Traîner les pieds

par C’est Nabum
vendredi 30 juin 2023

 

Traité à prendre au pied de la lettre.

 

L'été c'est l'art de traîner les pieds, de prendre son temps afin de se consacrer pleinement à l'art de la procrastination. Le pied nu semble vous libérer des contraintes et des carcans qu'impose une société trop engoncée dans ses convenances. Montrer ses orteils d'une certaine manière, c'est passer la main, lever la jambe et pourquoi pas le coude en dépit des aberrations morphologiques que cela suppose.

S'y prendre comme un pied, le reste de l'année passe pour une coupable pratique mais dès à présent, les doigts de pied en éventail donnent le signal du farniente et de la douceur de vivre. Les godillots sont la seule alternative crédible à cette trilogie du bon vivre : Tong – Savate – Babouche pour peu que vous décidiez de parcourir le pays au pas lent du randonneur hédoniste.

Mais rassurez-vous, une fois à destination, les pieds seront extirpés de leurs camisoles pour libérer arpions et ampoules pour le reste de la soirée. Prendre son pied ce n'est alors que jouer de l'aiguille et du fil pour crever l'abcès et vider le pus qui s'accumule ici ou là où ça fait mal. La sobriété énergétique ne fera jamais la lumière sur le rôle de l'ampoule dans ce pas de côté du Pèlerin en souffrance.

Le pied libéré est cependant la cible des pandores qui exigent qu'ils se plient aux contraintes de la chaussure pour appuyer sur le champignon. C'est faire peu de cas de l'automatisme qui gagne nombre de segments de l'industrie automobile ni de ce plaisir inénarrable de profiter pleinement de la climatisation sur la voûte plantaire. La sécurité impose de curieuses contraintes pour des pieds souvent récalcitrants.

Le pied nu se colore, se charge d'une teinte douteuse. C'est là une difficulté sur laquelle nous devrions passer l'éponge. Il n'est certes pas question de se coucher ainsi pour ne pas se retrouver dans de vilains draps mais que ce petit inconvénient est dérisoire au regard du plaisir d’avoir des pieds aussi sales que des mains de travailleur.

Hélas, le pied ne peut dire : « Peut m'en chaut ! » lorsqu'il parcourt la ville à l'air libre en été. C'est là le royaume du bitume et du pavé, de la surface claire et néanmoins surchauffée pour satisfaire le sens de l'esthétique de décideurs qui ne mettent jamais leurs arpions sur ces chaufferettes immondes. Remarquez qu'ils ne s'essayent pas non plus à la glissade quand il pleut sur ses surfaces instables et glissantes.

Le pied nu a besoin de verdure et de fraîcheur au lieu de quoi, nombre de ses semblables vont se faire griller sur le silicone surchauffé des plages de sable plus ou moins fin. C'est là un mystère que de constater à quel point nos voisins éprouvent le besoin de se brûler les pieds en bandes désorganisées. Le bain de pied ne sera alors qu'un bref moment de répit.

Le pied n'a pas son mot à dire. Il reste dans la coulisse et ne met même pas sa part dans le langage des signes. C'est vous dire à quel point on le laisse au second plan. Il est vrai qu'un pied qui s'émancipe et vous prendrait de haut vous imposerait des contorsions qui ne sont pas de saison. Le pied reste très terre à terre parce qu'il a compris du reste que jamais on ne lui demande son avis. Il s'était ému au début que le vote à main levée n'est pas son corollaire pédestre puis il a laissé filer cette humiliation de plus.

Le pied est un mal aimé, il n'est pas à revenir sur ce point. Il peut bien se la couler douce durant la période estivale d'autant que son avenir est sérieusement mis en cause par tous ces culs de jatte potentiels qui ont cessé de marcher. On ne compte plus tous ces substituts à notre bon vieux pied qui entendent vous faire aller d'un point à une autre sans le moindre effort et souvent à l'énergie nucléaire. Jamais les enfants n'ont aussi peu marché et nous nous préparons des générations de pieds cassés par notre seule faute. C'est à croire que le progrès à le pied dans le nez.

À contre-pied.

 


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