Pourquoi et comment Dassault est devenu le « meilleur athlète » (aéronautique militaire) en Europe (1) Le rattrapage français, après-guerre

par Laurent Simon
vendredi 21 octobre 2022

Pourquoi DASSAULT doit-il être maître d’œuvre du chasseur NGF ? Et comment notre avionneur militaire est-il devenu incontournable en Europe ? 1. Les débuts de la renaissance de l’aéronautique militaire française, dès les premières années d’après-guerre.

Ce premier article commence par une longue introduction, pour planter le décor, présenter le contexte dans lequel cette série d’articles s’inscrit.

Série dans laquelle nous verrons, ainsi que dans « Un rapport américain encense les succès de DASSAULT  » (à paraître), que de nombreux critères objectifs montrent l’avance indéniable obtenue par Dassault en avions de combat, par rapport à ses concurrents en Europe, qu’ils soient en Allemagne et Espagne, au Royaume Uni, en Suède ou en Italie.

Et le bon avion Eurofighter peut-il cacher l’exceptionnelle réussite technique qu’est le Rafale ? Qui s’appuie sur les succès techniques et commerciaux des Mirage (III, IV, -5, F1, 2000), Etendard, Super Etendard, etc. et sur les dizaines de prototypes réalisés par Dassault.

Nous verrons « Pourquoi le Rafale est objectivement meilleur que l’Eurofighter Typhoon » (article à venir).

Et ces articles montreront que cette avance est aussi celle de tout un écosystème industriel autour de DASSAULT (notamment THALES pour le radar et l’avionique, et SNECMA-SAFRAN pour les réacteurs). Et que les pouvoirs publics français (DGA notamment) avaient bien préparé l’avance technologique nécessaire au Rafale, dès la fin des années 1970, par de nombreux travaux décisifs et très complémentaires, à l’image d’un puzzle prolongeant les apports éprouvés des Mirage successifs.

Cette série d’articles précisera aussi des éléments déjà partiellement abordés dans les articles parus, sur des critères essentiels pour un management de projet réussi, comme :

  ainsi que Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (3/4) et (4/4)

 et sur des critères objectifs montrant que leur respect (ou non) se traduit sur le prix :

 articles dont certains ont été lus jusque plus de 62 000 fois.

Cette série d’articles abordera aussi des facteurs clés très souvent oubliés, mais d’importance croissante, à savoir les moyens informatiques pour calculer l’aérodynamisme, les structures, les vibrations, les interférences, la discrétion, etc. et pour effectuer toutes sortes de simulation, par exemple cinématique (pour vérifier la trajectoire des éléments du train, etc.), mais aussi pour assurer l’ergonomie du cockpit, pour aider le pilote dans des missions de plus en plus complexes, et potentiellement épuisantes.

Or DASSAULT a été tellement précurseur et tellement pertinent dans le perfectionnement de ces moyens informatiques, que ses logiciels ont été commercialisés par IBM dans le monde entier, auprès des autres avionneurs (y compris concurrents) et acteurs de l’aéronautique, ainsi que dans les autres secteurs industriels. Au point qu’avec CATIA, sa filiale DASSAULT SYSTEMES est devenu très vite le n°1 mondial de la CFAO (Conception et Fabrication Assistée par Ordinateur), emploie plus de salariés et représente une capitalisation boursière supérieure à celle de DASSAULT AVIATION…

Bref, tous ces articles visent à expliquer, de façon la plus simple et la plus incontestable, ce qui fonde la France et Dassault à demander la maîtrise d’œuvre des éléments décisifs du NGF (chasseur de nouvelle génération), pour assurer d’atteindre les objectifs techniques d’un programme très ambitieux, et pour tenir les coûts et délais (alors que ce programme, très novateur, est très risqué).

L’apport de la Direction Générale de l’Armement (DGA) sera d’ailleurs également décisif, puisque le programme NGF de chasseur de nouvelle génération est inclus dans celui encore plus ambitieux de SCAF (Système de Combat Aérien du Futur). Par exemple pour bénéficier au mieux des renseignements satellitaires, qui résultent des efforts français et européens sur plusieurs décennies.

