Les origines du SARS-CoV-2 : la piste d’un double gain de fonction

par Bernard Dugué
lundi 22 mars 2021

 

 1) Les cousins du SARS-CoV-2

 La science n’a pas encore élucidé les origines du SARS-CoV-2, ce virus dont l’origine est zoonotique et qui au milieu de l’année 2021 ; aura causé plus de 3 millions de décès dans le monde. Tous les virus circulants sont générés par des souches ancestrales modifiées par des mutations de plus ou grande ampleur. Deux questions se posent. Quel est le réservoir animal d’origine ? Quels événements biologiques ont conduit de la souche zoonotique vers la souche humaine SARS-CoV-2 extrêmement contagieuse et dix fois plus létale qu’une grippe. Le SARS-CoV-2 appartient à la sous-famille des sarbecovirus incluse dans la famille des bêtacoronavirus. Cette origine est clairement identifiable en analysant quelques motifs protéiques fortement conservés sur la sous unité S2 alors que la sous-unité S1 est bien plus variable et contient la clé d’attachement du virus aux membranes. D’abord le peptide de fusion sur la sous-unité S2 ; quelque 50 acides aminés sont conservés à la lettre près sur des souches retrouvées chez la chauve-souris, notamment sur la RaTG13 récupérée en 2013, ainsi que des virus prélevés ces dernières années sur des pangolins. Ensuite le code trypsine (site de clivage réalisé par protéine à sérine TMPRSS2) adjacent dont la formule est skpskrs. Le peptide de fusion est le même pour tous les sarbecovirus, y compris le SARS de 2003 dont le code trypsine est légèrement différent lkptkrs. Des virus animaux apparentés au SARS ont également ce code skptkrs. D’autres protéines sont extrêmement conservées. C’est par exemple le cas de la protéine accessoire ORF 6 (possédant une fonctionnalité anti-interféron) ou alors le domaine riche en sérine de la protéine N constituant la nucléocapside. L’origine animale ne fait aucun doute, ni le réservoir issu des chauves-souris, même si l’on ignore l’espèce intermédiaire. La souche la plus proche étant la RaTG13 dont l’homologie du génome est de 96%, ce qui semble peu mais représente beaucoup en nombre de mutations, les 4% d’un génome de coronavirus représentent tout de même quelque 1200 bases. Les variants du SARS-CoV-2 qui ont le plus muté après 15 mois de pandémie ne divergent que de 40 bases. En 2003, le SARS-CoV qui causa quelque 800 décès était issu d’un réservoir animal où figuraient les chauves-souris et les civettes palmées. Da divergence en base est de 20% par rapport au virus de 2019.

 

 Il est clair que SARS-CoV-2 est issu d’un réservoir de sarbecovirus composé de chauves-souris et de pangolins. Pour passer de la souche animale à la souche humaine il a fallu une série de transformations. Un virus ne saute pas facilement d’une espèce à une autre. Une ou plusieurs étapes intermédiaire sont plausibles :

 

 Pangolin ou Bat (2013-19) → SARS-X → (Y ?) → SARS-CoV-2 (2019)

 

 Une flèche représente une transformation dont le principe et le mode opérationnel sont explicités par le concept de « gain de fonction »

 

 2) Le concept et l’expérience de « gain de fonction »

 Les virus capables alors de franchir les barrières inter-espèces ou alors de modifier leur tropisme au sein d’une même espèce et par exemple, un virus respiratoire peut devenir entérique et inversement. Ces événements biologiques sont connus depuis des décennies ; ils ont été observés pour les coronavirus et les virus grippaux. Les virologues étudient en laboratoire comment un virus peut passer d’une espèce à une autre. Ils réalisent des expériences de « gain de fonction ». Le principe consiste infecter soit des cellules in vitro, soit des animaux, et d’observer si une souche infectieuse infecte une cellule ou bien un animal, générant alors des symptômes. Le génie génétique s’est invité dans ces expériences. En ce cas, le génome d’une souche virale est modifié et son potentiel infectieux est étudié. D’éminents infectiologues ont cru bon de signaler que la nature réalise parfois des expériences de gain de fonction. Mais la nature n’imite pas la science. C’est l’inverse, le gain de fonction est un processus par essence naturel, pouvant être étudié en laboratoire en utilisant un dispositif expérimental adéquat. C’est ce qui est réalisée depuis plus de deux décennies. Un papier publié en 2000 explique comment un coronavirus peut être « transformé » en virus chimérique et passer de la souris aux félins. Au cours de cette expérience, un gain de fonction a été observé pour le virus chimérique mais aussi une perte de fonction puisque les cellules de souris n’étaient plus infectées. Cette étude utilise la technique de recombinaison ciblée d’ARN :

