Le choc des générations

par Rage
mercredi 30 novembre 2005

Fin de règne à bout de souffle, émeutes et grèves à répétition, le second mandat de M.Chirac n’a fait que révéler les carences, et les erreurs effectuées depuis trente ans. Aujourd’hui, ce sont ceux qui sont à la marge de la vie active qui payent les pots cassés... Pour combien de temps encore ?

Je suis né en 1981, année de la 1ère élection de F.Mitterrand. Depuis, je n’ai connu que deux visages de présidents, alors que d’autres, dans d’autres pays, (démocrates), ont pu en connaître six ou sept.

La caractéristique profonde qui définit notre époque est non seulement marquée par un canyon social évident, mais plus encore par une déchirure générationnelle : en effet, aujourd’hui, mieux vaut être arrimé à son poste plutôt qu’à la marge du système de la vie active.

Ainsi, il existe une génération de sacrifiés "seniors", ceux dont on ne parle jamais parce qu’ils ne possèdent pas le pouvoir, parce qu’ils n’ont pas de relais politique autre que celui de la contestation très rapidement stigmatisée et déviée à des fins "politiques" (syndicats, LCR, PC, FN, etc.). En somme, ces extrêmes, qui se nourrissent de la détresse de ceux qui ne sont plus dans les rails du système, ne sont en rien une solution, ni un organe de représentativité.

Pourtant, les 15 000 morts de la canicule auraient dû soulever une indignation nationale. Morts dans l’anonymat, dans des conditions indicibles et sans assistance, belle récompense de la classe au pouvoir et de ses enfants à ceux qui ont peut-être travaillé toute une vie pour mourir dans l’indifférence générale.

Bien sûr qu’il aurait fallu réagir, mais nous ne l’avons pas fait.

En France, il existe aujourd’hui une partie de seniors pauvres, voire très pauvres, alors que d’autres seniors concentrent 80% des richesses du pays. Il suffit de voir l’âge moyen de nos gouvernants (61 ans), l’âge moyen des PDG du Cac 40 (58ans), l’âge moyen des détenteurs de portefeuilles boursiers, pour comprendre que l’argent et le pouvoir sont concentrés exclusivement dans les mains d’une minorité. Pour stigmatiser, disons que cette minorité représente 10% des actifs (5% de la population) et concentre 80% des richesses : un beau reflet des inégalités mondiales au sein même de notre beau pays de "libertés".

Certains diront que c’est la faute des jeunes si... Peut-être, mais peut-être pas.

Ayant 24 ans aujourd’hui, je serais fier et heureux de pouvoir cotiser pour la retraite de mes parents (puisqu’on ne cotise pas pour soi, en réalité, mais pour ceux qui sont retraités à la date D), je serais fier de donner de l’espoir en m’accomplissant par mon travail, mais aussi et surtout dans ma famille et dans mes activités de passion. Oui, j’aurais pu l’être, fier.

Cependant, aujourd’hui, en 2005, la France est un pays qui marginalise les jeunes, bien évidemment les plus précaires et exposés des cités, mais aussi tous ceux (classe moyenne en premier lieu) qui ont cru dans l’ascenceur social des études supérieures. Un chiffre claque dans l’air : 25% de chômage.

Mais combien de "jeunes" ne sont pas comptés, parce qu’ils sont étudiants six mois de l’année, en stage, ou même en "jobs étudiants" ? 25% ? 50% ? La fracture sociale est aujourd’hui stigmatisée par une fracture de génération : les jeunes buttent sur leur premier emploi (celui pour lequel ils se sont formés), alors que ceux qui sont en poste se battent pour le conserver, quitte à s’arrimer contre vents et marées.

