Pourquoi le mur du silence sur le génocide à Gaza commence à se fissurer
par Alain Marshal
lundi 26 mai 2025
Depuis 19 mois, le camp de concentration de Gaza s'est transformé en camp de la mort. Face à l'horreur, l'état du journalisme occidental est si déplorable que le moindre signe de progrès mérite d’être relevé. Cependant, nous n'assistons pas à un sursaut de conscience, loin de là : après plus d'un an de complicité, les acteurs politiques et médiatiques cherchent cyniquement un alibi pour se dédouaner, avant qu’il ne soit trop tard pour feindre le remords.
Alors qu’Israël déploie ses dernières mesures pour parachever le génocide, et qu’une famine de masse menace Gaza, les médias et les responsables politiques occidentaux commencent, timidement, à rompre le silence.
Jonathan Cook, 16 mai 2025
Traductions et notes entre crochets Alain Marshal
Qui aurait pu imaginer, il y a 19 mois, qu’il faudrait plus d’un an et demi de massacres et de famine imposés aux enfants de Gaza pour que les premières fissures apparaissent dans ce qui fut un mur de soutien absolument inébranlable à Israël de la part des institutions occidentales ?
Et pourtant, quelque chose semble enfin prêt à céder.
Le Financial Times, quotidien financier de l’establishment britannique, a été le premier à rompre les rangs la semaine dernière, en dénonçant « le silence honteux de l’Occident » face à l’assaut meurtrier d’Israël contre la minuscule enclave.
Dans un éditorial – c’est-à-dire la voix officielle du journal – le FT a accusé les États-Unis et l’Europe de se rendre de plus en plus « complices », alors qu’Israël rend Gaza « invivable » — une allusion au génocide —, et a noté que l’objectif était de « chasser les Palestiniens de leur terre » — une référence à l’épuration ethnique.
Évidemment, ces deux crimes graves commis par Israël ne datent pas uniquement de l’assaut lancé par le Hamas le 7 octobre 2023. Ils s’inscrivent dans une continuité de plusieurs décennies.
L’état du journalisme occidental est si déplorable — en raison de médias tout aussi complices que les gouvernements critiqués par le FT — que le moindre signe de progrès mérite d’être relevé.
The Economist est ensuite intervenu, avertissant que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et ses ministres étaient mus par le « rêve de vider Gaza pour y reconstruire des colonies juives ».
Le week-end dernier, The Independent a décrété que le « silence assourdissant sur Gaza » devait cesser. Il était « temps que le monde prenne conscience de ce qui se passe et exige la fin des souffrances infligées aux Palestiniens piégés dans l’enclave ».
En réalité, une grande partie du monde s’est réveillée depuis bien longtemps. Ce sont la presse et les politiciens occidentaux qui ont dormi pendant ces 19 mois de génocide.
Lundi, The Guardian, pourtant réputé libéral, a exprimé dans son propre éditorial la crainte qu’Israël ne soit en train de commettre un « génocide » — tout en ne formulant l’accusation que sous forme de question.
À propos d’Israël, le journal écrivait : « Il prévoit désormais une bande de Gaza sans Palestiniens. De quoi s’agit-il, si ce n’est de génocide ? Quand les États-Unis et leurs alliés agiront-ils pour mettre fin à l’horreur, si ce n’est maintenant ? »
Le journal aurait tout aussi bien pu poser une autre question : pourquoi les alliés occidentaux d’Israël — ainsi que des médias comme le Guardian et le FT — ont-ils attendu 19 mois pour dénoncer cette horreur ?
Et, sans surprise, la BBC est arrivée bonne dernière. Mercredi, l’émission PM de BBC Radio a décidé d’accorder la priorité au témoignage de Tom Fletcher, chef des affaires humanitaires de l’ONU, devant le Conseil de sécurité. Le présentateur Evan Davis a déclaré que la BBC avait choisi de « faire quelque chose d’un peu inhabituel ».
Inhabituel, en effet : la BBC a diffusé l’intégralité du discours de Tom Fletcher — douze minutes et demie —, y compris ce commentaire : « Pour ceux qui ont été tués et ceux dont la voix est réduite au silence : de quelles preuves supplémentaires avez-vous besoin ? Allez-vous agir — de manière décisive — pour empêcher un génocide et garantir le respect du droit humanitaire international ? »
En moins d’une semaine, le mot « génocide », jadis tabou lorsqu’il s’agissait de Gaza, est devenu presque banal dans le débat public.
