Un « Napoléon » mené tambour battant telle une longue bande-annonce !

par Vincent Delaury
lundi 27 novembre 2023

Avec ce biopic Napoléon (2023, Ridley Scott) mêlant guerre, action et… histoire d’amour, on assiste aux origines de Napoléon, à son acmé (Empereur des Français en 1804 avec le sacre impérial à Notre-Dame, les monarchies voisines se coalisant vite contre cet héritier de la Révolution, jurant sa perte) ainsi qu’à sa chute, défaite et exil : de son ascension aussi impitoyable que fulgurante jusqu’à ses derniers jours, mourant dans la solitude en 1821, via sa promotion à l’époque de la Révolution (jeune général sans affectation en 1795, glorieux en Italie l’année suivante, Napoléon Bonaparte part à la conquête de l’Egypte avant de prendre la tête de l’Etat en 1798), le tout, sur fond de folles ambitions et de guerres meurtrières, vu à travers le prisme de sa relation addictive, dysfonctionnelle et explosive, avec sa femme et unique amour, Joséphine.

Napoléon tel un Phoenix, dans le Scott (2023)
Ridley Scott et Joaquin Phoenix sur le tournage de leur « Napoléon »

Deux ans après son poussif et lisse Dernier Duel, le vétéran Ridley Scott présente un nouveau long-métrage autour de l’Histoire de France. Avec Napoléon, il réalise une fresque – tournée en seulement 61 jours ! - centrée sur l’Empereur éponyme, campé par Joaquin Phoenix, acteur passant pour tourmenté. C’est après avoir vu sa prestation dans Joker (2019, Todd Phillips) que le cinéaste britannique a eu envie de confier à cet acteur américain, souvent inspiré (Walk the Line, Le Village, La nuit nous appartient, Two Lovers, The Master…), le rôle de Napoléon Bonaparte : « Dès que je l’ai vu, tout m’est revenu : notre collaboration sur Gladiator, la manière dont il s’est approprié le personnage et je me suis dit ‌"Bon Dieu, mais voilà Napoléon." C’est le seul comédien avec qui je m’entretiens pendant plusieurs semaines avant le tournage. On discute à bâtons rompus et on débat, dans mon bureau, des diverses facettes du personnage. En fin de compte, on est sur la même longueur d’ondes.  »

Imperator, avant Gladiator 2

« Napoléon » par Ridley Scott

On attendait beaucoup de ce Napoléon, portant au départ le titre de Kitbag, lancé initialement par 20th Century Studios (abandonnant le projet fin 2020), c’est in fine Apple Studios qui a acquis les droits mondiaux du film, et annoncé en grande pompe par le (grand) réalisateur lui-même, des plus ambitieux et fiers. Beaucoup trop, certainement. Jugez-en plutôt, Ridley Scott (85 ans au compteur, il fêtera son 86e anniversaire le 30 novembre prochain), déclarant le 14 janvier 2021 sur le site Deadline.com, « Napoléon est un homme qui m’a toujours fasciné. Il est sorti de nulle part pour gouverner tout le monde ! Mais pendant ce temps, il menait une guerre amoureuse avec sa femme adultère Joséphine. Il a conquis le monde pour essayer de gagner son amour, et quand il ne le pouvait pas, il l’a conquis pour la détruire et s’est détruit dans le processus. […] Aucun acteur ne pourra jamais incarner Napoléon comme Joaquin. Il a créé l’un des empereurs les plus complexes de l’histoire du cinéma (Commode) dans Gladiator, et nous créerons un autre Empereur de légende avec son Napoléon.  » Quelle modestie… Et BOUM ! Pétard mouillé tout de même à l’arrivée, que ce Napoléon signé Scott, film-fleuve faisant globalement flop, davantage Waterloo qu'Austerlitz, quoi. Bref, ce n’est pas top, du 2 sur 5 pour moi (©photos V. D.). Non pas que l’on s’y ennuie mais tout s’enchaîne sans passion. C’est un long-métrage qui se laisse voir certes, si l'on accepte que des Français du temps de la Révolution française et de l'Empire napoléonien parlent anglais couramment. Mais ce n'est pas le plus dommageable. Après tout, c'est une convention comme une autre, répondant, on s’en doute bien, à la norme d'une production hollywoodienne à diffusion internationale.