 « La famille des Coronaviridae contient les agents responsables d'un certain nombre de maladies respiratoires et entériques importantes affectant les humains, d'autres mammifères et les oiseaux. L'une des caractéristiques de cette famille est que la plupart de ses membres présentent un très fort degré de spécificité pour l’espèce hôte, que l’on explique par les interactions des virions avec des récepteurs de cellules hôtes. (…) En utilisant la recombinaison d'ARN ciblée, nous avons construit un mutant du virus de l'hépatite de souris coronavirus (MHV) dans lequel l'ectodomaine de la glycoprotéine de pointe (S) a été remplacé par l'ectodomaine très divergeant de la protéine S du virus de la péritonite infectieuse féline. Le virus chimérique généré, appelé fMHV, a acquis la capacité d'infecter les cellules félines et a simultanément perdu la capacité d'infecter les cellules murines en culture tissulaire. Ce changement réciproque de tropisme appuie la thèse que le tropisme des coronavirus est déterminée principalement au niveau des interactions entre la protéine S et le récepteur du virus (…) le fMHV est potentiellement le virus receveur idéal pour réaliser la génétique inverse du MHV par recombinaison d'ARN ciblée, car il présente la possibilité de sélectionner des recombinants, aussi défectueux soient-ils, qui ont retrouvé la capacité de se répliquer dans les cellules murines. » (Kuo, 2000)

 Si j’ai choisi cette étude, ce n’est pas par hasard mais parce qu’elle place sous les radars la protéine S, dite de pointe ou spicule, devenue emblématique à l’époque du SARS-CoV-2. En règle générale, tous les virus utilisent une porte d’entrée spécialement adaptée, sélectionnée, et qui est une protéine dotée d’une double fonctionnalité, l’adhésion à la membrane externe de la cellule hôte et la fusion permettant au virion d’entrer dans le cytoplasme pour réaliser les étapes de réplications.

 

 3) Les craintes liées aux expériences de gain de fonction

 Il y a 20 ans, les expériences sur les coronavirus n’étaient pas considérées comme potentiellement risquées, voire dangereuses. Et pour cause, à cette époque, les coronavirus étaient perçus comme des virus anodins, devenus courants et tout simplement embêtants pour les humains, produisant des rhumes à répétition. La situation allait changer avec l’apparition du SARS-CoV en 2002 et les quelques 800 décès causés en 2003, plus quelques 8000 infectés par ce « nouveau coronavirus ». En France, la canicule laissa dans l’ombre cette épidémie qui fut aussi vite oubliée que contenue. Le nouveau coronavirus de 2003 était en effet peu contagieux et seuls les symptomatiques pouvaient transmettre le virus. En revanche, les radars de l’infectiologie se portèrent vers le plus redouté des virus potentiellement pandémiques, le H5N1 aviaire. Il arrive parfois que des virus passent la barrière entre oiseaux et mammifères. C’est aussi le cas pour les coronavirus de type gamma et delta dont le réservoir d’origine est aviaire. Puis arriva la pandémie grippale H1N1 de 2009 qui fut redoutée parce que le virus était un H1N1 comme celui de la grippe espagnole et qu’il résultait d’un réassortiment avec un virus porcin, si bien que cette maladie, désignée abusivement comme grippe mexicaine en raison de son origine géographique, fut nommée tout aussi improprement grippe porcine. A cette époque, les laboratoires ont poursuivi les expériences de gain de fonction sur les virus grippaux. Une vive controverse agita la communauté scientifique il y a une décennie. Le sigle GOF, lorsqu’il désigne une expérience faite avec les virus grippaux, a pris une un sens péjoratif, signifiant quelque chose de dangereux, risqué, voire même infâme, alors que GOF ne désigne qu’une seule chose, l’acquisition par un virus d’une propriété supplémentaire (Casadevall, 2014).

