« Andromaque » ou La Symbolique de l’Anéantissement par Braunschweig à L’Odéon

par Theothea.com
jeudi 30 novembre 2023

A notre époque où la résilience est évoquée comme l’atout indispensable et le remède pragmatique à tous les traumatismes engendrés par l’Humanité, il pourrait sembler que Stéphane Braunschweig, le directeur du Théâtre de L’Odéon et, en l’occurrence à la suite de ses Britannicus à La Comédie-Française & Iphigénie à Odéon-Berthier, le metteur en scène également d'une nouvelle création d’Andromaque mise pareillement en alexandrins par Racine, se montre pour le moins perplexe avec un tel schéma théorique appliqué à cette illustre tragédie qui, en miroir si peu opaque, pourrait a contrario s’apparenter à une métaphore à peine décalée des affres qu’offre, sous nos yeux atterrés, le spectacle contemporain mondialisé des tensions géopolitiques tellement meurtrières.

  

ANDROMAQUE
© Simon Gosselin

  

En effet, exhibant en ultime fin de sa réalisation, par ailleurs fort sobre et minimaliste, son Andromaque muette, esseulée, presque errante et titubante sur le plateau alors même que ce personnage titre était enfin parvenue à sauver l’essentiel de son souhait récurrent, à savoir la vie d’Astyanax son jeune enfant qu' Oreste avait eu pour mission initiale d’éliminer afin d’éviter tout mobile stratégique de vengeance ultérieure mais qui fut transformée sous la commandite d'Hermione en assassinat de Pyrrhus, il est manifeste que cette vision scénographique finale démontre sinon l’impasse humaniste tout au moins le peu d’espoir réaliste conçu envers des jours apaisés. 

  

ANDROMAQUE
© Simon Gosselin

  

Si, par ailleurs, l’expression populaire « Une victoire à la Pyrrhus » se rappelle maintenant à notre mémoire, c’est que la perception d’après combats indique qu’un chef de guerre n’ayant pas su être économe de ses troupes aura nécessairement la victoire fragile en s’imposant mais, de plus ici, Brauschweig se veut tout autant pessimiste pour le vaincu même si celui-ci a réussi à conserver un minimum apparent de sens vital… jugeant, sans doute, que les traumas ayant été tellement intenses de part et d’autre, l’avenir devrait apparaître sans lendemain constructible tant la pulsion de mort aurait pénétré le subconscient des partis hostiles en présence.

  

ANDROMAQUE
© Simon Gosselin

  

C’est ainsi que cette mare de sang virtualisée qui trône au beau milieu du plateau de l’Odéon est censée évoquer que les personnages de ce psychodrame, ayant tous été impliqués dans la guerre de Troie, ont désormais les pieds pris dans une viscosité indélébile et y restent maintenus dans une épouvante dont rien ni personne ne pourrait les extraire et ce malgré les passions intimistes qui continuent de les travailler au corps et à l’esprit au point d’en constituer une chaîne symbolique fatale : Oreste (Pierric Plathier) aime Hermione (Chloé Réjon) qui aime Pyrrhus (Alexandre Pallu) qui aime Andromaque (Bénédicte Cerutti) toujours fidèle à son époux Hector tué par Achille père de Pyrrhus tout en protégeant leur fils Astyanax enjeu potentiellement sacrificiel de tous les protagonistes en déficit patent de vision altruiste salvatrice.

Cet imbroglio producteur d’insatisfactions chroniques est ainsi à l’image de l’impossibilité pour chacun de dépasser la subjectivité du ressentiment pour le focaliser sur un objectif, quand bien même serait-il amoureux, celui du pressentiment de l'inatteignable car, de fait, non réciproque & non partagé.

  

ANDROMAQUE
© Theothea.com

  

En outre la propension collective à élever Andromaque au rang de victime expiatoire emblématique proviendrait du fait qu’elle pourrait paradoxalement apparaître au final comme la gagnante par KO généralisé alors qu’en réalité, elle va se retrouver seule au monde avec la charge de son fils, sans appui concret et sans perspective constructive dans un contexte dénué de repères.

Cette impasse existentielle serait donc constitutive selon ce point de vue scénographique d’un anéantissement sociétal dans lequel la résilience ne pourrait guère trouver sa place régénératrice.

Tous les comédiens sont imprégnés de leurs partitions au point de se concentrer sur les postures reliant précisément leur incapacité à se communiquer les clefs du savoir-vivre ensemble au-delà des conjectures défavorables. 

  

ANDROMAQUE
© Theothea.com

 

Et pendant ce temps, Racine enchante les alexandrins dans une musique lancinante où les interprètes y ont l’opportunité de prendre et, en retour, de donner à foison la juste mesure de l’échec globalisé.

Ce qui, en conséquence heureuse, va précisément constituer cette grande réussite non ostentatoire mais visionnaire de Stéphane Braunschweig à l’Odéon, Théâtre de L'Europe.

 

photos 1 à 3 © Simon Gosselin

photos 4 à 6 © Theothea.com

 

ANDROMAQUE - ***. Theothea.com - de Jean Racine - mise en scène Stéphane Braunschweig - avec Jean-Baptiste Anoumon, Bénédicte Cerutti, Boutaïna El Fekkak, Alexandre Pallu, Pierric Plathier, Chloé Réjon, Jean-Philippe Vidal & Clémentine Vignais - Théâtre de L'Odéon

  

ANDROMAQUE
© Theothea.com

 


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