« La Maison du Loup » Jack London Inspiration & Créativité contrariées au Rive Gauche

par Theothea.com
samedi 25 novembre 2023

Après avoir séduit les festivaliers du Off Avignon (théâtre du Chêne Noir) en 2021, '' La Maison du Loup '' écrite et interprétée par Benoît Solès, mise en scène par Tristan Petitgirard, a reposé ses valises depuis le 14 septembre 2023 au théâtre Rive Gauche Montparnasse dirigé par le dramaturge Eric-Emmanuel Schmitt. Avec une salle archi-pleine tous les soirs, la pièce qui suscite un engouement enflammé est déjà prolongée jusque fin janvier 2024.

  

La Maison du Loup
© Fabienne Rappeneau

  

Il faut dire que le tandem Solès/Petitgirard n'en est pas à son premier coup de maître puisque tous deux sont les créateurs de '' La Machine de Turing '' multi moliérisée le 13 mai 2019 (4 Molières : meilleurs spectacle, auteur francophone vivant, metteur en scène théâtre privé, comédien), laquelle continue à se jouer depuis 5 ans en tournée et, aujourd'hui, est programmée dans le magnifique théâtre du Palais-Royal.

Benoît Solès, brillant comédien, se permet d'ailleurs un soir par semaine de faire ''la doublette'' entre les deux lieux, enfourchant sa moto pour être à 21 h 00 au Rive Gauche. Le théâtre, un véritable défi sportif !

Ce duo gagnant aime les hommes aux destins incroyables, tel le génie des mathématiques anglais qui fut condamné pour homosexualité et les deux artistes associés cherchent à raconter des histoires extraordinaires qui peuvent émouvoir le public. Cette fois-ci, ils se sont intéressés à la figure légendaire de Jack London et plus particulièrement au bouleversement engendré par une insolite rencontre qui rejaillira sur son oeuvre littéraire.

  

La Maison du Loup
© Fabienne Rappeneau

  

Jack London, voyageur impénitent, est l'écrivain des grands espaces sauvages, auteur de L'Appel de la Forêt et d'autres romans célèbres Croc-Blanc, Le Talon de fer, Martin Eden, ainsi que plus de deux cents nouvelles. Sa réputation est impressionnante en Amérique et pourtant en 1913, sur les hauteurs de San Francisco où il s'est fait construire le manoir de ses rêves ''the Wholf house'', symbole de sa réussite financière, le baroudeur a posé ses bagages et sombre dans l'alcoolisme en panne d'inspiration. Il n'a plus la rage d'écrire. C'est dans cet état d'esprit que la pièce commence.

Le décor est à l'image de cet homme arrêté dans ses élans d'écrivain bourlingueur. A cour, un amoncellement de malles et valises suggère le voyageur qu'il fut, côté jardin, l'épave d'une chaloupe échouée sur la grève est l'emblème même du grand navigateur qui a fait le tour du monde à bord d'un ketch. De face, la terrasse et l'auvent d'une maison blanche à colonnettes avec son fauteuil à bascule, ses lampes-tempête, son gramophone représentent un havre de paix niché au creux de la montagne au milieu des bois, la forêt en arrière-plan est évoquée par les projections vidéos de Mathias Delfau qui apportent une dose d’onirisme parfaitement complétée par les illustrations très stylisées de Riff Reb’s et les superbes lumières de Denis Schlepp.

Le bruit des vagues envahit la salle. Et l’air de la romance des '' Pêcheurs de perles '' de Bizet s’élève, rythmé par le son clopinant d’une canne. A cette heure crépusculaire, entre chien et loup, une silhouette sombre chapeauté surgit, tout va se jouer, sur le perron du ranch, dans un temps volontairement resserré et intense avec cet étrange visiteur d'un soir.

