Une idée dans le vent

par C’est Nabum
samedi 22 juillet 2023

 

L'éole-porteur

Le colporteur du vent

 

Avel fut un excellent marinier qui très vite devint expert dans l'art de manier la grand-voile, de régler la bouline, d'installer le boîtat et de tendre les drisses. Il se désolait souvent de devoir se plier à la règle de sagesse qui déconseillait fortement de se laisser porter par le vent d'est dans le sens du courant. Lui, ne naviguait que pour le plaisir de se confronter à Éole, de sentir se gonfler la voile pour pousser le chaland.

Rapidement, il se désola de ne pas saisir toutes les occasions pour se laisser porter par le vent d'où qu'il vienne. Les plus vieux matelots, forts d'une expérience acquise au fil des escales lui conseillèrent de se faire marin sur l'Océan pour ainsi profiter pleinement d'un vent qui pouvait souffler de toute part. La quille des bateaux qui vont en mer permet de s'appuyer et de supporter des allures qui ne se peuvent sur la Loire.

Hélas, pour ce charmant garçon, le mal de mer fut pour lui un obstacle rédhibitoire. Jamais il ne parvint lors de ses différentes tentatives à se débarrasser de ce malaise sournois, de son incapacité à disposer du pied marin. Sa présence sur l'océan tournait à l'enfer, il n'eut d'autre solution que de renoncer à cette reconversion tant espérée. Il lui fallait se satisfaire de la remonte par vent de Mar, Galerne ou de Galarne, telle était sa destinée.

C'est du moins ce qu'Avel crut longtemps jusqu'au jour où lors d'une escale il croisa un colporteur dans une taverne. L'homme avait dans sa balle bien des marchandises qu'il vendait au gré de ses pérégrinations. Au début de leur conversation, Avel plaignait ce solide garçon qui ployait sous son faix, la tête protégée par un « coltin » ; une coiffure prolongée d’une pièce de cuir couvrant le col et les épaules pour supporter la charge d'un coffre en bois tenu par des bretelles. Un travail de forçat et une vie de trimard d'après notre marinier.

Puis au fil des chopines partagées, une idée germa dans l'esprit de notre ami Avel. Le colporteur lui avait avoué qu'il allait ou bon lui semblait, là où le vent le pousse avait-il dit, sans prêter la moindre valeur à cette expression qui tout au contraire, intrigua son interlocuteur. Avel n'insista pourtant pas sur ce détail qu'il laissa germer dans son esprit pour se renseigner plus avant sur les marchandises qui se vendaient le mieux.

L'alcool aidant, le colporteur se confia sans penser qu'il mettait le pied à l'étrier à un potentiel rival. C'était pourtant ce qui vint à l'esprit du marinier tout disposé à mettre pied à terre pourvu qu'il satisfasse à sa passion de la voile. Car telle était son idée, une charrette à bras et à voile, un système qui imposait certes la direction à prendre chaque jour mais qui épargnait bien des efforts. Deux brancards, une ou deux roues, une voile fixée à un mat et en lien avec le corps du pousseur pour y fixer les drisses et le tour était joué.

Avel débarqua lorsque son chaland passa non loin de l'atelier de son oncle, charpentier naval renommé. L'homme fut amusé de la demande de son neveu et se mit sans tarder à lui construire l'engin de ses rêves après une soirée passée à dresser des plans tous plus étonnants les uns que les autres. Ils jetèrent leur dévolue sur une brouette à deux roues et deux brancards de taille fort respectable. Les premiers essais furent concluants, les deux hommes s'amusèrent à qualifier le projet du jeune homme : Avel serait un éole-porteur.

Il eut un immense succès et son commerce eut très vite le vent en poupe. Non seulement il avait su choisir ses produits fort des conseils du colporteur et de son expérience marchande sur la Loire, mais qui plus est son arrivée ne passait jamais inaperçue. De doctes lettrés vinrent souffler à l'oreille d'Avel qu'il ne faisait là que reprendre une invention égyptienne du temps des pharaons reprise par les Chinois lors de la construction de la grande muraille quand ils utilisèrent des brouettes à voile.

Le trajet de l'éole-porteur suivait les sautes d'humeur du vent. Là où il soufflait, le marchand et sa brouette voilée allait, se déplaçant d'une manière aussi aléatoire qu'imprévisible. Avel s'amusait de confier à Éole le choix de son destin d'autant que, au bout du compte, il finissait par étendre son rayon d'action sur tout un Val dépourvu de relief significatif.

L'arrivée du marchand à proximité d'un village ne passait jamais inaperçue. Les enfants venaient à sa rencontre, célébrant ce curieux équipage terrestre. La légende du bateau qui va sur l'eau et sur terre se propagea très vite dans la contrée d'autant plus aisément que par fantaisie sans doute, Avel avait conservé son chapeau marinier de cérémonie. Voilà un ingénieux marchand qui avait toujours le vent en poupe même si en la circonstance il eut été préférable d'évoquer les brancards.

Fort de cette réputation, il songea même à sculpter une effigie sur le devant de sa brouette : une figure de proue en somme. Ayant été marinier, il avait ce savoir-faire de la profession et réalisa Cissonius, le dieu des marchands gaulois, souvent apparenté à Mercure. Ainsi, il faisait grande sensation.

Avel vécu de sa passion, ignorant qu'un jour le char à voile serait dans l'air du temps pour transporter une équipe de football (sport inconnu à l'époque) loin de connaître des vents porteurs. Mais ceci est une autre histoire et nous n'avons pas à colporter de telles sornettes.

À contre-vent.


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