Tout ceci (maîtrise d’œuvre Dassault Aviation, maîtrise d’ouvrage France) avait d’ailleurs été accepté par l’Allemagne dès 2017 (rejointe depuis par l’Espagne), dans le cadre d’un accord global sur le char du futur (MGCS), dont la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage avaient été confiées, de façon symétrique, à Krauss-Maffei Wegmann (KMW) (plutôt qu’à l’entreprise française Nexter) et à l’Allemagne.

Il y avait donc un « donnant donnant », un « deal » entre la France et l’Allemagne, et avec une logique du « meilleur athlète » : c’est l’industriel le plus compétent qui est l’architecte, le maître d’œuvre du programme. Mais les industriels allemands dans l’aéronautique semblent faire tout ce qu’ils peuvent pour empêcher l’application de cet accord franco-allemand, et refusent les propositions de Eric Trappier, PDG de DASSAULT Aviation.

De même que, par exemple, dans le spatial, l’entreprise allemande OHB est prête à signer un accord avec l’américain SPACE X, pour mettre au point un nouveau lanceur non prévu par l’Agence Spatiale Européenne (ESA), au détriment d’ARIANE 6, qui fait pourtant l’objet d’un financement important (environ 4 milliards) par les pays européens et notamment la France et l’Allemagne. Voir Ariane 6 : le coup de poignard de l’allemand OHB, (Challenges) et aussi : L'Allemagne va-t-elle faire main basse sur Galileo ? et Armement : les filouteries de l'Allemagne dans les coopérations avec la France (La Tribune).

Et les industriels allemands avaient déjà tenté de ‘doubler’ les industriels italiens produisant les éléments de la fusée VEGA. Heureusement, l’Italie a obtenu gain de cause.

L’Allemagne souhaiterait-elle faire main basse sur les excellentes commandes de vol des avions DASSAULT ? Notre prochain article « L’Allemagne est-elle encore européenne ?  » abordera ces questions, cruciales. L’attitude récente de l’Allemagne contraste singulièrement avec les efforts méritoires qu’elle avait faits au moment de créer AIRBUS. Y compris par des apports financiers qui s’étaient révélés décisifs, notamment en 1969 pour aider l’entreprise britannique de HAWKER-SIDDELEY à rester dans le ‘bateau’ européen Airbus A300, alors que le gouvernement du Royaume Uni et ROLLS ROYCE préféraient se tourner vers les Etats-Unis. (Voir « AIRBUS la véritable histoire » Pierre Sparaco, pages 93 et 95).

Plusieurs raisons pourraient expliquer de telles volontés, récentes, de l’Allemagne. Par exemple : 77 ans après la défaite de 1945, et la ‘récupération’ par les alliés (Union soviétique, Etats-Unis et France) de dizaines de ses ingénieurs et scientifiques très compétents en aéronautique, l’Allemagne voudrait-elle prendre une revanche ?

Nous verrons que c’est probablement une question générationnelle (4 générations après la fin de la guerre), et que le désir de revanche s’expliquerait très bien dans une logique de WIN / LOOSE (gagnant / perdant). Il est alors urgent de retrouver du WIN / WIN avec l’Allemagne, comme aux débuts d’Airbus. Ce serait possible, et cela supposerait des renoncements, à la fois en France et en Allemagne (Voir Les leçons tirées des coopérations internationales (en aéronautique) (1) ), mais Dassault et la France ont déjà fait leur part dans les négociations NGF / SCAF.

Mais, contrairement à une logique apparente, vouloir GAGNER ce n’est pas la même chose que vouloir NE PAS PERDRE, et cela a d’immenses répercussions concrètes : vouloir ne pas perdre expose beaucoup à perdre finalement ! Nous verrons ces aspects cruciaux dans « Le WIN WIN : sa puissance, en France et en Europe. Ce que c’est, ce que ce n’est pas ».

Nous avons déjà vu, dans un article de synthèse, comment éviter ou limiter les très grandes difficultés rencontrées dans les programmes réalisés en coopération : Les problèmes des hélicoptères NH-90 et Tigre (4/5). Une affaire de coopération peu efficace ?

Les 3 premiers articles de cette série sont à caractère chronologique : (1) 1945-1956, 11 ans de reconstruction française, (2) 1956-1986, 30 ans de consolidation et préparant le Rafale, (3) 1986 à aujourd’hui, développement du Rafale et exportation très significative.

