Panne d’essence au gouvernement
par Jean-Michel Aphatie
vendredi 16 septembre 2005
Comment faire baisser le prix de l’essence à la pompe ? Cette question intéresse tous ceux qui, depuis quelques semaines, ont pris en plein portefeuille le coup de bambou de l’augmentation du pétrole.
C’est en partant de l’angoisse et de la colère qu’elle suscite que Thierry Breton, ministre de l’économie, a convié, convoqué serait plus juste, les responsables de l’industrie pétrolière française à venir discuter à Bercy, vendredi 16 septembre 2005, à 16 heures. Thierry Breton sera épaulé, lors de cette réunion, par François Loos, le ministre de l’Industrie, plus spécifiquement en charge de ce dossier au sein du gouvernement.
La communication politique est un art complexe. Apparemment, le gouvernement et ses membres pensent avoir le bon sens pour eux dans cette histoire. Quoi de plus juste, donc de plus populaire en effet, que de demander à des pétroliers qui gagnent beaucoup d’argent d’en rétrocéder un peu au consommateur ? L’ennui, c’est que ce bon sens résiste difficilement à l’examen des choses.
D’abord, au nom de quoi, de quelle philosophie, reproche-t-on à des entreprises privées de gagner beaucoup d’argent ? Dans une économie ouverte et concurrentielle, la chose est banale, normale et même à la limite, constitue une bonne nouvelle pour les salariés des entreprises concernées en particulier et l’économie française en général. Là, parce qu’il s’agirait du pétrole, ce serait mal. Pourquoi ? Thierry Breton et François Loos évoquent une notion d’intérêt général qui n’est pas perceptible au premier coup. Ils parlent même "d’entreprises citoyennes", un concept qui pourrait les amener beaucoup plus loin qu’ils ne l’imaginent eux mêmes s’il était appliqué à l’ensemble de l’économie française.
Du coup, puisque c’est mal, le gouvernement menace d’instaurer une taxe sur les bénéfices jugés indus. Grande première qui réclame de la précision : qui fixe la limite entre bénéfices normaux et bénéfices indus ? Par rapport à quels critères économiques cette limite est-elle fixée ? Est-ce un bon signal de voir des bénéfices d’une entreprise taxés ? Le signal pour des investisseurs étrangers ne risque-t-il pas d’être négatif ? On doute, en écoutant le gouvernement, que sa réflexion soit très aboutie sur ce point.
Le carburant, on le sait, est lourdement taxé en France. Du coup, vrai ou faux bon sens, on se dit que si les compagnies pétrolières sont contraintes de rembourser un trop perçu, la même demande pourrait être adressée à l’Etat. Alors là, tout se brouille. D’abord, selon le discours officiel, il n’est pas certain que la hausse du pétrole vaille des plus-values fiscales à l’Etat. Tout augmente, la part de TVA sur le litre d’essence, la part de TVA sur la TIPP mais, au motif que la consommation baisse, dans quel pourcentage ? Il n’est pas certain que les rentrées fiscales sur le carburant soient en hausse. Intuitivement, le discours ne convainc pas.
Le gouvernement doit bien le sentir puisque, dans l’urgence, il a mis en place hier une commission, présidée par un inspecteur général des finances et composée d’élus de la majorité et de l’opposition, pour dire, mois après mois, si les recettes fiscales de l’Etat sur les carburants sont en hausse ou pas. Là, la défiance par rapport au discours officiel atteint des sommets. Les flux financiers, c’est-à-dire l’entrée de TVA dans les caisses de l’Etat, est extrêmement simple à vérifier. Ce sont des lignes comptables que tout fonctionnaire de Bercy est capable d’évaluer chaque jour, tout seul comme un grand, dans la plus grande simplicité. Mettre en place une commission pour faire ce travail paraît totalement démesuré et, pour tout dire, hors de propos. Le renseignement est simple à obtenir et compliqué à utiliser politiquement. Davantage qu’établir la transparence des chiffres, cette commission n’aurait-elle pas plutôt pour objectif d’obscurcir les données financières ? D’introduire de la polémique entre droite et gauche là où la sécheresse des chiffres devrait s’imposer à tous ?
Georges Clémenceau, il y a déjà longtemps, disait qu’en France, quand "on veut enterrer un problème, on crée une commission." Rien de neuf sous le soleil ?