 Le processus inverse de perte de fonction est tout aussi répandu dans la nature et d’ailleurs, la perte de fonction semble accompagner l’évolution des virus, avec la déperdition génétique, autrement dit la perte de fonctionnalités fondamentales. A l’exception des virus géants, les virus infectant les espèces n’ont pas de gènes pour le métabolisme ni la fabrication des protéines. Le cas des coronavirus est exemplaire. Ces virus appartiennent à l’ordre des nidovirales composé de virus à ARN de polarité positive. Les coronavirus ont comme spécificité un génome de très grande taille, dont la réplication fait intervenir une exonucléase (nsp14) censée corriger les erreurs. Les nidovirus dont le génome est la moitié de celui d’un coronavirus sont dépourvus de l’exonucléase, ce qui traduit une perte de fonction pour ce type de virus. Cette déperdition génétique intéresse de près les chercheurs en génétique des virus, offrant des indices sur l’évolution des virus et leur séparation phylogénétique. En revanche, les gains et perte de fonction observés en laboratoire et dans la nature concernent de petites modifications dont les conséquences peuvent être très importantes, avec un changement de tropisme. Les coronavirus sont redoutables avec leur mécanisme complexe utilisant l’exonucléase nsp14 et un procédé de réplication utilisant des ARN subgénomiques. Ces outils permettent au coronavirus de se transformer par recombinaisons puis de se stabiliser en limitant les erreurs de copie. Ils échangent des « cassettes » comme le disent les virologues. C’est comme s’ils se passaient des mini clés UBS contenant des motifs, des codes spéciaux. En revanche, les alphavirus et picornavirus, eux aussi pourvus d’un ARN positif, ne disposent pas d’exonucléase ; ils mutent alors avec la multiplication des erreurs de copie.

 Les expériences de gain de fonction sont devenues habituelles. Mais la donne a changé et nous voyons actuellement des virologues réputés mettre en cause ces expériences dans le contexte de la pandémie de Covid. L’un d’entre eux a même considéré que ces expériences visant à mieux connaître la circulation des virus revenait à détecter une fuite de gaz en utilisant une allumette.

 

 4) Retour vers le futur avec l’épidémie de SARS-CoV en 2003

 

 a) En 2011, nous pouvions lire ces lignes prémonitoires écrites dans une mini revue signée Rachel Graham et Ralph Baric : « En nous appuyant sur des évidences scientifiques, la question sur l’émergence d’un coronavirus hautement pathogène n’est pas de savoir si cet événement aura lieu mais quand il se produira. La grande inconnue concerne la possibilité de contrôler l’épidémie et de développer des traitements ou des vaccins efficaces » (Graham, 2011). Cette revue est remarquable à plus d’un titre. Elle met l’accent sur les mécanismes moléculaires impliqués dans les infections à coronavirus tout en précisant comment ces virus diffusent dans les réservoirs animaux et passent parfois chez les humains. Ou alors d’une espèce animale à une autre, occasionnant chez l’espèce ayant reçu le virus en état de fonctionner une pathologie. C’est ce qui a été observé depuis quatre décennies pour les félins, les visons, les chiens, les bovins, les porcs, infectés par des virus ayant changé leur tropisme.

 Chez l’homme, deux coronavirus peu agressifs mais assez contagieux circulent depuis au moins six décennies, le 229E et le OC-43. Après la crise du SARS en 2003, deux autres coronavirus ont été observés en 2004 et désignés « nouveaux coronavirus » ; le NL-63 et le HKU1. Le NL-63 a été identifié sur des prélèvements effectués sur un jeune enfant atteint de bronchiolite sévère et de conjonctivite. C’est le quatrième coronavirus pathogène pour l’homme. Sa séquence indique que ce n’est pas un virus recombinant mais une souche nouvelle appartenant au groupe alpha (comme le 229E) dont la partie N-terminale de la protéine S est unique en son genre. Mais d’autres études énoncent la possibilité d’une succession de nombreuses recombinaisons à l’origine du NL-43 (Graham, 2011). Ce virus a été retrouvé sur d’autres patients d’âge jeune et donc caractérisé comme un nouveau pathogène (van der Hoek, 2004).

