Jack London : Humanisme écologique pour un nouveau monde

par jack mandon
vendredi 18 septembre 2009

Depuis que nous grouillons sur la surface de la terre, dans cet immense creuset bouillonnant, il s’en passe des choses. Mélanges et métissages, explosions de joie et de souffrance, constructions et destructions d’espace, éveils explosifs, finalités implosives.

A cette différence, chez Jack London, le passage fut vécu, impulsif et créatif, incarné et sublimé, mais aussi écrit et conté dans tous les sens du sens et des sens. Passage incarné et désincarné, diabolisé et sublimé, serein et foudroyant, mais merveilleusement conté, avec simplicité, pour les petits et pour les grands.

Conquérant pacifique, mais guerrier infatigable, Jack mobiliserait bien une armée de journalistes et de reporters tant il est débordant de vie et qu’il s’investit et semble se dédoubler à l’infini, à tous les vents et les courants, sur les chemins, les fleuves et les mers, dans tous les grands espaces originels, animés et dangereux de la planète.

Mais que se passait-il donc dans ce nouveau monde, à ce moment de l’histoire où les peuples de la terre tentaient d’affirmer leur identité. Epoque de romantisme finissant, broyée par l’industrialisation, le capitalisme, le socialisme, l’impérialisme gigantesques et tous les ismes les plus fous aux allures de pandémies. Il se passait ce qui se passe depuis toujours...détruire et reconstruire est l’une des vocations humaine.

Le contexte terrestre global posé, de quel fermant humain notre héros va-t-il jaillir ?

Cela ne manque pas d’originalité dans la signature « zodiacale » extraterrestre de Jack.

Son père, le géniteur, le professeur William Henry Chaney...ne lui donnera ni son nom, ni son affection, mais son goût pour l’espace « illimité » des luminaires et des planètes, car il consacre sa vie à l’astrologie.

Mais il a une maman, même les dieux mythologiques sont enfantés par une femme, voire même par une déesse, ce que beaucoup d’hommes semblent occulter.

Sa maman, Flora Wellman est de santé fragile, elle est même presque naine. Il est naturel qu’elle ai enfanté d’un elfe lunaire-solaire nordique, comme dans les contes de Grimm. Cela quant à la forme, mais quant au fond, ça se confirme, car elle consacre son temps au spiritisme et gagne sa vie comme médium...ces deux là, William et Flora ont tout de même donné la vie à une espèce de visionnaire généreux, curieux, passionné et créatif.

Mais il méritait bien un papa, le petit Jack, il en eut un, en la personne d’un brave homme, John London, blessé pendant la guerre de sécession. Un papa bancal. Il a deux enfants, il est veuf, il épousera Flora et donnera son nom à cet enfant d’ailleurs et de nulle part, qui sans doute assez vite, se singularisera en l’honorant, mais en troquant le prénom de John pour le diminutif de Jack.

Le petit Jack, déjà un peu sorti d’une citrouille écarlate, ou peut être de la métamorphose éclatante d’une rainette en chasse, soulignera encore son originalité en s’abandonnant dans les bras rassurants et protecteurs d’une nounou africaine, Alonzo Prentiss, qui comme son ethnie et son nom l’indiquent, était une grande voyageuse, au lourd passé, devant l’éternel...La foi semble vraiment nécessaire à la survie de l’espèce, mais absolument indispensable au petit Jack.

La palette du grand coloriste universel se dévoile, Je veux parler du très haut.

L’intellectualité « neptunienne » du père géniteur, et professeur William London, la délicate sensibilité visionnaire de maman Flora, la modeste et grande générosité de papa John, héros malgré lui d’une page malheureuse de l’histoire des états unis, la sensualité débordante et chaleureuse de Prentiss, la nounou émergée du vieux continent africain, l’origine de l’humanité...

Ce mélange détonnant d’amour et de conquête à grandes fresques, d’espaces tortueux et torturés, d’immensité vierges et sauvages, de curiosité, de passion et d’irrationalité constitue le terreau originel pour un découvreur d’espaces intérieurs et géographiques, sans en garantir la stabilité..

