Shane MacGowan s’en est allé au paradis des rockers

par Fergus
mercredi 13 décembre 2023

« Il est mort, le poète ». Et c’est non seulement l’Irlande qui est en deuil, mais avec elle tous ceux qui, sur la planète, ont aimé les œuvres de cet auteur-compositeur-chanteur d’exception dont la voix altérée par l’alcool a fait des Pogues un groupe de premier plan atypique, mais ô combien attachant. Shane MacGowan s’est éteint le 30 novembre, prématurément usé par les excès, et « c’est une calamité »…

Défilé funéraire dans les rues de Dublin

Avec ses oreilles décollées, sa dentition chaotique et son regard parfois perdu dans on ne sait quel abîme, Shane MacGowan avait une « gueule » reconnaissable entre toutes dans la galaxie folk punk rock. Accro au tabac, à l’alcool et aux drogues depuis son adolescence, cet artiste d’exception, à la personnalité tout à la fois simple dans ses rapports à autrui et empreinte de tourments intérieurs, a toujours été caractérisé par un mode de vie autodestructeur, hérité de sa fascination de jeunesse pour le mouvement punk, alors porté par les Sex Pistols et les Clash.

Le succès des Pogues – le groupe antisystème et anti-Thatcher qu’il a créé en 1982, initialement sous le nom gaélique provocateur Pogue Mahone (embrasse mon cul) – a lui-même été incapable d’enrayer cette dynamique autodestructrice. Au point que, malgré son immense talent, ce créateur hors pair a été viré de sa propre formation à la suite de dérapages répétés*, et amené à fonder un nouveau groupe, Shane MacGowan and The Popes. Hélas ! les mêmes causes ont fini par produire les mêmes effets, au grand dam de tous ceux qui s’étaient attachés à ce personnage hors du commun.

Bien qu’il soit né à Pembury, dans un village de la campagne anglaise du Kent où ses parents irlandais travaillaient alors, Shane MacGowan a été élevé en Irlande. Très tôt, le garçon, doté d’une grande sensibilité et d’une sympathie marquée pour la cause irlandaise, a été imprégné de la culture celtique si profondément ancrée dans ce pays. Il est vrai qu’il avait de qui tenir sur ce plan : sa mère se produisait comme chanteuse et danseuse traditionnelle, et son père, en fin connaisseur de la littérature irlandaise, avait eu à cœur de lui transmettre cet héritage intellectuel. 

On retrouve tout naturellement ces racines irlandaises dans les albums des Pogues où Shane MacGowan et les musiciens du groupe ont repris des titres traditionnels arrangés par leurs soins. Ils ont aussi et surtout interprété dans leurs albums nombre de superbes compositions, tantôt poétiques, tantôt sur-vitaminées, signées MacGowan. On pense notamment au conte de Noël Fairytale of New York (co-écrit avec Jem Finer), devenu incontournable dans les pays anglo-saxons. Ou bien encore à Kitty, A Rainy Night In Soho, The Broad Majestic Shannon, Fiesta et bien d’autres.

Shane MacGowan a en outre donné un formidable écho à deux chansons magnifiques. L’une, aussi terrible qu’émouvante, And The Band Played Waltzing Matilda, a été écrite par l’Australien Eric Bogle en hommage aux soldats australiens engagés en 1915 dans la bataille des Dardanelles. L’autre, Dirty Old Town, est l’œuvre de l’Anglo-Écossais Ewan MacColl ; bien que le décor en soit une ville industrielle anglaise anonyme, cette très belle chanson, reprise par des dizaines de groupes dans le monde, est, grâce à Shane MacGowan, désormais considérée comme faisant partie intégrante du patrimoine irlandais.