 Le HKU1 a été séquencé à partir d’un prélèvement nasopharyngé sur un patient âgé de 71 revenant de Shenzen et atteint d’une pneumonie (Woo, 2005). Le HKU-1 a été lui aussi catégorisé comme nouveau coronavirus pathogène mais appartenant au groupe bêta. Il aurait même été actif à l’époque du SARS, détecté sur une patiente de 35 ans souffrant de pneumonie et testée négative au SARS-CoV. Ces deux nouveaux virus ne sont visiblement pas très contagieux, circulant à basse intensité et causant des troubles quelques fois sérieux. En revanche, ils montrent que la série des souches contagieuses de coronavirus s’est étendue. Rien qu’entre 2002 et 2012, quatre virus sont apparus, dont les terribles SARS-CoV et MERS-CoV.

 

 b) Nul ne sait quand et comment les nouvelles souches émergent. En revanche, les analyses génétiques et les expériences menées en laboratoire permettent de tracer un schéma universel associant deux éléments, la modification du génome (recombinaison et/ou mutation) et le gain de fonction. Les coronavirus sont connus pour leur capacité à générer des recombinaisons homologues qui sont en réalité des processus universels du vivant, employé par les génomes des espèces lors de la méiose, ce qui permet d’échanger des morceaux de texte génétique. Les évolutionnistes pensent que ces processus contribuent largement à l’émergence des espèces. Le point sensible des coronavirus, c’est la protéine S, la deuxième en taille, quelque 1300 acides aminés. Le génome du SARS-CoV contient au moins sept domaines accessibles aux recombinaisons repérés sur les gènes de la réplicase et de la protéine S. Ces recombinaisons se produisent lors d’infection croisées et n’ont rien de stochastique. La recombinaison homologue est au contraire un mécanisme employé par le vivant pour on ne sait quelle stratégie ni quelle finalité inhérente aux espèces et pourquoi pas, aux virus ou du moins à l’infection virale, étant entendu qu’on ne peut pas dissocier l’objet virus comme on le fait pour l’objet conceptuel espèce. Un virus ne se conçoit pas indépendamment de la relation complexe qu’il établit avec l’hôte. A l’instar du langage inconcevable indépendamment des locuteurs.

 Les coronavirus semblent sauter assez facilement d’une espèce à une autre. Les observations et analyses ont montré que les gains de fonction causant les changements de tropisme sont imputables pour l’essentiel aux codes d’entrée de la protéine S. Après l’épisode épidémique de 2003, des cas d’infections zoonotiques ont été observés en Chine lors de l’hiver 2004, sans pour autant produire une résurgence de l’épidémie. Des patients ont été contaminés par la civette palmée. Les virologues ont trouvé 99.8% d’homologie en comparant le SARS humain et le SARS-like prélevé sur des civettes himalayennes vendues sur le marché de Shenzhen. Le chien viverrin (racoon dog), prisé pour sa fourrure, a lui aussi été considéré comme un transmetteur potentiel du virus SARS vers l’homme. Les transmissions de l’animal à l’homme sont des événements viraux sans doute plus fréquents que ne l’indiquent les surveillances épidémiologiques. En 2013, six travailleurs ont été infectés dans une mine du Yunnan par une souche RaTG13 de chauve-souris. A Hong Kong, des analyses sérologiques en 2001 sur des sujets en bonne santé ont trouvé des anticorps dirigés contre des virus de type SARS, laissant penser qu’un nombre conséquent de patients ont été en contact avec un SARS-CoV deux ans avant l’épidémie menaçante de 2003 (Graham, 2011). La plupart de ces événements sont sans incidence épidémique sauf dans de rares cas où un nouveau virus apparaît, « gagne en fonction » pour « coloniser » le réservoir humain et devenir un agent épidémique ou endémique.

 

 5) L’hypothèse du double gain de fonction

 Le SARS-CoV de 2003 avait un tropisme bien précis, infectant les poumons mais aussi les voies digestives. Les patients affectés par le SDRAS étaient atteints de pneumonie et assez souvent de troubles gastro-intestinaux. Les sarbecovirus sont connus pour occasionner chez les mammifères des troubles entériques. Le nouveau virus apparu à Wuhan possède lui aussi les deux tropismes, pulmonaire et entérique, auxquels s’ajoute un tropisme nasopharyngé. C’est ce tropisme supplémentaire qui explique la puissante contagiosité du SARS-CoV-2, véhiculé par les gouttelettes nasales expulsés dans l’air. Ce virus est de plus transmissible par des patients présentant des symptômes légers voire aucun symptôme. Tout se passe comme si le virus de 2019 était issu d’un virus de type H-CoV-SARS après avoir été transformé par un ou deux gains de fonction très avantageux puisque le virus est devenu contagieux avec son tropisme des voies respiratoires supérieures. Ce nouveau tropisme rend le virus plus contagieux, ce qui n’exclut pas un gain de fonction pour l’infection pulmonaire responsable de la dangerosité du SARS-CoV-2, capable de propager sur l’épithélium alvéolaire dont la surface totale est tout de même chiffrée en dizaines de mètres carrés.