Sa première muse...jolie et inspirée, se nomme Ina Coolbrith, elle est bibliothécaire dans la ville d’Oakland, elle recevra plus tard le titre de première poétesse de Californie. Pour Jack, la passion des livres s’accompagne de celle de la mer dans la baie de San Francisco.

Bien naturel qu’il cherche à mieux connaître l’oeuvre de Marx et de Spencer, ses deux idoles. Il prépare l’entrée à l’université de Berkeley. Pour cela, il s’inscrit à l’école secondaire d’Oakland en compagnie d’élèves de cinq ans plus jeunes que lui.

Ses premiers écrits ont une coloration politique, son évolution intellectuelle et universitaire à la mesure du personnage, à l’arraché, selon son humeur. Les entreprises les plus rocambolesques émailleront sa jeune vie, pléonasme, sa vie fut toujours jeune, un Rimbaud musculeux dans un mouvement perpétuel, quel feu l’anime ?

L’humanité à fleur de peau, un don familial, mais une propension pour invectiver, agir et interférer sur la matière vivante comme un bateleur imprudent et provocateur.

Son environnement familial invoquait les esprits, Jack les bouscule et les prend à la gorge. Une espèce de démiurge claustrophobe à la recherche du Graal...sans doute l’un des inspirateurs d’Indiana Jones...mais sans doublage. Les chutes, accidents, catastrophes garanties, le phénix renait toujours de ses cendres...mais dans quel état et à quelle prix !

A propos de cendres, Jack active puissamment la pulsion des paroxysmes. Il accumule les affects, colère, sentiment d’injustice, désir de vengeance. La charge émotionnelle intense et non dominée motive des conduites de violence impulsive et de révolte. Il est naturel qu’autour de lui, les tempêtes et incendies se multiplient au gré de ses entreprises...peut-être buvait il pour s’apaiser sa frénésie naturelle qu’accompagnait une grande frustration...mais l’alcool sur le feu...

Son havre de paix, la solitude, le grand large, la nature vierge, l’écriture de chair, la transposition animalière...là, il se ressource comme un titan aux limites du monde, à l’extrémité de ses forces.

Alors se dévoile son côté visionnaire et inspiré, sa délicatesse et son amour pour la vie naturelle.

La ruée vers l’or fut sa première grande tentative de tourner le dos à la civilisation. Le Klondike, le voyage en Alaska et dans le Yukon, le franchissement de la terrible Childhood pass...dans cette folle aventure il s’abandonne, le scorbut le rattrape...il en oublie résolument la fortune.

Cependant, l’artiste en éveil capte et inscrit en lui de puissantes impressions, génératrices d’informations et d’inspirations littéraires. Le grand nord canadien, le contact avec les trappeurs et les indiens, la nature impériale et indomptable...maintenant, il possède une source intarissable d’inspiration

Deux mariages, le premier avec Elisabeth, « Le fils du loup », « La fille des neiges »,le second avec Charmian, « Rien d’autre que l’amour »ne semblent pas constituer l’unique centre d’inspiration pour ce poète solitaire qui fréquente les muses dans les profondes forêts, les rochers escarpés, les torrents déferlants et les océans qui s’égarent dans les ciels de bout du monde.

Les voyages, en route pour l’Afrique Australe, comme correspondant pour couvrir la guerre des boers, il s’arrête à Londres. Il vivra, travesti en clochard, une expérience humaine au milieu des ouvriers démunis, les sans logis, les miséreux. « Le peuple de l’abîme »

La séparation d’avec sa première femme, le voyage à Londres, l’expérience douloureuse et révoltante avec les malheureux du laminoir-broyeur de la révolution industrielle, par une curieuse alchimie dont les artistes ont le secret, le voici recentré dans son intime passion.

Le rebondissement créatif ignore, comme par enchantement, l’implacable réalité du monde, et s’en abreuve. L’alchimie opère comme le mouvement du flux et du reflux de la vague qui transforme ses tourments en une écume joyeuse et paisible.

C’est le retour à l’état sauvage et le passage de relais à l’animal totem « L’appel de la forêt »

Maintenant le succès qui pousse l’aventurier en extrême orient, le correspondant qui couvre la guerre Russo-japonaise, on le retrouve, dans un dédoublement de romancier, penché sur le manuscrit du « Loup des mers ». Devinez où ? En Californie ! Il était au moins deux, peut être trois. Son militantisme socialiste ne porte pas ses fruits électoraux, pourtant ses conférences sont « scandaleuses »...ça me rappelle quelque chose, le monde évolue mais la terre tourne en rond.