Les obsèques de Shane MacGowan – décédé dans sa 65e année – ont eu lieu le vendredi 8 décembre à Nenagh, dans ce comté de Tipperary où il avait passé ses premières années. Étaient présents au côté de son épouse Victoria Mary Clarke de très nombreux artistes dont Nick Cave, les musiciens des Pogues et l’acteur Johnny Depp. Plusieurs hommages ont été rendus en musique au disparu dans le cadre de l’église où a été célébré l’office funèbre de cet homme, tout à la fois croyant et « destroy ».

Plus tôt dans la journée, ce sont des Dublinois très émus qui ont tenu par milliers à saluer la mémoire de Shane MacGowan lors d’un défilé funéraire organisé dans les rues de la capitale irlandaise. Là aussi, la musique a été omniprésente, et l’on a notamment pu entendre, entonnées par la foule, Fairytale of New York et Dirty Old Town, deux titres désormais indissociables de la personnalité de l’artiste.

Des hommages dont il ne fait aucun doute qu’ils ont dû se poursuivre longtemps après, et probablement jusqu’au bout du week-end, dans les pubs du quartier Temple Bar où l’on a bu moult pintes de Guinness, les unes pour oublier le décès du poète, les autres pour se souvenir de son immense talent. Sláinte, Shane !

Nul ne pouvait savoir, à quelques minutes du début d’un concert, dans quel état Shane MacGowan entrerait en scène.

Quelques liens musicaux :

The Sick Bed of Cúchulainn

Kitty

Dirty Old Town

The Band Played Waltzing Matilda

Wild Cats of Kilkenny

The Fairytale of New York (en duo avec Kirsty MacColl)

The Broad Majestic Shannon

A Rainy Night In Soho

Rain Street

Sally MacLennane

Misty Morning, Albert Bridge (Jem Finer)

Fiesta

The Wild Rover (trad.)

 

Autres articles consacrés à la chanson :

« Les étoiles filantes », en hommage à Karl Tremblay (novembre 2023)

« Hotel California » : le titre mythique du groupe Eagles (août 2023)

Du Chant des déportés allemands à L’hymne des femmes (janvier 2023)

Il y a 50 ans nous quittait Boby Lapointe, le « chanteur sous-titré » (juin 2022)

Les corons : un superbe hommage de Pierre Bachelet aux « gueules noires » (juin 2022)

Un groupe breton champion du monde de blues (mai 2022)

Quand Paco Ibañez chantait Georges Brassens (octobre 2021)

Il y a 50 ans : « And The Band Played Waltzing Matilda » (avril 2021)

« Trashman shoes » : un déchirant cri d’amour (mai 2020)

« Donna Donna » : Joan Baez, le veau et l’hirondelle (novembre 2019)

Il y a 20 ans décédait Amalia Rodrigues, la « Reine du fado » (octobre 2019)

« Kiko and the Lavender Moon » (septembre 2019)

Le jardin des Plantes aquatiques (novembre 2018)

Lady d’Arbanville, la belle endormie (juillet 2018)

Inoubliable et envoûtante Lili Marlène (décembre 2017)

1966 : un goût de sucettes (novembre 2016)

« Sixteen tons » : 70 ans déjà ! (août 2016)

Ils ont changé sa chanson (mai 2016)

Mary Bolduc, ou la vie quotidienne turlutée (février 2016)

Il y a 40 ans : « A vava inouva » (janvier 2016)

Loreena McKennitt la flamboyante (avril 2014)

Raoul de Godewarsvelde, canteux et capenoule (mars 2014)

Chanson française 1930-1939, ou l’insouciance aveugle (septembre 2013)

Chanson française : de la Grande guerre aux Années folles (novembre 2012)

La chanson française à la Belle Époque (juin 2012)

Musique : balade africaine (janvier 2012)

Véronique Autret vs Carla Bruni (décembre 2011)

Des roses blanches pour Berthe Sylva (mai 2011)

Splendeur et déchéance : Fréhel, 60 ans déjà ! (février 2011)

Amazing Grace : plus qu’un chant ou une mélodie, un hymne ! (septembre 2011)


Lire l'article complet, et les commentaires