 

Un fait n’a pas échappé aux virologues ; il est même devenu un point central dans l’enquête sur l’origine du virus. La protéine S du SARS-CoV-2 possède deux sites de clivage, autrement dit deux codes d’entrée. Le code trypsine skpskrs associé au peptide de fusion et un code furine sprrars placé au milieu de la protéine et censé être clivé par la furine. Voici la séquence exacte de ce domaine pour la protéine S appartenant au coronavirus de Wuhan et en dessous, à la souche RaTG13 récupérée en 2013 sur une chauve-souris. La troisième séquence figure sur un virus de pangolin enregistré en 2020

 

661 ecdipigagicasyqtqtnsprrarsvasqsiiaytmslgaensvaysnnsiai (SARS-CoV-2)

661 ecdipigagicasyqtqtns (...) rsvasqsiiaytmslgaensvaysnnsiai (RaTG13)

661 ecdipvgagicasyhsms sfrsvnqrsiiaytmslgaensvaysnnsiai (GenBank : QIQ54048.1)

 

Le motif prrars est reconnu par la protéase transmembranaire furine. C’est ce motif qui distingue le SARS-CoV-2 des autres souches animales dont certaines protéines sont similaires. On note la conservation à 100 % de deux protéines, l’une est la protéine E de l’enveloppe, elle est structurale, l’autre est la protéine accessoire codée par la séquence ORF6 et qui a été impliquée dans l’interférence entre le SARS-CoV-2 et la signalisation immunitaire (voir mon précédent article). La comparaison des gènes montrent une conservation remarquable des gènes codant pour E, et ORF6, respectivement 99.6 et 98.4 (Zhou, 2020). Ce qui signifie, en supposant une filiation entre RaTG13 et H-CoV, une mutation silencieuse pour le gène N et trois mutations pour le gène ORF6. En revanche, d’autres gènes sont moins conservés. Le domaine de liaison RBD sur S diverge de 10% en acides aminés, ce qui représente tout de même quelque 20 substitutions et ne surprend pas car ce domaine est connu pour ses variations d’une souche à une autre et au sein d’une même souche, d’un variant à un autre. Si vous suivez l’actu, N501Y et E484 désignent les mutations observées sur les nouveaux variants du coronavirus si redoutés.

 Le motif furine polybasique est surveillé par les virologues. Il a été observé que l’acquisition d’un site polybasique sur l’hémagglutinine des virus grippaux les rend beaucoup plus contagieux (voir par ex. Tscherne, 2011). Ces indices penchent en faveur d’une succession de deux « gains de fonction » permettant de reconstituer la filiation entre un coronavirus zoonotique et le virus apparu à Wuhan fin 2019. Autrement dit, un virus intermédiaire, le SARS-X, aurait circulé en étant faiblement contagieux puis aurait muté et se serait transformé en SARS-CoV-2 grâce aux modifications sur la protéine S, apparition du site furine et peut-être quelques autres mutations avantageuse sur le domaine de liaison (RBD).

 

 6) Le scénario du double GOF est-il plausible ? Esquisse d’un scénario épidémique à deux épisodes

 