Note : En France, Le Monde a attendu le 21 mai pour publier un éditorial intitulé Le gouvernement israélien ne doit plus bénéficier de la moindre impunité, dans lequel il ne parle ni de crimes de guerre, ni de crimes contre l'humanité, mais parle de « dérive » (mot répété dans le premier et le dernier paragraphe de l'éditorial). Le « nettoyage ethnique » ne serait qu'à l'état de « projet ». Le terme même de « génocide » est envisagé comme une lointaine hypothèse, avec un prétexte grossier : ce n'est pas aux journalistes de l'utiliser (« la possibilité à terme d’une qualification de génocide par la justice internationale, seule légitime à le faire »), faisant fi du fait que la CIJ et d'autres instances l'ont déjà entériné. Par contre, Le Monde n'hésite pas à qualifier l'opération du 7 octobre d' « attaque terroriste », et affirme que « La responsabilité du Hamas dans la catastrophe en cours a été et reste écrasante », ce qui relève d'un négationnisme odieux. Une phrase reste parfaitement vraie dans cet énième Edito de la honte : « La coalition de Netanyahou a pourtant bénéficié jusqu’à présent d’une indulgence et d’une complaisance qui relèvent désormais de la complicité. » En France, Le Monde, qui n'a cessé de parler de « Guerre Israël-Hamas », et tous ses épigones, méritent une place d'honneur dans la liste des complices du génocide en cours. Voir Les médias occidentaux doivent être inculpés pour leur rôle dans le génocide à Gaza.
Des fissures de plus en plus visibles
Les fissures sont également perceptibles au sein du Parlement britannique. Mark Pritchard, député conservateur et partisan de longue date d’Israël, s’est levé des bancs arrière pour admettre qu’il s’était trompé sur Israël, qu’il a condamné « pour ce qu’il inflige au peuple palestinien ».
Il fait partie d’une douzaine de députés conservateurs et de membres de la Chambre des Lords — tous anciennement fervents défenseurs d’Israël — qui ont exhorté le Premier ministre britannique Keir Starmer à reconnaître immédiatement un État palestinien.
Cette initiative fait suite à une lettre ouverte publiée par 36 membres du Board of Deputies, un organisme de 300 membres qui prétend représenter les Juifs britanniques, et qui désapprouvent son soutien continu aux massacres. La lettre avertissait : « L’âme d’Israël est en train d’être arrachée. »
M. Pritchard a déclaré à ses collègues qu’il était temps de « défendre l’humanité, de nous placer du bon côté de l’histoire, et de faire preuve du courage moral nécessaire pour diriger ».
Malheureusement, aucun signe concret ne va encore dans ce sens. Une étude publiée la semaine dernière, fondée sur les données de l’administration fiscale israélienne, a révélé que le gouvernement de Keir Starmer avait menti, même au sujet des très modestes restrictions sur les ventes d’armes à Israël qu’il prétendait avoir mises en place l’an dernier.
En dépit de l’interdiction officielle d’exporter des armes susceptibles d’être utilisées à Gaza, le Royaume-Uni a secrètement livré plus de 8 500 types de munitions distinctes à Israël depuis cette prétendue interdiction.
Cette semaine, de nouveaux éléments ont émergé. Selon les chiffres publiés par The National, le gouvernement actuel a exporté davantage d’armes vers Israël au cours des trois derniers mois de l’année dernière — après l’entrée en vigueur de l’interdiction — que le précédent gouvernement conservateur n’en a expédié durant toute la période allant de 2020 à 2023.
Le soutien du Royaume-Uni à Israël, alors que la Cour internationale de justice — la plus haute instance judiciaire mondiale — a qualifié la situation de « génocide plausible », est si honteux que le gouvernement de Keir Starmer se sent contraint de faire semblant d’agir, tout en continuant en réalité à armer ce génocide.
La semaine dernière, plus de 40 députés ont écrit au ministre des Affaires étrangères, David Lammy, pour lui demander de répondre aux accusations selon lesquelles il aurait induit le public et le Parlement en erreur. « Le public a le droit de connaître l’étendue de la complicité du Royaume-Uni dans des crimes contre l’humanité », ont-ils écrit.
