Beurs ? Beaufs ? Citoyens !
par Paul ORIOL
samedi 31 mai 2025
L’universalisme étant tombé en désuétude, certains sont enfermés par le regard des autres. Dans un groupe, voulu ou non. Toujours réducteur. Souvent stigmatisant. Parfois contre leur intérêt.
Lancée à l’image de la Marche du sel (Gandhi, 1930), de la Marche sur Washington pour l'emploi et la liberté (Martin Luther King, 1963), la Marche pour l’égalité et contre les discriminations (France, 1983) se plaçait dans la tradition de la République pour l’égalité des droits, contre discriminations, racisme, injustice sociale, violences policières...
Elle a été appelée et réduite par beaucoup à la marche des beurs.
Partie de Marseille (non des Minguettes), pour parcourir la France, à l’initiative de quelques jeunes, elle réunit à son arrivée à Paris des dizaines de milliers de manifestants sur une revendication d’égalité, toujours révolutionnaire.
La renommer marche des beurs, c’était gommer l’universalité de la demande, l’égalité et la fin des discriminations, pour la ramener à la communauté de ses jeunes initiateurs. C’était oublier les milliers de personnes, tous milieux mêlés, qui l’avaient soutenue au long de ses parcours, dans toutes les régions traversées, parfois éloignées de la ligne Marseille-Paris, jusqu’à sa spectaculaire arrivée à Paris.
Une demande d’intégration à la loi commune, de citoyenneté.
Les marcheurs, et leurs soutiens, ont été entendus par le président François Mitterrand qui instaura la carte unique de 10 ans, renouvelable automatiquement. Cette carte, la plupart des jeunes marcheurs n’en avaient pas besoin mais elle assurait une certaine sécurité du séjour à tous les travailleurs immigrés. Nouveau pas vers l’égalité.
Depuis, la carte unique a été démantelée pour restaurer la précarité.
C’est pourtant cette demande constante d’égalité, valeur bien affichée sur les frontispices, qu’il faut écouter, entendre et satisfaire.
Au contraire, les gouvernements successifs essaient de capitaliser plus sur le rejet que sur l’ouverture. Avec des lois, une tous les 18 mois, toujours accompagnées d’une campagne stigmatisante donnant ainsi des arguments à ceux qui utilisent cette séparation des droits pour tenter d’enrôler les victimes déçues.
Par la précarité, les politiques renforcent ceux qu’ils disent combattre.
La gauche, dite de gouvernement, reste dans un silence honteux, peu fière de son passé, peu loquace pour l’avenir, négligeant les luttes sociales, fédératrices, pour les questions sociétales.
L’autre gauche abandonne l’analyse concrète d’une situation concrète, se raccrochant à des mythes lointains. Au-delà du raisonnable.
La gauche décoloniale poursuit la tâche, nécessaire, démasquer le passé colonial, déconstruire le trompeur récit national. Sans rien proposer de positif.
Déçue par l’inexistence d’un passé et d’un peuple parfaits, elle fait de tous les citoyens, des héritiers coupables. Il faut pourtant rappeler que, dans les pires moments de l’histoire nationale, impériale, des hommes, des femmes ont élevé leur voix, ont posé des actes contre la politique du moment.
Hier, le gouvernement qualifiait d’anti-France ceux qui luttaient contre la guerre d’Algérie et dénonçaient les méthodes de la répression. Avant hier, l’État français accusait la Résistance de terrorisme…
Dans l’histoire, Il y a aussi place pour un récit de l’espoir.
Dans l’actualité politique, une partie importante des couches populaires se sent, justement, abandonnée, trahie, par ceux qui devraient les représenter et les défendre. Souvent caricaturée sous le terme de beaufs, par des intellectuels de gauche, imbus de supériorité.
Ces citoyens méprisés sont bien revenus des élus de tous les partis qui, quelle que soit leur étiquette, quelles que soient leurs promesses, arrivés au gouvernement, font la même politique.
Qui peut leur reprocher de ne pas s’inscrire sur les listes électorales ? Inscrits, qui peut leur reprocher de s’abstenir ? Et votants, d’utiliser le Rassemblement national (RN) parce qu’il n’a jamais été au pouvoir !
Mais le RN, par la préférence nationale, au lieu d’unir les victimes en fonction de leur situation, les oppose en fonction de leur origine.
Il dégage, ainsi, de toute responsabilité ceux qui, quelle que soit leur origine, détiennent le pouvoir par leur place dans la hiérarchie sociale, politique, économique et financière.
Ceux qui, depuis des décennies, décident la politique.
Devant l’Himalaya, la crise financière dont ils sont responsables, le premier ministre annonce de la nécessaire participation de tous. Mais...
Les 10 % des plus riches du pays ont un patrimoine 163 fois plus élevé que les 10 % les plus pauvres. Ce patrimoine est-il le fruit de leur travail ? De leur mérite ?
En 2019, 60 % de ceux qui détiennent un patrimoine le doivent à l’héritage contre 35 % en 1970.
Depuis 2017, le patrimoine des 500 plus grandes fortunes a plus que doublé, creusant fortement les inégalités.
Les impôts ont mauvaise presse, dans les deux sens du mot.
Malgré ces inégalités croissantes, augmenter les impôts sur les plus gros héritages est difficilement accepté, y compris par ceux qui n’hériteront de rien. Tandis que diminuer les retraites, augmenter la durée des cotisations n’est pas considéré comme un impôt sur le travail et les travailleurs.