 a) Nous disposons de rares éléments permettant d’y voir clair. En premier lieu, la souche RaTG13 récupérée en 2013 dans une mine située dans le Yunnan, est aussi un fait infectiologique. Un doctorant chinois a révélé dans sa thèse que six travailleurs (dont trois décédèrent) chargés de nettoyer cette mine (en avril 2012) ont été affectés par des symptômes comparables à ceux du SDRAS de 2003 et au Covid de 2019. Troubles entériques, fièvre, pneumonie et signature hyperinflammatoire confirmant une infection virale. Les transmissions zoonotique du sarbecovirus de chauve-souris ou d’autre espèces sont des possible mais très rares. Pour qu’un virus se transmette d’homme à homme, il faut un gain de fonction qui se produit lors de l’infection et crée un virus modifié et adapté au nouveau réservoir. C’est ce qui s’est produit en 2002 et a généré le virus épidémique peu contagieux mais assez létal, causant 800 décès. Trouver l’origine du SARS-CoV-2 sera plus difficile que celle du premier SARS. Contrairement au virus de 2002, on n’a pas trouvé de souche animale approchant les 100 % d’homologie ; la plus proche étant RaTG13 avec 4% de divergence. Nous sommes dans la situation du HCoV-NL63, autrement dit un nouveau virus pouvant être issu d’une souche ancestrale ayant subi plusieurs recombinaisons. Aucune souche animale très proche ne figure dans les datas centers répertoriant les virus prélevés et séquencés.

 L’origine naturelle du nouveau virus s’explique avec une ou deux étapes (voire plus). Un scénario à deux phases est plausible. D’abord une transmission zoonotique chez un ou plusieurs patients zéro et un gain de fonction produisant l’hypothétique SARS-X causant une première contagion entre humains. Ce virus intermédiaire serait un sarbecovirus faiblement transmissible, issu d’un animal, recomposé par gain de fonction chez l’homme, et proche du SARS de 2002, doté d’un tropisme pulmonaire et entérique. Si la thèse à deux étapes se tient, elle doit être appuyée par quelques observations cliniques remontant bien avant le premier décembre. Quelques rares cas de pneumonie plus ou moins atypiques ont été signalés en octobre et novembre mais il faut être prudent, ces pneumonies pouvant être causées par le HCoV-NL-63 ou bien les nouveaux métapneumovirus circulant depuis deux décennies. Sans séquence obtenue en RT-PCR, la présence d’un sarbecovirus X reste une pure hypothèse. Nous n’avons pas les traces exactes indiquant la circulation d’un SARS-related virus durant l’automne 2019. Tout au plus quelques maigres indices provenant de France et d’Italie. Les éléments les plus significatifs sont les jeux militaires de Wuhan. Ils figurent en annexe pour ceux que cette affaire intéresse.

 Une étude publiée le 18 mars dans la revue PNAS a estimé la date d’émergence du SARS-CoV-2 en utilisant la méthode de l’horloge phylogénétique. Le virus serait apparu entre la mi-octobre et la mi-novembre 2019 (Pekar, 2021). Il est difficile de tirer des conclusions. Les auteurs n’excluent pas la possibilité d’un hôte intermédiaire entre la souche endémique animale et la souche humaine pandémique. Ils envisagent que le virus ayant émergé comme souche transmissible aurait pu être beaucoup moins apte à se propager, auquel cas, s’il avait été détecté précocement, la pandémie ayant flambé dans le Hubei aurait pu être stoppée. Finalement, cet hôte intermédiaire ne serait-il pas l’homme, en supposant le virus X intermédiaire qui aurait circulé modérément ; un peu à la manière d’un départ de feu ? Ce scénario à deux phases reste donc plausible. Un départ de feu avec un virus peu contagieux mais laissant quelques signes de son passage avec des pneumonies sporadiques puis un gain de fonction majeur et cette fois, le départ de feu se transforme en incendie pandémique. Départ de feu mais où ?

 

 b) Un gain de fonction naturel décrit sans l’expliquer comment un virus saute la barrière d’espèce en infectant l’homme. Ce virus ne devient pas un virus humain, sauf si en se reproduisant dans un hôte, il parvient à acquérir les mutations pour passer d’un humain à un autre. Ces événements se sont produits à plusieurs occasions, faisant émerger des virus respiratoires peu dangereux. Les virus sont transformés par les hôtes qu’ils infectent. Seule une recombinaison de grande ampleur, en une ou plusieurs étapes, peut expliquer comment on passe d’un virus animal adapté à son réservoir à un virus adapté à l’humain du type SARS-CoV-2, capable de créer une pandémie, dont la divergence avec les souches les plus proches dépasse les mille bases. Lorsqu’un virus saute la barrière, il se recombine avec une rapidité et une ampleur assez conséquentes. L’origine du SARS-CoV-2 risque de rester une énigme pour des raisons liées à l’ignorance scientifique, auxquelles s’ajoutent les restrictions d’informations des autorités chinoises.

