Du moulin au four…

par C’est Nabum
mercredi 3 avril 2024

 

Une drôle d'idée !

 

Il advint dans le temps jadis que Cornille, un meunier eut la prescience du circuit court, bien avant que cette idée ne soit dans l'air du temps. Bien installé dans l'existence avec un moulin à nef qui fait sa fierté tout en causant nombreux désagréments aux bateliers pour lesquels son installation constitue un obstacle de taille et un danger potentiel, il profitait d'un courant continu pour faire tourner une roue qui assurait sa bonne fortune.

Cornille donc n'avait qu'une contrariété dans l'existence : ses très mauvaises relations avec ses collègues ligériens, les gens qui tout comme lui, font métier sur les flots. L'eau avait beau couler sous son pont, le torchon brûlait entre ceux qui naviguaient et lui qui restait collé à une pile. Que d'avaries il avait bien involontairement provoquées par la maladresse de mariniers trop pressés.

L'homme entendait se concilier les bonnes grâces de ces lascars mal embouchés pour qui la farine montait au nez bien trop souvent. Il en avait cure de s'entendre dire que sur la Loire, il convenait de savoir trier le bon grain de l'ivraie. Lui le meunier flottant étant d'après eux cette herbacée nuisible pour qui veut faire son blé sur la Loire.

Cornille tenta bien la conciliation avec ceux qui se démarquant de l'arche marinière passaient tout près de son moulin à nef. Il leur offrait un peu de farine, pensant se faire ainsi pardonner des difficultés qu'engendrait sa présence sur la rivière. Le cadeau n'était guère du goût de nos navigateurs chauds du bonnet en dépit de leur préférence pour le grand chapeau de feutre.

Il se trouvait même des plus retors pour prétendre que Cornille entendait ainsi les enfariner et le torchon brûlait plus encore. Les esprits s'échauffaient ce qui fut la cause d'une suite qui s'avéra catastrophique. Cornille, brave homme aurait pu ignorer ces querelleurs d'autant qu'il était dans son bon droit comme nombre de ses collègues meuniers sur l'eau.

Il était bonne pâte, ne supportait pas les querelles et n'avait qu'un désir : se faire ami avec les gars qui vont sur l'eau. C'est une altercation plus virulente que les autres avec un mal embouché notoire qui scella son destin. Le capitaine irascible, frôlant d'un peu trop près la roue du moulin traita le meunier de « Bâtard » puis fila fort satisfait de sa saillie.

L'insulte, au lieu de mettre hors de lui le brave homme, le plongea dans un abysse de réflexion. Voilà la solution à tous ses maux tout autant qu'une formidable occasion de se diversifier de manière intelligente. Cornille avait la matière première, il lui parut tout ce qu'il y a de plus normal d'associer un four à bois à son moulin pour fabriquer du pain tout en faisant son beurre.

Personne ne put le dissuader de cette idée saugrenue. Cornille pensant qu'offrir du bon pain aux mariniers était la plus belle manière de les amadouer. Il amarra un grand bachot à son bateau à nef sur lequel il installa un formidable four à bois. Sur la rive, des esprits retors se gaussaient d'une aventure qui sentait le brûlé.

L'entêtement de Cornille se passait des mises en garde. Le four passa à l'action et naturellement la première fournée confirma les craintes des observateurs raisonnables. La boulangerie flottante et le moulin à nef s'embrasèrent pour la plus grande satisfaction des mariniers qui voyaient disparaître un obstacle de taille.

Les malheureux ignoraient alors que bien vite, d'autres chaudières viendraient prendre la place. La vapeur prit le pas sur la voile pour le transport des passagers et des marchandises. La roue avait tourné pour la Marine de Loire et bien des mariniers se trouvèrent au pain sec en compagnie d'un Cornille qui avait cessé de manger son pain blanc.

Notre meunier trouva curieuse conversion. Il abandonna la rivière et passa de but en blanc sur le rail pour devenir bien vite Chauffeur sur les locomotives. Il cessa de broyer du noir à propos de la marine de Loire dont l'histoire partait elle aussi en fumée.


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