Une brouette dans la cour

par C’est Nabum
lundi 29 août 2022

 

Ça grince dans le vivre ensemble

Encombrements et petits tracas

 

Une cour intérieure, dans un immeuble où la copropriété fixe des règles d'usage et de raison, des principes qui assurent un fragile équilibre entre le quant à soi et le vivre ensemble. Sur une corde raide, chacun cherche à ne pas trop importuner l'autre tout en essayant malgré tout de disposer de cette liberté sacro-sainte qui devrait permettre de faire ce dont on a envie, quand on en a envie, pour peu que les autres n'y trouvent pas à redire.

Curieusement, si les excès, les fêtes occasionnelles, pour peu qu'elles demeurent exceptionnelles, ne posent guère de problème pour peu qu'on prévienne à l'avance et surtout qu'on ne pousse jamais le bouchon trop loin, c'est le petit dérapage du quotidien, l'insidieux et sournois détail qui va faire écho et envenimer les relations.

C'est le cas de cette brouette qui traîne sans raison au milieu de la cour, laissée là, les bras ballants et le ventre vide, bien en travers pour affirmer sa totale vacuité. Elle n'a même pas le bonheur d'être ancienne, en bois, racée et authentique. Elle est tout au contraire d'un vert fadasse, sans âme ni grâce.

Pour peu que le temps s'en mêle, elle va finir par rouiller tandis que son propriétaire feindra de ne pas la reconnaître. Le malheureux, il ne sait plus quoi en faire, lui qui l'a empruntée à une relation dont il a perdu les coordonnées. Où pourrait-il la ranger, lui qui ne dépose d'aucune dépendance dans cet immeuble où il n'est qu'un simple locataire.

Son propriétaire, pour corser les affaires, habite sur place et ne cesse de lui remonter les bretelles à cause de ce véhicule utilitaire sans plus aucune utilité. Il a souvent répété qu'il allait s'en occuper, qu'il ne tarderait pas à la ranger, qu'il y pensait et que si ce ne serait pas demain, ce serait bientôt quand même.

Puis de différés en différés, la brouette est devenue une pierre d'achoppement, un engin faisant abcès, une obsession dans la cour carrée. Les autres ne voient plus qu'elle alors que son responsable l'oublie. Il entend des jérémiades, des plaintes, des lamentations pour cette occupante encombrante d'une cour commune pas assez vaste pour permettre le capharnaüm.

La brouette fait débat, elle provoque courroux et indignation. Les noms d'oiseaux s'échangent tandis que son dernier utilisateur, feint de ne rien entendre. Un jour, il eut le malheur de dire : « Mais elle ne gêne personne ! » pour recevoir une volée de bois vert. Les esprits s’échauffèrent pour un ustensile qui n'avait jamais transporté la moindre bûche.

L'affaire va tourner en eau de boudin. Ce n'est plus possible. Les échanges verbaux se font acides, les envois de SMS ont pris le relais, tandis que la lettre recommandée attend son heure. La brouette est vide mais les hôtes de cette demeure en ont plein le dos de sa présence passive qui les obsède.

Elle va voler, se retrouver sur le trottoir. Mettre une brouette à la rue, c'est sans doute plus facile que son propriétaire. Mais que fera-t-elle sur le trottoir si ce n'est encombrer l'espace public ? Elle ne partira pas avec les poubelles, jamais un ripper ne songerait à ce qu'on mette au rebut un objet si utile.

La brouette a beau disposer d'une roue, rien n'est prévu dans le code urbain pour envisager son parking prolongé sur la chaussée. L'affaire risque de tourner vinaigre tandis qu'il est fort improbable que la fourrière se charge de son sort. Elle demeure un poids mort, une charge elle qui tourne à vide entre la cour et le trottoir.

Son histoire s'achèvera de manière sordide. Un cycliste remontant à vive allure et à contre sens la rue, poussé par son assistance électrique, percutera vivement la pauvrette. Le pilote se retrouvant assis entre les deux brancards, la tête étourdie tandis que d’autres brancards viendront le quérir pour se rendre aux urgences.

L'agitation oubliée, chacun de se demander qui a été cause de ce remue-ménage dans la rue. On cherche à comprendre les raisons de l'incident. On s'interroge vainement. Un témoin oculaire évoque un engin posé sur le trottoir. Un autre affirme que le cycliste allait à tombereau ouvert. Un quidam qui promenait son chien se rappelle que son compagnon a levé la patte de long d'une brouette.

C'est alors que tous de s'exclamer : « Une brouette ? Mais il n'y a pas de brouette ici, ce n'est d'ailleurs pas fréquent de croiser une brouette en pleine ville. » Dans la confusion générale, l'arrivée des curieux puis des secours, le responsable du maudit engin venait soudainement de trouver une solution pour la ranger à l'abri des regards.

Vous voyez, avec un brin de bonne volonté, même les situations les plus inextricables finissent par trouver une solution. Il suffit souvent de presque rien, un simple petit traumatisme crânien, pour que les empêcheurs d'importuner en rond cessent de vous chercher des poux dans la tête.

À contre-emploi.


Lire l'article complet, et les commentaires