Ailleurs, les signes de mécontentement se multiplient. Cette semaine, le président français Emmanuel Macron a qualifié de « honteux et inacceptable » le blocus total imposé par Israël à l’aide humanitaire destinée à Gaza. Il a ajouté : « Mon rôle est de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour que cela cesse. »
Le mot « tout » semble se résumer à l’évocation de potentielles sanctions économiques, rien de plus.
Néanmoins, ce changement de ton est frappant. La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a elle aussi dénoncé le blocus, le qualifiant d’« injustifiable ». Elle a ajouté : « J’ai toujours souligné l’urgence de trouver un moyen de mettre fin aux hostilités et de respecter le droit international ainsi que le droit international humanitaire. »
Le « droit international » ? Où était-il ces 19 derniers mois ?
De l’autre côté de l’Atlantique, on observe un changement de priorités similaire. Le sénateur démocrate Chris Van Hollen, par exemple, a récemment osé qualifier les actions d’Israël à Gaza de « nettoyage ethnique ».
Christiane Amanpour, de CNN, porte-voix du consensus de Washington, a interrogé avec une sévérité inhabituelle Sharren Haskel, vice-ministre israélienne des Affaires étrangères. Amanpour est allée jusqu’à l’accuser, de manière à peine voilée, de mentir sur le fait qu’Israël affame des enfants.
Par ailleurs, Josep Borrell, tout juste sorti de son poste de haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, a brisé un autre tabou la semaine dernière en accusant directement Israël de préparer un génocide à Gaza.
« J’ai rarement entendu un chef d’État exposer aussi clairement un plan qui corresponde à la définition juridique du génocide », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Nous sommes confrontés à la plus vaste opération de nettoyage ethnique depuis la Seconde Guerre mondiale. »
Bien entendu, M. Borrell n’a plus d’influence sur la politique européenne à ce stade.
Un camp de la mort
Tous ces progrès restent douloureusement lents, mais ils laissent entrevoir la possibilité d’un point de bascule.
S’il doit avoir lieu, plusieurs facteurs l’expliquent. L’un d’eux — sans doute le plus visible — est le président américain Donald Trump.
Il était plus aisé pour The Guardian, le Financial Times et les députés conservateurs de la vieille école de rester silencieux face à l’extermination des Palestiniens de Gaza lorsque le sympathique « Oncle Joe » Biden et le complexe militaro-industriel américain en étaient les artisans.
Contrairement à son prédécesseur, Trump oublie trop souvent la nécessité de vernir les crimes israéliens ou de prétendre que les États-Unis s’en distancient, alors même que Washington fournit les armes qui les rendent possibles.
Mais tout indique aussi que Trump — avec son besoin obsessionnel d’être perçu comme le chef — est de plus en plus agacé d’être publiquement supplanté par Netanyahou.
Cette semaine, alors que Trump se rendait au Moyen-Orient, son administration a obtenu la libération du soldat israélien Edan Alexander, dernier citoyen américain encore vivant en captivité à Gaza, en contournant Israël pour négocier directement avec le Hamas.
Dans ses commentaires sur cette libération, Trump a insisté sur la nécessité de « mettre fin à cette guerre particulièrement brutale » — un propos manifestement non coordonné avec Netanyahou.
Fait notable : Israël ne figure pas sur l’agenda des pays visités par Trump durant sa tournée au Moyen-Orient.
Le moment semble relativement sûr pour adopter une posture plus critique à l’égard d’Israël, ce que le Guardian et le FT semblent apprécier.
Il y a aussi le fait que le génocide commis par Israël approche de son terme. Depuis plus de deux mois, aucune nourriture, aucune eau, aucun médicament n’est entré à Gaza. Toute la population est en état de malnutrition. Compte tenu de la destruction du système de santé de Gaza par Israël, il est impossible de savoir combien de personnes sont déjà mortes de faim [même les morts causées par les bombardements israéliens sont largement sous-évaluées].
Mais les images d’enfants réduits à la peau sur les os, sortant de Gaza, rappellent cruellement celles, vieilles de 80 ans, d’enfants juifs squelettiques emprisonnés dans les camps nazis.
Voir A Gaza, Israël impose une famine de proportions bibliques
Elles rappellent que Gaza — soumise à un blocus israélien strict pendant seize ans avant la percée du Hamas le 7 octobre 2023 — a été transformée, au cours des 19 derniers mois, d’un camp de concentration à un camp de la mort.