Cette idée, qui risque d’en faire hurler plus d’un, n’est que le constat lucide de la réalité perçue par ma génération (vous savez, celle qu’on n’entend jamais). Elle est cristallisée par le paysage politique, immuable, statique et invariable, qui fait que quand on évince un élu, il réapparaît ailleurs. Elle est également cristallisée par l’immobilisme de fait, la réticence au changement, la peur de prendre des risques, l’absence de projection dans l’avenir, l’absolue non volonté, ou même l’attachement au passé révolu.

Cette vision, elle peut s’expliquer psychologiquement, comme le disaient certains articles d’Enjeux Les Échos de mars dernier, par l’âge de nos gouvernants. Peut-on diriger un pays ou une entreprise avec la même envie ou la même créativité à 70 ans qu’à 20 ans ? La réponse est évidente, à 70 ans on n’a plus grand chose à prouver, et on n’a peut-être pas envie de prendre des risques. A 20 ans, on a tout à faire, et c’est bien pour cela qu’on tente des choses.

Les gouvernements les plus jeunes (40 ans avec l’expérience) sont souvent ceux qui réalisent le plus d’avancées, par naïveté ou par volonté, mais, en tous les cas, ils TENTENT des choses. Tout ne marche pas, mais au moins, ils ESSAYENT.

A 24 ans, aujourd’hui en France, je n’ai aucune perspective. Sans emploi et avec l’inertie des temps de réponse (2 mois minimum), il m’est impossible d’envisager l’avenir. Sans salaire, je ne peux pas consommer, je ne peux rien construire. Sans sécurité du poste (CNE.com) je suis sur un siège éjectable, et le travail devient une corvée, alors qu’il n’est qu’un moyen de réaliser des choses simples : se nourrir, se loger, se déplacer, se divertir. Vous me demanderez mon niveau d’étudesn ? J’ai un Bac+5, mention Bien. J’ai d’ailleurs eu toutes mes années avec mention, et la pilule est d’autant plus amère qu’on nous raconte des berceuses à longueur de journée.

Comment, à mon âge, avec mon niveau d’études, serait-il possible d’être optimiste pour l’avenir, alors que je n’ai aucun écho de la part de mes dirigeants (employeurs ou politiques) ? Notre génération (20-30 ans) n’est même pas représentée sur l’échiquier politique, nous n’avons pas de porte-parole, et surtout nous n’avons aucun moyen d’accéder à ce droit d’expression.

Alors oui, je ressens le même malaise, la même rage que ceux des banlieues. Je n’irai pas brûler la voiture de mon voisin pour autant, mais j’en ai également gros sur le coeur, de voir des jeunes sacrifiés ainsi sur l’autel de l’ignorance ou de la bêtise volontaire (Larcher, Robien, Perben...) alors que de l’emploi, il en existe partout. Il en existe dans les hôpitaux, dans les tribunaux, dans les organismes d’État, pour peu qu’on se décide à limiter les excès. Il en existe également dans le privé, en élargissant les marchés publics, en donnant du pouvoir d’achat aux jeunes qui n’ont pas d’emploi et sont contraints de dilapider la moitié de leur salaire en logement.

Les ignorants sont bénis. Mais je ne suis pas ignorant. Conscient de la prison dans laquelle on nous enferme, je souhaite vivement que les jeunes comme moi prennent un jour la parole, comme ils l’ont fait un mois d’avril 2005 devant M.Chirac, pour montrer à quel point la réalité est différente, selon le point de vue où l’on se place.

Ceci n’est pas un chant de Cassandre, ou une litanie gratuite, il s’agit d’un appel à la raison : un pays ne peut pas espérer progresser s’il musèle ses jeunes, non seulement parce que ceux-ci sont dépendants plus longtemps des finances de leurs parents, mais aussi parce qu’ils ne génèrent plus les richesses qui devraient assurer une retraite décente à leurs grands-parents.

C’est par cette voie seule que peut s’exprimer la solidarité générationnelle. Faut-il encore rétablir la confiance des jeunes... Pour cela, il faudra enfin avoir le sens des responsabilités, et faire changer les têtes qui nous dégouvernent.


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