La véritable gastronomie se trouve-t-elle dans les émissions télévisées ?

par Kilien STENGEL
samedi 22 juillet 2023

C'est la bonne nouvelle de la semaine parait-il ! Après un suspense médiatisé, Cyril Lignac sera de retour cet été pour une nouvelle saison de Tous en Cuisine sur M6, pour faire découvrir les recettes estivales. Mais, la télévision est-elle le meilleur média pour nous faire découvrir la gastronomie. Les consommateurs ont-ils besoin d'autre chose pour prendre du plaisir ?

Face à une gastronomie qui devient esthétisante et enflammée, il n'y a qu'une seule recette pour qu’elle puisse être à la portée de chacun : la culture gastronomique. Non pas moins de culture gastronomique, mais plus de culture gastronomique. Le plaisir gastronomique s’apprend certainement plus au fil de la vie qu’à la lecture d’un livre ou d'une émission télévisée, mais pour déchiffrer le fil de cette vie gastronomique, pour se projeter dans cette découvrte culinaire, ne faudrait-il pas un livre ou une émission télévisée ? Se passer de média gasrtonomique ne nous ramènerait-il pas à effectuer quotidiennement les mêmes gestes culinaires et consommer les mêmes mets, donc à faire régresser l’évolution des techniques culinaires autant que l’évolution des modes alimentaires ? Certes, personne ne niera qu'il existe une caricature du savoir théorique télévisé et de sa démontration, comme la pratique culinaire est finalement une fome parodique de la culture alimentaire. Mais de nos jours, les émissions gastronomiques donnent l’impression d’être à la recherche des téléspecteurs qui leur conviennent. Quand on est en possession d’un livre de cuisine ou d'un écran, on se cache souvent derrière cet "écran", ses recettes et leur technicité, pour répéter les gestes sans juger des choses, des antériorités de ces gestes et du rituel culturel. En outre un média de culture gastronomique fait penser, au lieu de citer sans penser, et tient lieu de raisonnement soit nutritionnel soit artistique, soit ethnographique, soit historique, soit géographique, soit philosophique, soit culturel tout simplement. Son rapport à la cuisine est de ne pas en avoir directement, il n’est pas média culinaire, il est ouvrage gastronomique à l’approche des sciences humaines, étalant sa culture qui peut paraître terrifiante. Le bibendum brandit bien depuis plus de 100 ans son « Petit livre ronge », un guide des pensées économiques et restauratrices, référence en termes de construction de l’offre touristique. Il décide pour vous ce qui est « bon », et vous adoptez sa doctrine. Certains voient dans ce guide, comme dans d’autres messies l’élitisme franchouillard providentiel, et une dictature de la culture gastronomique qui s'empare des esprits et ordonne le savoir-faire. Aussi les médias gastronomiques seraient-ils là pour inculquer une doctrine du goût aux peuples afin de les asservir. Cette inquisition a pourtant malheureusement existé dans la vie gastronomique de notre société. L’influence de la nouvelle cuisine fut un levier pour le boom de la diététique. Et l’influence du bio fut-elle réellement utile pour la santé ou simplement un faire-valoir économique ? Cette forme d’existentialisme de la culture gastronomique, sujette à polémiques intello économiques, est reléguée dans les médias de cultures gastronomiques pour lesquels il n’existe pas de rayon en librairie. Même le professeur d’école hôtelière enseigne à ses élèves la même collection de savoirs (recettes, produits, appellations, techniques,..) et ne remplace jamais une démonstration par un discours sur l’intellect de cette gastronomie. Il relègue lui-même cette science de pensées gastronomiques à une simple présentation technique. La vie alimentaire est un média à elle-seule, une pensée intelligente, remplie d’actes et de paroles, qui comprend nos attentes, nos plaisirs et nos espoirs de découvertes. Regarder une émission gastronomique dans ces conditions ne consiste pas à se cantonner à l’espace de notre table, mais à s'ouvrir aux cultures gastronomiques ou alimentaires, à la multiculturalité, à l'ouverture aux autres. Ainsi, les sciences humaines tournées vers l'alimentation et la pratique culinaire ne sont pas opposées. Car, quand on cuisine, on goûte et quand on goûte, on ne cesse d'apprendre, de découvrir, de déchiffrer de nouveaux messages donc d’enrichir ses sens et sa culture. La cuisine est complémentaire à la culture, parce qu'elle remplit la vie de sens.

 

Il ne suffit pas qu’un aliment soit bon à manger,

encore faut-il qu’il soit bon à penser »

Claude Lévi-Strauss


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