11 ans après-guerre pour reconstituer l’industrie aéronautique française

L’immédiat après-guerre commence avec la domination écrasante de l’aéronautique britannique, qui n’avait pas été autant affectée par la guerre que l’industrie française (et européenne).

Au contraire même : comme l’aéronautique états-unienne, elle a bénéficié des efforts militaires sans précédents, qui ont notamment débouché sur le fameux ‘Spitfire’ pendant la guerre. Ainsi que sur les premiers avions à réaction comme le ‘Gloster Meteor’ et le ‘de Havilland Vampire’, faisant leur premier vol en 1943 et fabriqués respectivement à plus de 4 000 et 4 529 exemplaires, exportés vers 10 à 25 pays (dont la France).

D’autres succès britanniques viendront, avec le ‘de Havilland Venom’ (1 476 ventes) et le ‘Hawker Hunter’ (1 930 ventes), ainsi que les succès suédois du ‘Saab J 29 Tunnan’ (659 ventes), et français du ‘MD 450 Ouragan’ (Dassault, plus de 567 ventes, dont 192 exportés notamment vers Israël et l’Inde).

Mais il faudra attendre une dizaine d’années après la Libération pour que l’industrie aéronautique française commence à retrouver sa vigueur. Pendant cette période, c’est un foisonnement de projets de nouveaux avions, avec de nombreux prototypes, que ce soit aux Etats-Unis (28), en Europe (33) et notamment en France (21, dont 9 Dassault), et au Royaume Uni (9).

Nous ne mentionnons dans les tableaux ci-après que les avions à réaction, mais le MD 315 FLAMANT (premier vol dès juillet 1947) doit être signalé : cette réponse de Marcel Dassault à un appel d’offre lancé en juin 1945 par l’Armée de l’Air française surpassa ses concurrents, sera produit à 325 exemplaires entre 1949 et 1954, et sera en service dans l’Armée de l’Air jusque 1983.

C’est aussi dans plusieurs pays d’Europe le début de la fabrication sous licence d’avions à réaction, 

 britanniques, en France :

 ou états-uniens :

Rappel : le F-104 fut nommé « faiseur de veuves » du fait d’un taux de perte extrêmement élevé (jusqu’à 38% en Italie) avec 115 pilotes morts en Allemagne, pour 292 crashs). Quand « l’affaire Lockheed  » de corruption éclata, elle concernait en Europe le F-104 (Allemagne et Pays Bas) ; le célèbre "as des as" de la 2e Guerre mondiale, Erich Hartmann, s'était fermement opposé à son achat par la Luftwaffe, jugeant que « le F-104 était un avion défectueux et peu sûr ».

Autre remarque : nous parlons ici de chasseurs, et non d’avions à réaction utilisés comme bombardiers. Ce qui sera le cas du « North American F-100 SUPER SABRE » acheté à la fois par la France (100 ex.) et le Danemark (58), et livré à partir de 1958 et 1959 respectivement

Parallèlement, les efforts continuaient en France pour concevoir de nouveaux avions, et de nouveaux réacteurs (ATAR), ainsi que pour fabriquer sous licence des réacteurs : production du britannique ‘de Havilland Gobelin’ par HISPANO-SUIZA, puis du plus puissant ‘Rolls Royce Nene’ (102B puis 104), pour les « Mistral » mentionnés plus haut, ce qui exigea un re-dessin partiel de l’avion et permit la large francisation des aménagements et équipements. Voir « Un demi-siècle d’Aéronautique en France Tome 2 : LES AVIONS MILITAIRES. Ouvrage coordonné par Jacques Bonnet. Comité pour l’histoire de l’aéronautique. »

Le ‘Rolls Royce Nene 104B’, produit par Hispano-Suiza, a aussi motorisé le MD 450 OURAGAN, premier avion Dassault à réaction, déjà exporté à près de 200 exemplaires (Israël, Inde). Puis sa version agrandie ‘Tay’ a équipé le ‘MYSTERE IV’, fabriquée par Hispano-Suiza sous le nom de ‘VERDON’.

Dassault et la France commencent à combler le retard versus le Royaume Uni

L’importance de l’aéronautique britannique est encore très grande dans cette période, surtout au début, mais 3 tableaux permettent de voir la part croissante en Europe de l’aéronautique française (et notamment de Dassault), par rapport à tous les autres pays :


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