procurent encore « les Balkans » ainsi que « l’indépendance d’une quarantaine micro-Etats, îles du Pacifique ou des Caraïbes » pour « prendre la mesure de l’injustice faite aux Tibétains ».

Et quelle « injustice » !

Oui, en effet, « en quoi le sort du Tibet devrait-il être différent » ? Surtout « dans la mesure où s’y pose la question de la légitimité » de la « présence chinoise » que seule la force impose et maintient.

« Pieds et poing liés », les Tibétains, « pris dans un engrenage qui les broie » font face à une « mise à sac soigneusement planifiée » de leur « eldorado au rabais des laissés-pour-compte du miracle chinois ».

Sachant qu’« il suffit à un moine tibétain d’avoir dans sa cellule une photo interdite pour être accusé de mettre en danger la sécurité de l’État ».

Dès lors, dépossédés de leur souveraineté séculaire et sans prise sur leur propre sort, les Tibétains « n’ont qu’un seul droit, obtempérer en silence ».

Il reste peu de la « résistance » qui va s’étendre « avec les actions du Chusi Gangdruk (Quatre Fleuves et Six montagnes) dont le chef campa Gompo Tashi Andrugstang est entré dans la légende ».

Cette « résistance » un temps basée au Mustang népalais, soutenue par la CIA, et dont Claude B. Levenson dit trop peu, sera décapitée et décimée sur ordre du Dalaï-Lama après la reconnaissance du régime de Pékin par Richard Nixon en 1971. Héros rescapés, Lhasang Tsering et Jamyang Norbu, deux intellectuels tibétains de fière allure, peuvent encore en témoigner avec brio tout en continuant de faire profession de foi d’indépendance pour leur Tibet bien-aimé.

Cette « résistance » tibétaine même si elle n’existe plus par les armes subsiste pourtant dans les faits avec les trois soulèvements successifs de Lhassa dans les années 1987-1989, puis, aujourd’hui en 2008, vingt ans après, à la veille des jeux Olympiques de Pékin, dans tout le Grand Tibet jusqu’au Gansu, au Sichuan et au Yunnan en ce qui est désormais la Chine et était avant l’invasion, l’Amdo et le Kham.

Et c’est la flamme de cet esprit de résistance que le Tibetan Youth Congress ainsi que les vastes actions de soutien à travers le monde comme International Campaign for Tibet ou Free Students for Tibet entretiennent de nos jours pour que le Tibet vive à nouveau libre et indépendant, car, comme le magazine Outlook India le résumait en mars 2008, « la CIJ de Genève avait pourtant conclu que le Tibet, tant du point de vue historique que légal, était une nation indépendante occupée de force par la Chine ».

Qu’on se le dise, M. Mélenchon !

Aussi, même s’il a perdu « l’exercice de sa souveraineté », le Tibet, tel qu’il vient à nouveau de le démontrer à la face de la Communauté internationale, n’en n’a point perdu le principe ni encore moins songé un seul instant à « y renoncer ».

Rangzen avec Libre Opinion.

Le Tibet, Que Sais-je ?, n° 3 038, PUF, avril 2008, par Claude B. Levenson.

Du même auteur : Tibet : la question qui dérange, Albin Michel, 2007 ; Ainsi parle le Dalaï-Lama, Balland, 2003 ; Tibet : otage de la Chine, P. Piquier, 2002 ; Tibet : un peuple en sursis, CHRD-Actes Sud, 2000 ; et, parmi d’autres, Le Seigneur du lotus blanc : le Dalaï-Lama, Lieu commun, 1987, à lire absolument.


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