Le pays, comme tous les pays en Europe, a besoin de main d’œuvre. Quand il est question de travailleurs immigrés sans papier, donc travailleurs, donc sous payés, il est envisagé des régularisation dans les secteurs en tension.
La santé est un de ces secteurs en tension avec, notamment, la fermeture de services hospitaliers par manque de personnel médical et paramédical… Le pays manque de médecins, les importants déserts médicaux en témoignent. Le nombre de médecins à diplôme étranger progresse : 7,1 % en 2010, 12,5 % en 2023. Ils aident à corriger les inégalités territoriales. Ils sont embauchés par les hôpitaux comme faisant fonction d’interne, attachés associés ou assistants associés. Statuts précaires, moindre rémunération, emploi du temps surchargé. Et certains comme infirmières/infirmiers…
Ce ne sont pas des patrons qui profitent de travailleurs sans papiers. Mais l’État, l’administration hospitalière qui font des économies sur leur dos !
Qui veut tuer son chien, l’accuse de la rage !
Dans ce secteur en tension connu de tous, des préfectures peuvent prendre des décisions inappropriées mais dans l’air du temps !
Rayen, tunisien, est arrivé en 2016, âgé de 12 ans, obtient le bac avec mention à 16 ans et un master en biologie santé. En 5ᵉ année de médecine, le président de son université assure qu’il poursuit ses études de manière brillante... Deux mois avant sa majorité, il fait sa première demande de titre de séjour. La réponse de la préfecture est tardive mais claire, obligation de quitter le territoire français. Pour quels motifs ? Attaches familiales insuffisantes, ses deux frères sont installés en France, aucune insertion, ni perspective professionnelle !!!
Où est l’intérêt des patients, des finances, du pays ?
À l’Assemblée nationale, la politique du gouvernement est soutenue par le RN qui peut le faire chuter en votant une motion de censure sur une question sociale présentée par la gauche. Il ne le fait pas. Il se dit dans l’opposition, en réalité dans le soutien sans participation. Dans la continuité des politiques suivies depuis…
Particulièrement de sa politique sur l’immigration. Quelle différence y a-t-il entre Les Républicains (LR) de Bruno Retailleau, le LR-RN d’Éric Ciotti et le RN de Jordan Bardella. Si la justice lui prête vie politique, Marine Le Pen peut espérer intégrer un grand parti ou participer à une coalition dont elle ne serait même pas l’aile extrême sur la question ! Ces campagnes, ces lois, contraires aux intérêts du pays, y compris au niveau international, se proposent de séduire des électeurs qui n’en demandent pas tant et qui souffrent moins du fait des immigrés que de la politique économique et sociale de gouvernements successifs, de gauche, de droite ou du centre.
Face à la montée du RN, traiter ses électeurs de fascistes a peu de chances d’être efficace, surtout, si le but est de les détourner de l’extrême droite. La meilleure façon n’est certainement pas de les agresser, de les insulter mais d’abord d’essayer de comprendre leur pourquoi et de voir avec eux en quoi le projet du RN, le comportement de ses élus correspondent ou non à ce qu’ils en attendent.
Car Marine Le Pen a réussi la dédiabolisation auprès de la population. Le RN de la fille n’est pas le FN (Front national) du père au niveau du discours et du comportement. L’antisémitisme claironné habilement par Jean-Marie Le Pen est maintenant périmé et réprimé quand il est professé, publiquement, par des militants imprudents.
Aujourd’hui, Jordan Bardella et Marion Maréchal sont invités en Israël.
Serge Klarsfeld, chasseur de criminels nazis responsables de crimes contre l’humanité, va plus loin. Il estime que les partis d'extrême droite en Europe soutiennent les Juifs. Donc fréquentables ! L’antisémitisme de droite serait moins que résiduel ?
Israël et le RN ont unifié leur vision de l’ennemi, Palestiniens et immigrés surtout maghrébins. Chacun trouve son intérêt dans cette confuse détestation commune. Israël libère l’Extrême droite de son racisme antisémite originel et l’oriente contre les immigrés, surtout maghrébins. Bien en cour.
Ce qui sert le RN dans sa marche vers le pouvoir avec toute la droite unifiée dans une xénophobie commune.
Le FN pouvait être qualifié de fasciste par les convictions affichées, les déclarations, le comportement, les actes de certains de ses fondateurs et de son président.
Le RN n’affiche plus la violence comme mode d’accès au pouvoir, contrairement aux nazis et aux fascistes. L’image de Marine Le Pen est loin de celle du duce, ou du Führer. Sa place comme candidate naturelle à l’élection présidentielle, son remplacement éventuel par celui qui est déjà à la tête du RN est même discutée, suite à sa condamnation, aussi bien dans le parti que dans les sondages par le successeur potentiel, Jordan Bardella, d’origines immigrés diverses.
Le RN a élargi l’électorat du FN d’où l’inquiétude devant le possible grand remplacement des abonnés du pouvoir plus que devant la montée d’idées qu’ils partagent.
Face à ces droites, finalement unies idéologiquement, toutes organisations confondues, la gauche saura-t-elle unir dans un vrai front populaire commun tous les citoyens, victimes méprisées, quelles que soient leurs origines, des politiques suivies. Alors qu’elle n’est pas capable de définir une politique faire front commun de ses organisations.
Pourtant le temps presse. D’autant que ce n’est pas seulement en France que montent les dangers pour le social et le démocratique même très imparfaits.