Une partie des médias et de la classe politique sait que la mort de masse à Gaza ne pourra plus être dissimulée bien longtemps, même après qu’Israël a interdit l’accès de l’enclave aux journalistes étrangers et assassiné la plupart des journalistes palestiniens tentant d’en documenter le génocide.
Les acteurs politiques et médiatiques les plus cyniques cherchent déjà des excuses avant qu’il ne soit trop tard pour feindre le remords.
Le mythe de la « guerre de Gaza »
Israël a désormais déclaré être prêt à assumer pleinement la responsabilité de l’extermination en cours à Gaza, en annonçant, selon ses propres termes, la « capture » de ce minuscule territoire.
Le tant attendu « jour d’après » semble sur le point d’advenir.
Depuis vingt ans, Israël et les capitales occidentales entretiennent le mensonge selon lequel l’occupation de Gaza aurait pris fin en 2005, lorsque le Premier ministre israélien de l’époque, Ariel Sharon, a évacué quelques milliers de colons juifs et replié les troupes israéliennes derrière un périmètre hautement fortifié encerclant l’enclave.
Dans un arrêt rendu l’an dernier, la Cour internationale de justice a balayé cette affirmation, soulignant que Gaza, tout comme les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, n’avait jamais cessé d’être occupée par Israël, et que cette occupation devait cesser immédiatement.
La réalité est que, bien avant les attaques du Hamas en 2023, Israël assiégeait Gaza par terre, par mer et par air depuis de très nombreuses années. Rien — ni personnes ni marchandises — n’entrait ou ne sortait sans l’approbation de l’armée israélienne.
Les autorités israéliennes ont instauré [dès 2006] une politique secrète visant à imposer à la population un « régime » strict — un crime de guerre hier comme aujourd’hui — qui a conduit à une malnutrition croissante chez la plupart des jeunes de Gaza.
Des drones bourdonnaient en permanence dans le ciel, comme c’est encore le cas aujourd’hui, surveillant la population 24 heures sur 24, larguant parfois la mort. Des pêcheurs ont été abattus, leurs embarcations coulées, pour avoir tenté de pêcher dans leurs propres eaux. Les récoltes des agriculteurs ont été détruites par des herbicides pulvérisés par les avions israéliens.
Quand bon lui semblait, Israël envoyait des avions de chasse bombarder l’enclave ou déployait ses soldats pour des opérations militaires, tuant des centaines de civils à la fois.
Lorsque les Palestiniens de Gaza se sont rassemblés, semaine après semaine, pour manifester [pacifiquement] près de la clôture qui délimite leur camp de concentration, des tireurs d’élite israéliens ont ouvert le feu sur eux, tuant quelque 200 personnes et en paralysant plusieurs milliers d’autres.
Malgré tout cela, Israël et les capitales occidentales ont continué d’affirmer que le Hamas « dirigeait » Gaza et qu’il était seul responsable de ce qui s’y passait.
Cette fiction était cruciale pour les puissances occidentales. Elle permettait à Israël d’échapper à toute responsabilité pour les crimes contre l’humanité perpétrés à Gaza au cours des deux dernières décennies, et à l’Occident d’éviter les accusations de complicité pour avoir armé les criminels.
À la place, les sphères politique et médiatique ont entretenu le mythe selon lequel Israël menait un « conflit » avec le Hamas — ainsi que des « guerres » sporadiques à Gaza — alors même que l’armée israélienne qualifiait elle-même ses opérations de destruction de quartiers entiers et d’extermination de leurs habitants de « tonte de la pelouse ».
Israël considérait, bien sûr, Gaza comme sa pelouse à tondre. Précisément parce qu’il n’avait jamais cessé d’occuper l’enclave.
Encore aujourd’hui, les médias occidentaux perpétuent la fiction selon laquelle Gaza serait libérée de l’occupation israélienne, en présentant les massacres et la famine qui y sévissent comme une « guerre ».
La fin du paravent médiatique
Mais ce « jour d’après » — marqué par la « capture » et la « réoccupation » annoncées par Israël — représente un dilemme pour Israël et ses parrains occidentaux.
Jusqu’à présent, toutes les atrocités israéliennes ont été justifiées par l’action violente du Hamas le 7 octobre 2023.
