Démocraties représentative et participative : suffrage universel et tirages au sort...

par Daniel RIOT
mardi 24 octobre 2006

Vers la réinvention des « commissaires du peuple » et la « démo-loterie » ? Le révolutionnarisme « démocratique » de Ségolène Royal suscite de légitimes interrogations et soulève des polémiques

Comment revitaliser la démocratie ? Comment redonner (ou donner) plus de vigueur, de muscle, de chair entre « le peuple » et ses représentants ? Comment rétablir (ou établir) la confiance entre les électeurs et les élus ? Comment concilier « démocratie représentative », « démocratie de concertation », « démocratie directe » et « démocratie représentative » ? Débats, études et confrontations d’idées ne manquent pas. C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier les dernières propositions (encore vagues) de Ségolène Royal sur des « jurys de citoyens »...

Les propositions de Ségolène. Dans le cadre de la "démocratie participative" qu’elle entend mettre en place si elle est élue en 2007, elle voudrait faire évaluer « l’ensemble des politiques publiques » par des « jurys de citoyens ». Ces jurys de citoyens « tirés au sort » permettraient d’instaurer « une surveillance sur la façon dont les élus remplissent leur mandat », a-t-elle expliqué lors de la 15e Cité de la réussite à la Sorbonne. Ils fonctionneraient "à partir d’un certain nombre d’indicateurs que l’on pourrait démocratiquement mettre en place", a ajouté Ségolène Royal sans plus de précision.
Pour "associer les citoyens aux décisions qui les concernent", la candidate socialiste a également proposé de mettre en place des référendums d’initiative populaire et des budgets participatifs, sur le modèle de celui qu’elle a instauré depuis 2004 dans sa région Poitou-Charentes. «  Moi, je n’ai pas peur du peuple. Je crois à son intelligence collective », se plaît-elle à répéter...

Les commentaires : Une « idée révolutionnaire, au sens propre et au figuré », lâche Le Figaro. « Mais une idée qui donne du grain à moudre à ceux qui, y compris au sein du PS, l’accusent de populisme. » En effet...

Max Gallo, dans le même Figaro, résume : « L’expression de « jury de citoyens tirés au sort » m’inquiète beaucoup. Car à ce moment-là, il faut être concret. Qu’est-ce que ça veut dire ? Tiré au sort parmi quel corps électoral ? Comment tire-t-on au sort ? Qui organise le tirage au sort ? Qui sont ces citoyens ? Combien seront-ils ? On entre dans une imprécision, dans un flou qu’il faut qualifier de démagogique, et, si j’étais excessif, je dirais que cela me fait penser qu’au terme de ce type de mise en oeuvre - en apparence - de la démocratie, on a la Révolution culturelle du président Mao, qui voulait « tirer sur le quartier général » et faire juger les professeurs et tous les représentants par le peuple, représenté par les militants qui viennent juger et condamner ceux qui sont élus. » Et l’historien d’ajouter : « On peut craindre que, dans le cadre politique, les jurys de citoyens deviennent très rapidement des tribunaux populaires. On sait à quoi cela peut conduire [...] Qu’il faille une évaluation du travail des élus, pourquoi pas ? Que les élus aient à rendre des comptes, pourquoi pas ? Mais, en démocratie, on n’a pas trouvé mieux pour rendre des comptes que le suffrage universel au terme d’une durée fixée par la loi. »

La balle a vite été reprise au vol par les deux autres prétendants socialistes. Dominique Strauss-Kahn s’y est déclaré opposé : "Généralisons les comptes-rendus de mandats, mais pas de jurys populaires. Le suffrage universel, c’est la règle et dans l’intervalle, entre deux élections, des comptes-rendus aussi fréquents que possible", a-t-il déclaré sur Europe 1. Quant à Laurent Fabius, il a jugé cette "dimension locale" prônée par Ségolène Royal comme " intéressante mais pas suffisante". L’ex-Premier ministre a estimé que "ce n’est pas seulement à partir de la région que l’on renforcera le pouvoir d’achat des salariés ou que l’on combattra le réchauffement de la planète. »

La polémique ne fait sans doute que commencer. C’est logique : c’est le principe même de la démocratie représentative qui est remis en cause ou menace de l’être. Concertation et participation ne riment pas avec « commissaires du peuple », avec tous les risques d’arbitraire... « par tirage au sort ».

Déjà, les pouvoirs politiques sont trop souvent limités dans leurs actions par les poids des sondages et de la rue... et par des contraintes administratives, ou plutôt bureaucratiques qui s’exercent avant, pendant et après toute action, toute entreprise, toute réforme.

Revenons à Montesquieu et à sa séparation des pouvoirs : là il y a énormément de choses à faire. Redonnons au Parlement le rôle (d’initiative et de contrôle) qu’il n’a plus en France, mais qu’il conserve ailleurs. Rendons plus « représentatives » les deux assemblées. Donnons aux instances d’études et de prospectives (comme le Conseil économique et social) plus de représentativité et plus de compétence : elles sont souvent des placards dorés. Redonnons au Commissariat au plan l’esprit qu’il avait quand de gaulle et Monnet l’ont créé. L’idée de Bayrou d’un haut Conseil d’alerte est nettement plus porteuse d’avenir que cette curieuse réinvention des commissaires du peuple tirés au sort.

Les idées avancées par l’Association française des conseils en affaires publiques doivent être plus débattues et approfondies, en tirant parti de ce qui se fait de mieux dans d’autres pays. Attention aux idées-gadgets, aux « fantasmes marketing » et aux initiatives plus chargées d’illusions démagogiques que porteuses d’une authentique modernisation. « Ne pas avoir peur du peuple », c’est d’abord ne pas confondre peuple et populace ou masse. Ce n’est surtout pas faire du suivisme quantitatif, pratiquer cette doxocratie qui fait tant de ravages, à tous les niveaux.

Concilier intérêt général et intérêts particuliers, dépasser la fragmentation et l’antagonisme des intérêts, des savoirs et des aspirations, articuler le local et le général, gérer le présent en préparant l’avenir ne se fait pas par tirages au sort. On ne maîtrisera pas « l’économie-casino » si dénoncée par une « politique-loto » ou une « démo-loterie » : on risquerait d’y perdre, au grattage et au tirage.

La République française, fausse monarchie oligarchique vraiment vieillissante, doit être réformée en profondeur, mais des améliorations ne doivent pas être des régressions...


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