 

 Pour résumer, l’origine du virus apparu en décembre 2019 répond à quatre scénarios possibles

 

Zoonose →  GOF1 naturelle →  → pandémie déclenchée

Zoonose → GOF1 naturelle → GOF2 naturelle → pandémie déclenchée

Zoonose → GOF1 laboratoire→ A → → pandémie déclenchée

Zoonose → GOF1 Laboratoire→ A→ GOF2 naturelle → pandémie déclenchée

 

 Dans les deux premiers scénarios, un ou plusieurs patients zéro ont été contaminés par un virus animal. Ensuite, un gain de fonction naturel s’est produit chez un patient, rendant le virus transmissible. Ce virus pouvant être le SARS-CoV-2 apparu en une seule étape ou alors un virus intermédiaire X peut contagieux, circulant à bas bruit, pour devenir hautement transmissible à la faveur d’un second gain de fonction. Les deux derniers scénarios sont écrits en remplaçant la première étape par une manipulation et un accident de laboratoire A faisant circuler soir le virus pandémique, soit un virus intermédiaire X amené à muter naturellement chez certains sujets.

 

 c) Pour connaître la filiation exacte de l’animal vers le virus pandémique de 2019 il faudrait trouver le chaînon manquant dans les bases de données. Les virologues n’ont rien trouvé. De plus, les autorités chinoises semblent rechigner à livrer les informations. L’opinion pense que la Chine cache quelque chose, pas forcément un accident de laboratoire. Si le scénario du virus X est plausible, la piste d’une faute de surveillance n’est pas exclue, tout comme n’est pas exclue l’idée que les méthodes de surveillance ne sont pas infaillibles. Il y a toujours quelque chose de vain à vouloir refaire l’histoire, même si la reconstitution d’un scénario peut être utile pour prévenir les accidents. Encore faut-il être vigilant. L’explosion de l’usine AZF à Toulouse en 2001 n’a pas empêché la réplique de cet événement à Beyrouth en 2020.

 La « mécanique » des virus est au final simple dans son principe. Elle répond au concept du gain de fonction. Un virus qui fonctionne est une particule protéonucléique qui a réussi à déjouer l’immunité de l’hôte. Le réservoir viral des chauves-souris est le plus diversifié. Il est fort possible que le franchissement de la barrière humaine par un coronavirus (ou d’autres souches, nidovirus, picornavirus etc.) se soit produit à maintes reprise. Les départs de feu n’ont pas provoqué un incendie épidémique. En revanche, avec le SARS-1 un feu épidémique s’est produit et avec le SARS-2 en 2019 et peut-être qu’il s’est produit deux départs de feu successifs, avec deux gains de fonction. 

 

 

Lili Kuo, Gert-Jan Godeke, Martin J. B. Raamsman, Paul S. Masters, Peter J. M. Rottier ; Retargeting of Coronavirus by Substitution of the Spike Glycoprotein Ectodomain : Crossing the Host Cell Species Barrier ; Journal of Virology 2000, 74 (3) 1393-1406 ; https://jvi.asm.org/content/jvi/74/3/1393.full.pdf

 

Arturo Casadevall, Michael J. Imperiale ; Risks and Benefits of Gain-of-Function Experiments with Pathogens of Pandemic Potential, Such as Influenza Virus : a Call for a Science-Based Discussion ; mBio Aug 2014, 5 (4) ; https://mbio.asm.org/content/5/4/e01730-14.short

 

D.M. Tscherne, A. García-Sastre ; Virulence determinants of pandemic influenza viruses ; J Clin Invest. 2011 ;121(1):6-13. https://doi.org/10.1172/JCI44947.

 

van der Hoek, L., Pyrc, K., Jebbink, M. et al. ; Identification of a new human coronavirus. ; Nat Med 10, 368–373 (2004). https://doi.org/10.1038/nm1024

 

Jonathan Pekar, Michael Worobey, Niema Moshiri, Konrad Scheffler, Joel O. Wertheim ; Timing the SARS-CoV-2 index case in Hubei province ; Science 18 Mar 2021

https://doi.org/10.1126/science.abf8003

 

Patrick C. Y. Woo, Susanna K. P. Lau, Chung-ming Chu et al. ; Characterization and Complete Genome Sequence of a Novel Coronavirus, Coronavirus HKU1, from Patients with Pneumonia ; Journal of Virology 2005, 79, 884-895, https://jvi.asm.org/content/79/2/884.short