Israël et ses soutiens ont exigé que le Hamas restitue les Israéliens qu’il avait faits prisonniers avant toute perspective de « paix », aussi vague soit-elle. En parallèle, Israël affirmait qu’il fallait absolument détruire Gaza pour déraciner et éliminer le Hamas.
Ces deux objectifs ont toujours paru incohérents — d’autant plus qu’à mesure qu’Israël tuait des civils palestiniens pour « éradiquer » le Hamas, ce dernier recrutait davantage de jeunes en quête de vengeance.
Le flot constant de rhétorique génocidaire provenant des dirigeants israéliens a montré sans ambiguïté qu’ils ne voyaient aucun civil à Gaza — aucun « non impliqué » — et que l’enclave devait être rasée, sa population traitée comme des « animaux humains », et punie par la privation de « nourriture, d’eau et de carburant ».
Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a réitéré cette position la semaine dernière, promettant que « Gaza sera entièrement détruite » et que sa population serait soumise à un nettoyage ethnique — ou, selon ses mots, contrainte de « partir en grand nombre vers des pays tiers ».
D’autres responsables israéliens ont repris cette ligne, menaçant de « raser » Gaza si les otages n’étaient pas libérés. Mais en réalité, les captifs détenus par le Hamas ne servent que de prétexte commode.
Smotrich a été plus franc en déclarant que la libération des otages n’était « pas la chose la plus importante ». Ce point de vue semble d’ailleurs partagé par l’armée israélienne, qui aurait relégué cet objectif en dernière position sur une liste de six objectifs de « guerre ».
Pour les militaires, la « prise de contrôle opérationnelle » de Gaza, la « démilitarisation du territoire » et la « concentration et le déplacement de la population » sont des priorités bien plus importantes.
Alors qu’Israël s’apprête à reprendre, de manière incontestable et visible, le contrôle direct de Gaza — débarrassé des artifices rhétoriques d’une « guerre », de l’élimination nécessaire du Hamas ou des victimes civiles qualifiées de « dommages collatéraux » — sa responsabilité dans le génocide deviendra elle aussi incontestable. Tout comme le sera la collusion active de l’Occident.
C’est pourquoi plus de 250 anciens responsables du Mossad, l’agence de renseignement israélienne — dont trois de ses anciens directeurs — ont signé cette semaine une lettre dénonçant la rupture du cessez-le-feu par Israël début mars et sa reprise des « hostilités ».
La lettre qualifie les objectifs officiels d’Israël d’« inaccessibles ».
Dans le même temps, les médias israéliens rapportent qu’un nombre important de réservistes de l’armée refusent désormais de répondre aux convocations pour un retour au service à Gaza.
Nettoyage ethnique
Les parrains occidentaux d’Israël doivent désormais affronter le « plan » israélien pour ce territoire en ruines. Ses contours se précisent de jour en jour.
En janvier, Israël a officiellement interdit l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, qui nourrit et soigne une grande partie de la population palestinienne chassée de ses terres historiques par Israël lors des premières phases de sa colonisation de la Palestine historique [en 1948 et 1967], un processus qui dure depuis des décennies.
Gaza est saturée de ces réfugiés — conséquence du plus vaste programme de nettoyage ethnique mené par Israël en 1948, lors de sa création comme « État juif ».
L’élimination de l’UNRWA était une ambition de longue date, une mesure visant à débarrasser Israël du joug des agences humanitaires s’occupant des Palestiniens — et qui, ce faisant, les aidaient à résister aux efforts de nettoyage ethnique — ainsi qu’à se soustraire à tout contrôle quant à son respect, ou plutôt son non-respect, du droit international.
Pour mener à bien les programmes de nettoyage ethnique et de génocide à Gaza, Israël devait instaurer un système de remplacement à celui de l’UNRWA.
La semaine dernière, il a approuvé un plan selon lequel des entrepreneurs privés — et non l’ONU — seraient chargés de livrer de petites quantités de nourriture et d’eau aux Palestiniens. Israël autorisera l’entrée de 60 camions par jour, soit à peine un dixième du minimum absolu requis, selon l’ONU.
Mais ce dispositif comporte plusieurs pièges. Pour espérer bénéficier de cette aide extrêmement restreinte, les Palestiniens devront se rendre dans des points de distribution militaires situés dans une zone exiguë à l’extrémité sud de la bande de Gaza.
Autrement dit, quelque deux millions de Palestiniens devront se tasser dans un endroit incapable de les accueillir tous, et n’y recevront au mieux qu’un dixième de l’aide nécessaire.