Joaquin Phoenix dans « Napoléon »

Plus embêtant, Ridley Scott, avec cette réalisation spectaculaire à 200 millions de dollars visant à conquérir les salles du monde entier (film terminant premier en France le 22 novembre dernier avec 121 840 billets vendus) avec à sa tête, en empereur français, Joaquin Phoenix, l’un des meilleurs acteurs hollywoodiens du moment, rate à peu près tout. N’est pas Kubrick qui veut, le cinéaste américain démiurgique ayant longtemps projeté de tourner son Napoléon avec Jack Nicholson dans le rôle-titre, à la place, il avait « patienter » en tournant Barry Lyndon, et l’on n’avait rien perdu au change, bien au contraire. Ridley Scott, de son côté, survole son sujet, lui que l’on sait pourtant d’habitude friand de films en costumes d’époque traversés par des batailles homériques et des foules de figurants, de Kingdom of Heaven au Dernier Duel, et de personnages historiques, réels ou fictifs, hauts en couleur tels Ramsès et Moïse (Exodus : Gods and Kings), Christophe Colomb (1492) et Robin des Bois. Son biopic à pop-corn sur l’empereur au bicorne apparaît tout de même, assez rapidement, comme une coquille vide, à peu de choses près. On le dit déjà passé à autre chose. Après Imperator, voici venir Gladiator 2 (film en préparation, casting terminé). Allez, hop. Au suivant. Et ainsi de suite. Le cinéma, je veux dire son langage même, l'intéresse-t-il toujours ? J'en doute. Certes, Ridley Scott est talentueux mais il semble confondre de plus en plus, malheureusement, quantité et qualité : « Depuis Gladiator, précisait-il à la revue So Film n°100 (propos recueillis par Axel Cadieux, novembre/décembre 2023, p. 68), j’ai réalisé 19 films et j’en ai produit 59. C’est toute ma vie. Je n’attends pas. Attendre, c’est perdre. Il faut savoir avancer tant que c’est possible. Mon sport préféré, c’est le tennis. Vous devez continuer de taper dans la balle, à tout prix. Sinon, c’est terminé. »

À l’attaque ! Ridley Scott fonce mais pour aller où ?
Rupert Everett (jouant lord Wellington dans « Napoléon »), ©photo polaroid V. D., Paris, rencontre Fnac, vers 2004

L’esthète Scott se contente ici de raconter une histoire, sans grande intensité (idem, l’oscarisé Joaquin Phœnix, à l'unisson du réalisateur Ridley Scott qu’il retrouve 23 ans après Gladiator, joue tout lassé, en étant d’ailleurs bien trop vieux - 49 ans - pour camper le jeune général Bonaparte), avec l'arc narratif attendu (de la montée en puissance politique du personnage culte et controversé à son exil forcé à Sainte-Hélène), en faisant bouger ses « petits soldats » sur l'écran. Certes, avouons-le, les scènes de batailles sont chouettes (le meilleur du long-métrage), avec notamment la monstration impressionnante, sous un ciel désaturé, comme passé à la javel, de bataillons à Austerlitz croulant sous les boulets de canon et l’eau gelée ainsi que de vaillants Britanniques lors de la grande débâcle de Waterloo (en ce qui concerne les armées napoléoniennes) parfaitement organisés grâce à la formation en carrés de leur infanterie, Scott n’étant pas un manchot à la réalisation, loin de là. Et Rupert Everett, acteur anglais étant passé par la prestigieuse Royal Shakespeare Company de Londres, comédien chevronné se montrant fort à l’aise dans de nombreux films d’époque, tels La Folie du roi George (1994), Shakespeare in love (1998) et Stage Beauty (2005) où il interprétait le roi Charles II, joue avec maestria un duc de Wellington revanchard et en verve (lord Arthur Wellesley de Wellington veut se le faire, le Français pédant et mal poli !), voilà pour le meilleur du film : à lui seul, l'acteur peut tout de même valoir le déplacement car, particulièrement investi, il est véritablement habité par son personnage. Je trouve également que deux séquences historiques, en ne manquant pas de panache (enfin !), sont plutôt bien traitées, à savoir le coup d’Etat de 1799, avec des politiques mis au pas par un petit Corse de militaire arriviste et parvenu faisant preuve d'un sacré culot ainsi que la scène légendaire durant laquelle Napoléon, déchu, rallie ses soldats lors de son retour d’Elbe, séquence émotion, l’historien David Chanteranne confirmant sur Europe 1, en novembre 2023 : « C’est exactement comme ça que ça s’est passé. […] Il avance en disant : ‌"S’il en est un qui veut tuer son empereur, me voici". Forcément, personne ne va prendre la responsabilité de tirer sur Napoléon. »

Tableau ancien (« Bonaparte aux pyramides », 1895) de Maurice Orange, rejoué dans « Napoléon », montrant le général Bonaparte en 1798, lors de la campagne d’Egypte, face à la momie d’un roi