Au fond, tant mieux, en retour on publie « Croc-blanc, dans son apparente simplicité, son roman est le plus abouti. C’est l’expérience de Jack dans le grand Nord canadien, lors de la ruée vers l’or du Klondike. Deux sociétés distinctes cohabitent : Les pionniers rustres et brutaux voire cruels, des ingénieurs des mines éduqués. Ce magma européen a déjà érigé sa ville. Dans un décor boueux, bruyant, insalubre et inquiétant, la banque, le saloon, le bordel, les boutiques pour trappeurs...

Plus loin, dans un lieu sauvage édénique, sur les berges d’un lac tranquille, des indiens s’affairent, calmes et sereins, les enfants jouent sur la plage. Le campement composé de huttes brunes en peau de bison et adossé à une forêt enveloppante de conifères et d’érables. « tout est charme et volupté »

Les amérindiens vivent en harmonie avec les animaux et la nature.

Cependant, la focalisation majeure du livre est celle des animaux, rédigé principalement du point de vue de Croc-blanc...humanisé à la manière amérindienne, ou le contraire...

La soif de l’aventure après la notoriété, amorce le dernier salut de l’artiste et du navigateur.

Les ambitions ne sont plus à la mesure des ressources physiques, son hérédité fragilisante, sa gourmandise généralisée pour la vie, le colosse d’airain au pieds d’argile doit abréger le voyage autour du monde de 7 années qu’il devait entreprendre avec sa femme Charmian.

Il revient d’Australie et rentre en Amérique avec son beau voiler, vingt-sept mois après son départ.

Jack London est maintenant addictif, l’alcool, d’autres drogues sans doute, déjà usé par sa vie frénétique, mais il poursuit son oeuvre romanesque.

Il flirte avec son inconscient collectif « Avant Adam » Les guerres tribales préhistoriques et les fauves. Dans un tout autre genre, répondant à ses convictions politiques, il présente « Le talon de fer », puis il brosse une parabole négative de sa propre réussite « Martin Eden », prophétique sans doute. Il retrouve le grand nord « Radieuse Aurore », Les voyages en mer « La croisière du Snark »

« La vallée de la lune », un voyage autour du Cap Horn, « Le cabaret de la dernière chance », l’itinéraire d’un ivrogne repenti, une sorte d’autobiographie. Utilisé plus tard par les tenants de la prohibition.

Surmené, épuisé , il est atteint d’urémie et de rhumatismes, insomniaque, sa santé s’effondre. Sa foi en l’idéal socialiste suit la même courbe, elle s’érode progressivement, c’est la démission. Ses camarades s’indignent de le voir partir avec son yacht de milliardaire.

Le 22 novembre 1916, Jack London décède à l’âge de quarante ans, après avoir absorbé une trop forte dose de médicaments et de morphine.

La condition humaine est si dure, que tous les hommes sont des héros, mais le grand Jack, prend des allures de leader. Le choix des origines implique une incarnation proportionnelle, cela ne va pas de soi.

Le contenant ? Je m’interroge sur l’enveloppe qui permit l’animation dans un espace souvent traditionnel et convenu. Jack dut se réinventer, se recréer, se métamorphoser jusqu’à l’épuisement...son imaginaire et la passion de l’écriture firent jaillir l’image rebelle de la « liberté » sans doute plus colossale et plus aérienne que celle de Bartoldi, qui se rigidifie, avec son bras pesant et son flambeau d’airain, dans les frimas du port de New-york.

Quand j’étais enfant, je m’interrogeais sur la vraie nature de cet homme insaisissable et attachant. Plus tard, à l’âge des critiques vaines, il m’apparut matérialiste, les pieds dans l’argile, mais la tête dans la galaxie, un pugiliste-poète anglo-amérindien au métissage culturel énigmatique et ambigu. Maintenant, à l’automne de ma vie, je sais sa véritable essence.

Son univers amérindien est pur et féérique, son esprit suspendu « entre chien et loup » s’est incarné dans son animal totem, il répond au nom de « Croc blanc »


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