Ils devront également s’y rendre sans aucune garantie qu’Israël cessera de bombarder les « zones humanitaires » où ils ont été parqués.
Or, ces zones de distribution militaires se trouvent justement à proximité immédiate de la seule et courte frontière de Gaza avec l’Égypte — précisément là où Israël cherche, depuis dix-neuf mois, à pousser les Palestiniens dans l’espoir de contraindre l’Égypte à ouvrir la frontière pour que la population de Gaza puisse être expulsée dans le Sinaï.
Selon ce plan, les Palestiniens seront soumis à un contrôle biométrique dans ces centres militaires avant d’avoir une chance de recevoir des rations alimentaires strictement limitées en calories.
Une fois à l’intérieur de ces centres, ils pourront être arrêtés et transférés dans l’un des camps de torture israéliens.
La semaine dernière, le quotidien israélien Haaretz a publié le témoignage d’un soldat israélien devenu lanceur d’alerte — confirmant les récits de médecins et d’autres surveillants — selon lequel la torture et les mauvais traitements sont monnaie courante à l’encontre des Palestiniens, y compris des civils, dans le camp de Sde Teiman, le plus tristement célèbre.
Voir Institutionnalisation du viol des détenus Palestiniens : le vrai visage d’Israël
Guerre contre l’aide humanitaire
Vendredi dernier, peu après avoir annoncé son plan « d’aide », Israël a tiré un missile sur un centre de l’UNRWA dans le camp de Jabaliya, détruisant son centre de distribution alimentaire et son entrepôt.
Le lendemain, Israël a bombardé des tentes servant à préparer des repas à Khan Younès et dans la ville de Gaza. Il vise délibérément les cuisines et boulangeries d’associations caritatives pour les mettre hors service, dans la continuité de sa campagne de destruction des hôpitaux et du système de santé de Gaza.
Ces derniers jours, un tiers des cuisines communautaires soutenues par l’ONU — dernier recours vital pour la population — ont fermé leurs portes, faute de nourriture et d’accès au carburant. [Ajoutons qu'Israël élimine systématiquement les responsables de la sécurité des rarissimes camions d'aide humanitaire qui parviennent à entrer à Gaza, afin d'en favoriser le pillage]
Selon l’agence onusienne OCHA, ce chiffre « augmente de jour en jour », entraînant une famine « généralisée ».
L’ONU a rapporté cette semaine que près d’un demi-million de personnes à Gaza — soit un cinquième de la population — sont confrontées à une « faim catastrophique ».
Comme on pouvait s’y attendre, Israël et ses sinistres apologistes minimisent cette mer de souffrances. Jonathan Turner, directeur général de UK Lawyers for Israel, a affirmé que les critiques condamnaient Israël de façon injuste pour avoir affamé la population de Gaza, et ignoraient les prétendus bienfaits pour la santé que représenterait une réduction de « l’obésité » chez les Palestiniens.
Dans une déclaration conjointe publiée la semaine dernière, 15 agences des Nations unies et plus de 200 organisations caritatives et humanitaires ont dénoncé le plan d’« aide » israélien. L’Unicef, le fonds des Nations unies pour l’enfance, a averti qu’Israël forçait les Palestiniens à choisir entre « le déplacement ou la mort ».
Pire encore : Israël s’emploie, une fois de plus, à inverser les rôles.
Les Palestiniens qui refusent de coopérer à ce plan d’« aide » seront accusés d’être responsables de leur propre famine. Quant aux agences internationales qui refusent de cautionner les actes criminels d’Israël, elles seront taxées à la fois « d’antisémitisme » et de complicité dans l’aggravation de la famine qui sévit à Gaza.
Il existe un moyen d’empêcher que ces crimes ne s’aggravent encore. Mais cela exigera des responsables politiques et des journalistes occidentaux bien plus de courage qu’ils n’en ont démontré jusqu’à présent. Il faudra plus que de belles paroles. Plus que de l’indignation publique.
En sont-ils capables ? Ne retenez pas votre souffle.
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Si ce n’est déjà fait, je vous invite à signer et à faire largement circuler cette pétition sur change.org, qui a dépassé les 15 000 signatures, et appelle à ma réintégration à la CGT d'où j'ai été exclu pour avoir dénoncé les biais pro-israéliens de la Confédération.
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