Pourquoi moi, homme de gauche, je vais voter Bayrou

par Gabriel Xavier Culioli
lundi 12 mars 2007

J’appartiens à une famille qui, des deux côtés, vote à gauche depuis trois générations. Et pourtant, tout comme ma sœur, je m’apprête à voter pour François Bayrou sans complexe et sans remords.

J’ai toujours voté à gauche parce que telle est ma culture familiale et politique. Un peu naïvement, je pensais que la générosité et l’altruisme se situaient côté cœur. Cadre intermédiaire de la CGT et ancien militant de la Ligue communiste, j’ai été terriblement déçu par la gestion mitterrandienne. J’ai été choqué par sa conception monarchique de l’état qui ne rompait absolument pas avec le concept gaullien très proche de celui de la monarchie constitutionnelle.

La gauche n’a non seulement rien changé mais elle s’est glissée avec délices dans la tunique gaulliste. Ce faisant, elle n’a pas pris la mesure des difficultés engrangées par les classes moyennes. Notre catégorie est vertueuse par définition. Nous ne pouvons pas nous dérober à l’impôt.

Mais surtout, nous savons que, pour nos enfants, nous n’avons d’autre solution que d’avancer, de comprendre le monde environnant de nous adapter. Mais parce que nous nous rappelons de nos origines modestes, nous possédons encore la capacité à nous émouvoir du sort des autres.

Or c’est notre classe sociale qui joue les vaches à lait pour un Etat confisqué par une nouvelle aristocratie. Qu’elle soit de droite ou de gauche, elle n’a de cesse de s’accaparer les postes de pouvoir, de s’arroger des privilèges non-écrits que l’on constate au détour de petits scandales tels que l’affaire des appartements de Royal et Sarkozy. Ou encore celui de l’EADS, fromage livré aux appétits de partenaires privés et saboté par des seigneurs de guerre intouchables.

Je l’avoue : j’en ai plus qu’assez des promesses de campagne jamais tenues, de ce vocabulaire branché tout droit sorti des officines de communication, creux comme l’espérance qu’il nous offre.

Je m’inquiète pour mes enfants bloqués entre deux étages par un ascenseur social qui ne sert plus qu’à la couche endogamique des petits marquis roses et bleus. Oui j’ai toujours voté à gauche en espérant que le pays irait mieux pour les plus démunis. J’ai longtemps cru que le langage maternant de la gauche aiderait les plus misérables à s’en sortir. J’avais tort. Le pays s’est enfoncé dans une débâcle psychoéconomique qui n’a servi que les intérêts de deux cents familles et des grandes sociétés.

Il n’y a plus d’autres solutions, si nous voulons nous en sortir (je veux parler de la France), que d’inventer de nouveaux chemins respectueux d’une véritable équité sociale mais aussi (et c’est fondamental à mes yeux) de l’environnement. Changements essentiels survenus en deux décennies : les partis traditionnels de la gauche ont vécu. Le PC agonise. L’extrême gauche est devenue une valeur refuge fossile. Le PS a été confisqué par un François Mitterrand qui ne doit qu’à son seul génie machiavélique d’avoir su faire cohabiter des sociaux-démocrates pur jus et des révolutionnaires en mal d’une revanche. C’est fini. Terminé.

François Bayrou a des qualités uniques à mes yeux. D’abord il est celui qui va nous venger de tous les outrages subis de la part des partis traditionnels. Et il le fera en barrant la route à l’extrême droite raciste. Il a donc pour lui le syndrome Astérix, le petit Gaulois qui fait la nique aux empires. Il est libre d’un parti puisque l’UDF cette chose grotesque, constituée contre le RPR n’existe pas réellement. Et tous les barons de ce centrisme de droite ont rejoint la gamelle de l’UMP.

Bayrou est le seul à vouloir réduire la dette qui nous saigne à blanc. Il veut mettre un terme aux débats artificiels entre une gauche qui pour se distinguer embouche les trompettes d’un post marxisme dépassé et un Sarkozy qui fait le grand écart entre l’électorat lepéniste et la gauche de son propre parti. Enfin, il est issu d’un milieu modeste et a enseigné. Il n’appartient donc pas au sérail de l’énarchie qui nous a offert le miel de la classe politique actuelle. Mais surtout, surtout, François Bayrou a promis de mettre fin à la constitution de la Ve République, texte qui date d’un demi-siècle (c’est très long dans le monde actuel) et qui ne remplit plus son rôle. J’ajouterai une dernière raison qui rejoint la première : l’avancée spectaculaire de Bayrou le transforme en la seule vraie aventure de cette élection qui était jouée d’avance. Il l’a d’ailleurs formidablement bien jouée en s’opposant à TF1 et aux médias, déjà rendus à la raison des marchands d’armes et de béton, leurs patrons.

Tenez rien que le fait d’imaginer la tête d’un Nicolas Sarkzoy battu me rend hilare. Car Bayrou est le vote utile par excellence contre la droite et l’extrême droite. C’est d’ailleurs tout le drame du PS qui, si il ne parvient pas au second tour, devra tirer le bilan d’une décennie de défaites successives. De quoi faire exploser cette navette spatiale en pleine décrépitude.

Quant aux législatives, je ne peux croire que le miracle républicain que représenterait la victoire de Bayrou ne soit transformée par un peuple en définitive très cohérent dans son vote.

Bien entendu que le lundi d’après le vote on ne votera pas gratis. Mais nous allons apprendre qu’on se forge son propre destin, que le déclin de la France n’est pas irréversible et que, nous autrres qui habitons des régions excentrées, avons aussi nos preuves à faire.

L’avenir nous appartient si nous savons nous en emparer. J’attends notamment du futur président qu’il respecte le pacte passé avec Nicolas Hulot.

C’est une chance incroyable qui nous est offerte. Et puis il faut que j’avoue un dernier sentiment : je vais voter Bayrou par pur plaisir. Pas simplement par raison, pas simplement par sympathie mais aussi parce que ça me fait plaisir et que depuis 1981, j’étais devenu vieux en politique.

Alors oui, Bon Dieu de bois, je suis toujours de gauche, résolument de gauche et je ressens un enthousiasme que je ne me connaissais plus. Une sorte de remontée de sève tout à fait savoureuse. La vie est belle et demain sera plus beau qu’aujourd’hui dans une république des vraies vertus plutôt que dans celle des petites vertus.


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