« J’suis pas dingue, j’suis vigilant ! »

par Eric
mardi 18 octobre 2005

Restons vigilants face à l’outil "média de masse." Voici quelques clés de lecture pour résister à la pression.

Tout est parti d’une chanson entendue un peu par hasard. L’auteur est un peu "énervé" mais il faut prendre un peu de temps pour écouter ce qu’il nous dit. Le groupe s’appelle NonStop, le Titre "Devant ma nuque". On trouve ce morceau sur la compil des Inrocks, la deuxième de la rentrée 2005.

Inconnu pour moi, jusqu’au jour où j’ai laissé le Nano (Ipod, trop génial) choisir la musique à ma place pendant que je courais dans une salle de gym hors de prix pour me passer les nerfs... J’ai été proprement sidéré par cette espèce de colère sociétale, ce moment de rébellion à la fois violent et lucide. "Le journal de 13.00 se termine par la naissance d’un panda"...

Toute la contradiction de notre monde communicant est dans cette phrase.

" J’suis pas dingue, j’suis vigilant " nous hurle-t-il dans les écouteurs "Quand je dors, je ronfle pas, je reste dedans". Une vigie un peu débridée de la salubrité intellectuelle, à l’heure où la corruption marchande pousse nos médias toujours plus bas, toujours plus sales, toujours plus cupides, toujours plus inutiles !

C’est quoi le journal de 13.00 en question ?
Un produit, marketé par des études bien faites, où l’audience est saucissonnée en segments de population à qui on s’adresse successivement pour fabriquer de la fidélité. Bref, un produit comme un autre, interagissant avec un marché comme un autre, étudié et analysé par un (ou plusieurs) cabinet compétent comme les autres.
Quelques coups de génie permettent de trouver les bons marqueurs à suivre, de sous-segmenter ultra-finement, de suivre à la trace les infidèles. Ne reste plus qu’à travailler le tout avec finesse et acharnement. Un bon directeur commercial (donc une grosse bagnole) vous bundle le tout et zou, le container de yaourts est parti pour la supérette ! On prendra soin de laisser un pourliche pour le réseau de distribution, et le tour est joué. On change le logo en fonction de la langue, et on fait parler une blonde, et voilà le journal de 13.00 (ou Vidéogag) en paquet de 6 + 33% gratuit. A appliquer sous toutes les latitudes et sur tous les marchés.
Certains raffinent les options, et mettent en devanture un brave gars aux airs de chien battu, accoquiné à une femelle un peu volage et hop, supplément d’âme dans la Presse People, un marché connexe répondant aux mêmes règles de segmentation. Pas idiot, pour une logique de produit dérivé.
Mais on ne sait plus très bien qui possède les droits, et personne ne semble capable de maîtriser le cycle de vie du produit qui s’auto-régule. Perfectionné, mais dangereux.
Chez Mickey, au moins, on maîtrise le cycle de vie des symboles. Une bonne boutique en sorte. Dans ce barnum qui confond information et divertissement, le plus important est de maîtriser capitalistiquement le secteur clé de la chaîne de valeur : l’outil de diffusion. Une fois que vous avez le canal, c’est partie gagnée, vous faites la loi !

Le problème qui se pose à moi est compliqué. La boîte à images est devenue un rayon de supermarché, je prends certains produits et j’en rejette d’autres, comme le consommateur que je suis. Mon problème est le suivant : j’aimerais bien pouvoir disposer d’une sorte de service universel de l’information objective, réelle, vérifiée, et vraiment importante. Comme pour les télécoms, une sorte de cabine téléphonique de service public.
Et là, rien à faire, j’ai fait des journaux TV pendant près de dix ans, et je n’arrive plus à en regarder un seul. Que fait le régulateur ? et au fait, qui régule quoi ?
Je pensais que ma redevance TV pouvait servir un peu à cela, mais rien à faire. Elle finance à fonds perdus des émissions que je ne regarde pas toujours. Au moins, les enfants aiment "Fort Boyard" et "Le plus grand cabaret du monde".On n’a pas tout perdu.
D’un côté, c’est "TV un segment = un contenu", de l’autre c’est "TV Toujours du côté du manche". Les préfets et les majorités régionales défilent sur la chaîne créée à cet effet (Dieu Merci, il n’y a pas assez de préfets maritimes en France pour générer une chaîne de TV.. .les contenus maritimes ne sont pas trop pollués), les locataires éphémères de Matignon défilent sur l’autre. On leur a même usiné finement des décors et des animateurs pas trop méchants, comme pour les fabricants de contenus des majors de la musique.
Et nous, comment on fait pour s’informer ?
Personnellement, j’ai tout reporté sur le web et sur les sources identifiables en ligne.
Attendre pendant dix minutes qu’on en ait fini des pitreries conjugales de Nicolas, suivies des descentes de flics de Nicolas, et des promesses fiscales de Nicolas, voire de l’économie de rupture de Nicolas, c’est usant ! Je ne regarde plus un seul journal TV, je n’ai jamais regardé d’émission de promotion des idées électorales (dite émission politique mais on n’y parle jamais des idées) mais je me régale des bonnes fictions qui singent si parfaitement la réalité : "Urgence", qui dépeint le système inégalitaire américain, 24.00, qui décrit la corruption politique, le mal est plus digeste quand il est bien raconté.
Que nous transmet l’information télévisée, que nous ne pourrions pas trouver dans des supports autres ?
Des émotions ? Désolé, la photo le fait mieux, car la photo est un art, pas la télévision. Et parce qu’on peut prendre son temps pour regarder une photo, y revenir...
Des impressions ? OK, pour certaines émissions, mais pour les autres, comment être sûr qu’elles ne sont pas fabriquées de toutes pièces ? Je suis très sceptique, car je sais comment manipuler une image et comment produire une image orientée. Je sais faire pleurer un témoin en interview, et ne garder que les dix secondes les plus émouvantes. Je sais jouer des mécaniques de l’émotion et du sensationnel. Dix ans de TV.... J’ai vu de trop nombreux cas où le comportement des journalistes n’est dicté que par le souci d’un résultat visible dans un viseur de caméra. C’est une perversion courante. L’idéal, c’est quand le sujet se manipule tout seul pour produire la meilleure image possible. Quand le sujet n’est plus qu’image. Il n’a plus de sens, mais il a une image. Regardez autour de vous, ils sont nombreux ces symboles purement graphiques...
Réduisons cette réflexion à une théorie : une vraie information est une information qui peut se passer d’image. En particulier de TV. Essayez un peu de lire votre environnement de la sorte. Et mettez de l’ordre entre ce qui est important et ce qui est visible... vous allez en gagner, du temps ! Personnellement, je trouve que cela soulage mon esprit. Un monde sans présentateur, sans intermédiaire, en source directe. On se sent infiniment plus libre, sans maître à voir ni à penser. Pour le reste, l’info pure, rappelons-nous que tout un journal TV tient dans une page du Monde...
J’adore cette chanson : " J’suis pas dingue, j’suis vigilant, quand je dors, je ronfle pas, je reste dedans ".

Restez vigilants.

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