Hystérie collective

par C’est Nabum
lundi 24 juillet 2023

 

 Les spectateurs perdent la tête et les pédales.

 

Le Tour de France donne à voir des scènes hallucinantes dès que la route s'élève. Il semble alors que l'intelligence collective est inversement proportionnelle à la hauteur à moins que plus prosaïquement l'altitude nuit gravement à l'attitude. Il serait bon d'en analyser les causes mais ceci dépasse largement mes compétences pour peu du reste que je puisse prétendre à pareille capacité.

Examinons la partie visible de cette folie collective qui en vient même à barrer la route à l'objet même de son délire. Que les spectateurs se déchaînent et sortent ainsi du cadre pour totalement dérailler et perdre toute allure humaine, relève de la volonté de rester dans le lexique de la petite reine.

Pour agir de la sorte, ces êtres qui se prétendent humains, se sont installés la veille, ont campé ou bien ont trouvé une place pour leur camping afin d'assister au passage fugace de coureurs au bout de l'effort. Ils sont là, d'autant plus entassés qu'ils ont trouvé place le plus proche possible du sommet. Ils laissent monter la pression, se retrouvent entre passionnés, évoquent leurs champions dont certains héritent de messages sur le bitume.

L'attente fait monter la pression. La caravane publicitaire va mettre son petit grain de sel et d'agitation en distribuant au hasard des casquettes, des tee-shirts, des gadgets qu'il faut arracher aux mains des voisins. La tension monte ainsi et elle atteint son grand prix de la montagne quand les coureurs arrivent par petites grappes.

Les caméras sur les mots et celles installées dans les hélicos vont alors focaliser le désir de chacun d'hériter de sa seconde de gloire. On se grime, on se déguise, on fait assaut d'imagination tandis que le pays tout entier démontre à la Planète que la décoration des ronds-points est devenue l'expression la plus aboutie de l'art brut contemporain.

Pirandello aurait adoré ce qui se trame alors sur cette scène en plein air. Le plaisir ultime est de se filmer passant à la télévision. Un œil vissé sur son téléphone et l'autre sur la télévision afin de faire coïncider cette seconde d'éternité qui vous fera entrer dans tous les foyers. Pour se faire, certains prennent le risque de faire tomber les sportifs qui servent simplement de toile de fond ou de prétexte à ce Narcissisme délirant.

D'autres se sont affûtés pour faire durer un peu plus ce moment inoubliable. Ils se dénudent ou se déguisent, deux versions d'une même volonté de sortir de la masse et vont courir le plus longtemps possible à côté de ceux qui sont en tête de la course. Comportement délirant qui met en danger ceux qui sont en plein effort, risque énorme de se faire accrocher par les innombrables véhicules qui font de cette compétition un modèle absolu de sobriété énergétique.

Et puis il y a la masse compacte de ceux qui ont besoin de faire la haie d'honneur à leurs favoris. Ils se resserrent le plus possible de chaque côté pour s'agiter, hurler, déployer des drapeaux ou des pancartes dans une agitation qui ne peut s'expliquer que par la crise d'excitants chimiques. Leurs faces sont transformées par ce moment qui échappe totalement à la raison.

Est-ce là l'image d'un peuple qui fut jadis celui des Lumières ? Est-ce l'expression la plus aboutie de cet abaissement de l'intelligence collective pour transformer l'individu en pion de la plus antique manipulation de masse : Panem et Circenses. Sur le bord des routes, ils parviennent même à ridiculiser les supporters fanatiques des virages des stades de football. Ce n'est pas un mince exploit que celui-là.

Et pour corser le tout, le premier d'entre-nous – c'est du moins ce qu'il est censé représenter - s'agite en bras de chemise comme un enfant à qui l'on offre un hochet et se délecte de cette manifestation la plus aboutie de l'opération générale d’abrutissement des masses menée par tout ceux de son espèce. Le point d'orgue d'un Tour de force réussi.

À contre-sens


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