 

Zhou et al. ; A Novel Bat Coronavirus Closely Related to SARS-CoV-2 Contains Natural Insertions at the S1/S2 Cleavage Site of the Spike Protein ; Current Biology, October 05, 2020

https://doi.org/10.1016/j.cub.2020.05.023

 

 

Observations annexes sur les jeux militaires de Wuhan

 

Recension sommaire sur l’épidémie des jeux militaires de Wuhan

https://prospect.org/coronavirus/did-the-military-world-games-spread-covid-19/

 

S. Quay

https://zenodo.org/record/4119263#.YEyz_p1Kjcs

 

 Les médias ont parlé d’un cluster épidémique lors des jeux militaires de Wuhan organisés du 18 au 27 octobre, réunissant quelque 9000 athlètes et 200 000 volontaires mobilisés pour permettre le bon déroulement de l’événement, le plus important dans le domaine sportif et militaire jamais organisé en Chine, avec quelque 100 nations représentées. Des dizaines de sportifs, italiens, français, belges, suisses, américains entre autres, ont déclaré avoir été malades, avec des signes gastro-entériques, de la fièvre, de la toux, une fatigue inhabituelle et parfois des difficultés à respirer. L’athlète française Elodie Clouvel a raconté avoir été malade, signalant de nombreux cas disséminés au sein des différentes délégations. Son compagnon Valentin fut aussi affecté, précisant avoir eu des symptômes jamais connus auparavant. Le célèbre escrimeur italien Matteo Tagliariol a déclaré au journal Corriere della Sera qu'il était tombé malade presque immédiatement après son retour de Wuhan : « Quand nous sommes arrivés à Wuhan, nous sommes presque tous tombés malades », a déclaré Tagliariol. « Mais le pire a été le retour à la maison. Au bout d'une semaine, j'avais une fièvre très élevée, je sentais que je ne respirais pas », a ajouté Tagiariol, 37 ans. « La maladie n'est même pas partie avec les antibiotiques, je me suis rétabli au bout de trois semaines et je suis restée affaiblie pendant longtemps. Puis mon fils et ma compagne sont tombés malades. Quand ils ont commencé à parler du virus, je me suis dit : moi aussi, je l’ai. »

 Des dizaines de participants provenant de France, Italie, Suisse, Amérique, Belgique et autres nations, auraient ainsi été infectés à la fin du mois d’octobre. Si l’agent avait été le SARS-CoV-2, pourquoi l’épidémie aurait dû flamber plus tôt. La thèse d’un virus intermédiaire, le SARS-X, aux spécificités comparable à celui de 2003, est plausible. Autrement dit un virus entérique et pneumonique très peu contagieux, sauf en cas de contact rapproché et durable. Steven Quay a enquêté sur la dissémination du virus pandémique en mentionnant quatre patients enregistrés à l’hôpital militaire PLA de Wuhan le 10 décembre et dont les symptômes remonteraient plus tôt. Cet hôpital militaire est desservi par la ligne 2 du métro wuhanais dont l’une des stations dessert le marché de fruits de mer où le premier cluster de Covid fut observé fin décembre. Cette ligne 2 est également empruntée par les passagers rejoignant l’aéroport international de Wuhan desservant les grandes villes asiatiques, européennes et américaines. Cet élément corrobore l’histoire du virus qui aurait « navigué » autour de la ligne 2 mais quel virus ? Le SARS-X ou le SARS-CoV-2 ? 

 Que la ligne 2 du métro soit un élément du scénario ou pas, la thèse du double gain de fonction est plausible. Un SARS-X serait apparu à la fin de l’été ou ou début de l’automne avec une épidémie restreinte, constatée lors des jeux militaires à Wuhan, causée par un virus peu contagieux mais ayant circulé. Le SARS-CoV-2 aurait alors émergé début décembre. La chronologie phylogénétique publiée sur le site nextstrain indique une émergence du premier clade 19A entre le 27 novembre et le 20 décembre. C’est à cette date que le second gain de fonction se serait produit, faisant émerger le virus que l’on connaît en ajoutant les mutations adéquates pour faire du SARS-X un virus hautement contagieux, pourvu d’un tropisme affectant les voies respiratoires supérieures, avec un code furine entre autres modifications.

 


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