Mais c'est si peu face à l'effet-mastodonte de ce blockbuster annoncé depuis belle lurette, et aux inexactitudes historiques plutôt embarrassantes : par exemple rien ne prouve, même si l’on se doute bien que cela sert son récit (comment prendre le pouvoir en France, dans le contexte de la Terreur, sans passer par l’absolutisme), que Bonaparte ait assisté le 16 octobre 1793 à l’exécution de Marie-Antoinette d’Autriche, coiffée ici comme une rock star sortie d’un clip de Falco (Rock Me Amadeus) - selon toute vraisemblance, au même moment, le capitaine Napoléon, qui sera bientôt promu au rang de chef de bataillon, se trouvait au siège de Toulon. Et, plus fâcheux encore, les tirs au canon sur les pyramides pendant la campagne d’Egypte par les troupes napoléoniennes sont une erreur factuelle manifeste relevée par bon nombre d'historiens, dont Patrice Gueniffey, chercheur en études napoléoniennes : Napoléon, parti en Egypte avec son armée mais aussi pour y mener une expédition scientifique avec une centaine de savants (botanistes, linguistes, archéologues…), connaissant en outre parfaitement le rôle de l’art pour « vendre » son image et servir l'Histoire sur un plateau, n’ayant jamais fait bombarder ces sacro-saintes pyramides, considérées déjà à l'époque comme des joyaux, d’autant plus que la « bataille des Pyramides » a en réalité eu lieu près du village d’Embabeh (la portée efficace d’un canon étant d’à peine un kilomètre). Quant à nos Frenchies de service, fonctionnant ici telle une caution pour donner au film un parfum estampillé France, ils n’y font quasiment que de la figuration et encore : Ludivine Sagnier, bizarrement, a disparu de la version courte, on la cherche en vain (on nous la promet pour un director’s cut à venir, ouf). Tahar Rahim, lui, portant beau le costume cintré scintillant à col relevé, joue pas trop mal, de manière amusée et amusante (de la malice dans le regard et un certain détachement), l’homme politique révolutionnaire Paul Barras ; par ailleurs, des personnages historiques, pourtant d’importance, comme Talleyrand et Fouché, n’y font aussi que de la figuration, quel dommage.

« Napoléon » (2023) en Egypte, du vite fait...
Un Napoléon lourdingue : Joaquin Phoenix

C'est très illustratif, comme désincarné, ce film nous livrant, souvent à la va-vite (accrochez-vous !), 28 ans d’une histoire de France ô combien chamboulée compactée en une succession de saynètes proches de la carte postale qu’enchaîne Ridley Scott tel un chef militaire en vadrouille, droit dans ses bottes, voulant avancer coûte que coûte - au fond, ne serait-il pas le plus napoléonien de cette vaste entreprise ? Déjà par le passé, Kubrick (1928-1999) s'identifiait à Napoléon (1769-1821). Mais Ridley, l'Anglais officiant en stakhanoviste à Hollywood, va vite, trop vite, surfant sans guère de panache sur le mythe napoléonien. On comprend juste que c'est un portrait-charge, assurément, tant il nous le dépeint piètre amant (puceau de prime abord devant la Beauharnais), tyran limite autiste, despote assoiffé de sang et de pouvoir (le film à la fin et avec raison ne manquant pas de rappeler le nombre astronomique de morts en égrenant les nombreuses pertes humaines causées par ses multiples champs de batailles, les historiens patentés estimant le nombre de morts à ni plus ni moins un million), nabot proche du laideron, rustre et taiseux et, plus gênant encore, guère intelligent ! Alors que l’on sait que l’empereur, au cerveau scientifique d’exception, pouvait en une seule journée dicter, dans son cabinet, jusqu’à 40 lettres à des secrétaires différents. Puis, le réalisateur anglais passe sous silence le fait que Bonaparte était un stratège militaire de génie, absolument rien non plus sur ses réformes politiques (les bonnes comme les mauvaises, dont le rétablissement fort gênant de l’esclavage, certes, ce n'est pas très visuel...), préférant s'attarder (longuement !) sur ses défaites, dont la bérézina que fut pour lui Waterloo - et où, comme par hasard, a contrario, les Anglais ont brillé ! Merci Sir Ridley Scott pour le peuple, et public, anglais, le journaliste Jacques Morice dans sa critique du film dans Télérama #3854 notant non sans humour « Bref, si l’on était cocardier, on pourrait soupçonner une opération téléguidée par les services secrets britanniques  » !) - davantage que sur ses victoires, la campagne d'Egypte n'y étant qu'une jolie carte postale de deux minutes et celle d'Italie, en étant juste nommée, est, elle, quasi absente.