  

La Maison du Loup
© Fabienne Rappeneau

  

L'homme infirme, traînant une jambe ceinte par une attelle, est reçue par une femme vigoureuse et avenante qui lui souhaite la bienvenue à la Maison du Loup. Charmian, l'épouse de London ou plutôt sa partenaire qui l'a toujours épaulé, a invité Ed Morell, un détenu fraîchement sorti d'un pénitencier, dans leur vaste propriété après avoir lu un article écrit par lui dans un magazine et désire en acheter les droits pour que son mari sorte de sa torpeur et en fasse un nouveau roman. De son côté, Ed Morell est venu demander de l’aide à Jack London afin qu’il intercède auprès du procureur pour éviter la condamnation à mort par pendaison de Jacob Heimer, incarcéré depuis de nombreuses années.

Tel un chien enragé, Ed Morrell campé par Benoît Solès va engager une lutte avec l’énergie du désespoir pour sauver son ami co-détenu qui lui a permis de survivre en prison. Face au loup solitaire Jack London ivrogne, désabusé, incarné par Amaury de Crayencour, le combat orchestré par Charmian (Anne Plantey), revêtue de la jupe-culotte qu'elle a inventé pour pouvoir chevaucher à califourchon, est rude, sans concession. La terrasse devient une arène où les fauves se reniflent et se déchirent.

L'inconnu, accusé d'avoir introduit de la dynamite dans le pénitencier et dans l’incapacité de révéler où elle est cachée est condamné pour de longues années à l’isolement et subit régulièrement le supplice de la camisole de force. Celle-ci, serrée au maximum, empêche de faire le moindre geste pendant plusieurs heures jusqu’à l’étouffement. Cette dynamite chimérique que les autorités recherchent avec acharnement, d’une manière obsessionnelle, revient comme un leitmotiv, symbole d’un monde carcéral transformé en enfer absurde par l’arbitraire.

 

La Maison du Loup
© Fabienne Rappeneau

  

Mais par la force de l’esprit, le prisonnier raconte être parvenu à s’évader hors de son corps mutilé. Grâce à l’auto-hypnose, son esprit s’échappe de la camisole et visite en rêve certaines périodes du passé de l’humanité et le souvenir d’existences antérieures, au point de les revivre. Ce dédoublement enseigné par des messages en morse par Jacob Heimer lui a permis de maîtriser ponctuellement le temps et l’espace et d’enjamber les murs de sa prison.

Dans un monologue d'une dizaine de minutes d'une tension intense, il vomit verbalement une scène de torture particulièrement éprouvante. Benoît Solès totalement poignant, imprégné par son personnage meurtri de l'intérieur, revit cette scène devant nos yeux, tel un animal blessé à mort, se tord de douleur, rugit, expulse toute la violence sadique des geôliers « mes brutes de gardiens étaient pour moi de vrais rats ; ils rongeaient bribes à bribes mon être pensant, déchiquetant tout ce qu'il y avait d'intelligence vivante en mon cerveau ! ».

Avec lui, le public quitte la forêt pour plonger dans l’enfer carcéral, celui justement que London dépeindra dans son ultime roman '' Le Vagabond des Etoiles ''. Cette nuit délirante aux échanges tendus sera pour lui la source d' une renaissance littéraire. Jack London publira '' Le Vagabond des Etoiles '' en 1915, une des plus vibrantes dénonciations de l’enfermement et de l’isolement auxquels les puissants ont recours pour perpétuer leur pouvoir et mourra l’année suivante, le 22 novembre 1916.

  

La Maison du Loup
© Theothea.com

  

Dans une mise en scène qui s'attache à la direction des acteurs, qui prend le temps d'étudier les personnages dans un environnement fantasmagorique, à l'opposé de bien des pièces actuelles au rythme vif et très séquencé, '' La Maison du Loup '' a peut-être le défaut d'être un brin trop didactique pour parvenir à vous embarquer pleinement dans cette impétueuse épopée.

  

photos 1 à 4  © Fabienne Rappeneau

photos 5 & 6  © Theothea.com

  

LA MAISON DU LOUP - ***. Cat'S / Theothea.com - de Benoît Solès - mise en scène Tristan Petitgirard - avec Benoît Solès, Amaury de Crayencour & Anne Plantey - Théâtre Rive Gauche  

  

La Maison du Loup
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