Joséphine de Beauharnais (Vanessa Kirby) au Château de Malmaison (92)

Un talon d’Achille nommé Joséphine

La truie et la brute dans « Napoléon », 2023, par Ridley Scott

Bref, il n’y a pas de véritable point de vue ou propos fort, qui susciterait l’enthousiasme en invitant le regardeur à être partie prenante du récit (y mettre son grain de sel grâce aux ellipses, et béances. Entre nous, les fondus au blanc y sont particulièrement laids) ; son seul leitmotiv étant que Joséphine de Beauharnais (1763-1814), jouée par l'actrice britannique Vanessa Kirby qu'on a vue auparavant dans l’inspiré The Son de Florian Zeller (brillante comédienne, princesse Margaret inoubliable également dans The Crown), était le talon d'Achille de Napoléon Bonaparte (son épouse de 1796 à 1809), ce qui est exact, il l'avait dans la peau (« Je n’ai pas pris une tasse de thé sans maudire la gloire et l’ambition qui me tiennent éloigné de l’âme de ma vie », écrivit le fougueux Napo à sa dulcinée en 1796), le film finissant par le beau (juste trois mots), au seuil de son existence, « France... Armée... Joséphine… », en oubliant d’ailleurs regrettablement, lorsque c'est écrit à l'écran, l’accent aigu sur le « e » de Joséphine. Mais même ça, Scott ne creuse pas assez, alors qu'il veut souvent montrer le côté crade, tant mental que physique, des Français. Ainsi, comment Ridley et son scénariste David Scarpa ont-il pu passer à côté du fameux et magnifique « Ne te lave pas, j'arrive !  » adressé amoureusement à sa femme-maîtresse infidèle Joséphine ? Son désir irrépressible pour sa belle (ambiguë, féministe avant l’heure) vient justement se loger là : dans un amour fou et animal (la « truie » et la « brute », c’est ainsi que les deux amants se nomment mutuellement), au-delà même du raisonnable. Autrement dit, montrer l’humain, trop humain derrière la raison à cheval (Hegel) et le costume d'apparat pour médailles, peintures officielles de propagande (servir l’Empire avec emphase, « C’était le Michael Jackson de l’époque ! », dixit l’acteur Philippe Torreton dans So Film #100, qui a interprété l’empereur finissant dans le sous-estimé Monsieur N. (2003) d’Antoine de Caunes), assiettes, verres et autres chopes à bière : quel pari intéressant. Mais même ça, bien qu’il ne cesse de graviter autour, au point de se répéter, Scott le survole. Alors qu’elle existe bel et bien dans l’histoire, la petite comme la grande, cette phrase-clé suscitée (jamais évoquée, hélas, dans le film-fleuve). Et là, perso, j'en « veux » à Scott car il passe à côté du centre névralgique de sa démonstration, montrer l'homme (touchant, amoureux, fragile, vulnérable dans l’intimité de la chambre à coucher), dans sa vérité nue, sous le masque du supposé Grand Homme et les ors et moulures de l'Aigle.

Une peinture revisitée dans le film : le « Sacre de Napoléon 1er et couronnement de l’impératrice Joséphine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804 », détail, huile sur toile (1806-1807), Salon de 1808, Jacques-Louis David (Paris, 1748 - Bruxelles, 1825), musée du Louvre, Paris
Albert Dieudonné incarne Bonaparte dans le film « Napoléon » (1927) d’Abel Gance : l’Empereur, c’est lui !

Mais bon, on l'aura compris, le Corse Napoléon, de toute évidence, ce n’est pas sa came, le réduisant à la toute fin à un pion, ou culbuto, qu’on renverse. Visée burlesque pas inintéressante d’ailleurs mais, encore une fois, restant trop en surface. De plus Joaquin Phoenix, d’habitude acteur des plus solides, y est un peu trop en roue libre, certes, façon monolithe, il ne cabotine pas, mais se montre étrangement peu concerné par son personnage (qu’on ne voit bizarrement jamais d’ailleurs dans une de ses attitudes les plus célèbres, à savoir la main droite glissée dans son gilet), traversant le film tel un fantôme, en ne nous faisant jamais oublier ses prédécesseurs, pour certains illustres, qu’étaient Charlie Chaplin, Albert Dieudonné, Charles Boyer, Marlon Brando, Rod Steiger, Pierre Mondy, Patrice Chéreau, Philippe Torreton, Aldo Maccione et autres Christian Clavier. Au risque d’étonner, Clavier, comique troupier converti en Napoléon mature dans la série télé éponyme de 2001 (France 2), est bien plus crédible que Joaquin Phoenix, jouant souvent l’œil éteint. Je trouve qu’en tout cas, dans son jeu, s’y ressent davantage « l’esprit français ». Eh oui, quand Clavier ne « defunès » pas trop, il s’avère bon acteur. Jean Tulard, l’académicien de 90 ans spécialiste de la période napoléonienne et grand cinéphile, notait non sans humour, dans Aujourd’hui en France n°8039 (dim. 26 nov. 2023, p. 33, in l’article L’acteur qui se prenait pour Napoléon) : « Le plus grand, c’est Dieudonné. Il y est admirable [Napoléon, 1927, d’Abel Gance], beaucoup plus que Joaquin Phoenix, totalement inexpressif. Cet immense acteur coule le film. Prendre un phénix pour incarner l’aigle, l’affaire était mal partie.  »

Le sacre de l’Empereur dans le Scott, tiré de l’iconique tableau de David qui, avec ses 191 personnages figurés au total, était lui-même une recomposition habile de l’événement

Morne plaine

Le Napoléon labellisé Scott, c’est, pour résumer, aussi bon que son Robin des Bois (2010), qui était comme une longue bande-annonce d’un film qui ne viendra jamais, commençant à être bien au moment même où il s'arrête net ! Donc pas terrible du tout. Poussif et déceptif. Ce petit Napoléon, on dirait, au fond, juste une version courte sous forme de teaser, 2h37 tout de même, comme prétexte et rampe de lancement calibrée pour servir une plus longue (4h30) déclinée prochainement sur petits écrans en streaming (une production Apple/Sony pour la plate-forme Apple TV+, la longue version du film, prochainement commercialisée, rajoutera de nombreuses scènes coupées autour de Joséphine de Beauharnais), et pourquoi pas en série cathodique standard (en attendant, en outre, la série que projette de lui consacrer Steven Spielberg). Il est où notre cher Ridley Scott balèze d’antan (Les Duellistes, Alien, Blade Runner, Thelma & Louise, même Gladiator), à savoir celui qui pouvait nous retourner la tête ? Aux oubliettes, hélas, et ce depuis un bon moment…

Harvey Keitel dans « Les Duellistes », 1977, de Ridley Scott

Sans être jamais présent à l’écran, il y avait plus de Napoléon à l’œuvre dans son mémorable Duellistes (1977), son tout premier film de fiction adapté de la nouvelle Le Duel (1908) de Joseph Conrad, avec une intrigue troublante reposant sur deux hommes poursuivant un fascinant duel tout au long du pouvoir de Napoléon (on y voit deux soldats se défiant en duel près de vingt fois en une vingtaine d’années), tout tournant autour de la figure centrale de Bonaparte sans qu’on le voie jamais à l’écran. Avec notamment ce plan final fabuleux montrant Harvey Keitel, jouant au tout début du XIXe siècle le lieutenant Gabriel Féraud du 7e régiment de hussards, debout face à l’horizon en haut d’une falaise, avec un bicorne comme… Napoléon Bonaparte : « Dans Les Duellistes, précisait récemment avec clairvoyance Ridley Scott à Aureliano Tonet dans Le Monde #24536 (22 nov. 2023, p.22, papier/interview Napoléon a façonné sa légende), Napoléon n’apparaît que comme une ombre, un dieu nouveau vénéré par ses troupes. Ce film a éveillé ma fascination pour lui. » Quant à Stanley Kubrick, avec son Napoléon en creux (Barry Lyndon, 1975, dans lequel ce génie du cinéma semble figer le temps comme s'il était reparti filmer, en caméra reporter, au XVIIIe siècle éclairé picturalement à la bougie), il peut tranquillement, avec ou sans bicorne, dormir sur ses deux oreilles, se situant mille coudées au-dessus. C'est lui, l'aigle. Inatteignable... Ainsi, on sort du Napoléon de Scott en étant, hélas, indifférent tant c’est un film morne : aussitôt vu, aussitôt oublié. Ridley Scott ? Peut largement mieux faire !

Napoléon (2023, 2h37), Royaume-Uni/Etats-Unis. Couleur. De Ridley Scott. Avec Joaquin Phoenix, Vanessa Kirby, Rupert Everett, Tahar Rahim, Ben Miles, Ludivine Sagnier, Matthew Needham. En salles depuis le mercredi 22 novembre 2023.


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