Vin biologique et biodynamique, quelle qualité ?

par Kilien STENGEL
jeudi 27 juillet 2023

La représentation du bon vin, par le consommateur, de nos jours, s’oriente souvent vers le paradigme de la « viticulture biologique ». Cette représentation s’était accentuée depuis l’abandon des campagnes pour la vie urbaine. La distanciation de notre vision du « bon sens paysan » oblige, du fait, à une recherche de qualité ; tandis que la proximité des offres vinicoles markétées ne crée pas forcement ni la confiance, ni l’expérience comparative, ni la découverte innovante. Aussi, on aperçoit discrètement, sur les cartes des restaurants et des cavistes des vins qui soulignent leur attachement régional en s’ouvrant au rapport à la terre indispensable à notre culture pour éviter que le bon vin ne glisse vers une dangereuse uniformité, que les techniques viticoles donnant un lien entre la terre et son contexte tentent de recréer un climat de confiance.

En fin des années 1960, l’œnologie est entrée dans les mœurs vinicoles. Les analyses techniques sont devenues une aide indispensable, même aux vignerons les plus traditionalistes. La rentabilité croissante des exploitations, surtout dans la décennie 1980, a permis un équipement technologique performant des cuviers. Les années 1990 ont été marquées par d’autres progrès avec, à la base, un constat banal et évident : il faut de beaux et bons raisins pour faire de bons vins. La qualité se fait dans les vignes.

A cette même époque, des vignerons se sont émus du désherbage des vignes par des produits de synthèse et de l’emploi du soufre dès la vendange (l’anhydride sulfureux est un conservateur antioxydant efficace). Réunis en diverses associations (Lemaire-Boucher, Nature et Progrès, Terre et Vie, etc.), ils ont tenté de faire la promotion des vins dits « bio » avec, avouons-le, des résultats incertains. Avec parfois plus de bonne volonté que de technique, ils ont donné l’image d’une viticulture militante.

Physiologie des plantes, microbiologie des sols, agrologie, pédologie et même biodynamie, voilà de nombreux mots nouveaux avec lesquels l’amateur de vin va peut-être devoir se familiariser ; de la même façon qu’il doit se familiariser depuis quelques décennies avec fermentation malolactique ou macération pelliculaire préfermentaire. Et on réalise soudainement que ces idées qui tournent autour du respect des sols et du bien-être de la vigne ne sont pas le fait de quelques soixante-huitards égarés dans cette fin de siècle, mais de certains grands propriétaires ou négociants qui sont l’orgueil de notre pays.

Force est de reconnaître que nous n’avons pas encore actuellement un recul suffisant pour opposer en dégustation les vins issus des différentes méthodes de culture (traditionnelle, biodynamique, raisonnée ou biologique). Lors de la dégustation d’un vin, on se méprend souvent pour identifier la typologie de vin. Ainsi, on croit distinguer ce que l’on goûte et percevoir ce que l’on sent mais il s’agit souvent d’une erreur, la réalité n’étant ni dans ce que l’on goûte ni dans ce que l’on sent. Elle est dans l’imaginaire que l’on se représente du vin, à l’aide des informations vinicoles et techniques. Le premier contact avec la dégustation analytique a souvent des effets désastreux sur le paradigme de ces différents modes de production. « L’apprenti dégustateur » ayant l’impression qu’il est incapable de distinguer quoi que ce soit et que ses sens ne sont pas fiables abandonne souvent son apprentissage pour se limiter au simple acte de déguster voire boire. Or les sens ne nous font distinguer qu’une réalité. Car la saveur, l’arôme et leurs définitions réelles varient en fonction de chacun d’entre nous. On peut néanmoins constater que, dans des dégustations aveugles, les vins issus de cultures biologiques ou biodynamiques se classent de plus en plus souvent aux meilleurs rangs, leur texture profitant d’une certaine « mâche ».

Les viticultures raisonnée, biologique, ou biodynamique, appelées communément natural wine par les Anglo-Saxons, soulignent des systèmes de production viticoles et/ou vinicoles qui tirent leur inspiration de savoirs anciens, de justifications purement scientifiques, voire de positions philosophiques dont les bases ont été créées par le penseur Rudolf Steiner.

Le vin issu d’agriculture raisonnée

La vigne est une culture particulièrement sensible aux maladies et aux ravageurs. Contrairement à certaines idées récemment répandues, si aucun moyen de lutte n’est employé (biologique ou chimique), les dégâts peuvent être considérables. La pourriture grise, par exemple, est liée à un champignon (Botrytis cinerea) qui attaque les grains de raisins et met en danger l’ensemble de la récolte et la qualité du vin (pertes de jus, diminution du poids de la récolte, fermentation alcoolique difficile, etc.).

Pendant longtemps on a recommandé aux viticulteurs d’adopter une stratégie d’assurance pour protéger leur culture. Les interventions étaient donc déclenchées en fonction d’un calendrier prédéfini et non en fonction d’observations fines recueillies dans les parcelles. Cette approche n’était pas sans conséquences sur les coûts de production, l’environnement et parfois la qualité du vin produit (une étude a montré par exemple la nocivité du cuivre sur les arômes de sauvignon).

Depuis une quinzaine d’années environ, les viticulteurs sont de plus en plus nombreux à choisir l’agriculture raisonnée, vue comme une agriculture « durable », « plus juste », « responsable », ou « dans l’air du temps » par l’opinion publique, en remplacement de la lutte d’assurance. Comme son nom l’indique, cette agriculture consiste à raisonner sa culture sur le long terme. Chaque prise de décision d’intervention (lancement ou attente d’un traitement par exemple) s’effectue après évaluation des conséquences de cette décision sur la production et l’environnement. En d’autres termes, le producteur a désormais entre ses mains une véritable balance romaine qui penche d’un côté ou de l’autre selon les conditions climatiques, le stade de développement de la vigne (débourrement, maturité…), la pression parasitaire, etc.

Il est évident que de quitter une stratégie sécuritaire (couverture protectrice permanente) pour une stratégie très fine, d’homéopathie presque, implique une prise de risque importante pour le producteur. Cette approche ne peut donc se concevoir que si l’on dispose d’outils d’aide à la décision qui permettent d’évaluer les risques. Si, sur le papier en effet, tout semble simple, dans la réalité, l’évaluation des risques est très complexe. Elle dépend de plusieurs facteurs qui interagissent entre eux et de leur évolution dans le temps, ce qui est difficile à prévoir évidemment. Les outils d’aide à la décision reposent donc généralement sur des variables du milieu dont on mesure le niveau (données météo, nombre de parasites, dégâts observés sur la culture, cépage…) et sur des modèles de prévision de l’évolution de la variable qui nous intéresse (par exemple le développement d’un champignon ou d’un ravageur).

La viticulture biologique en France

Dans le petit village de Correns (Var), on a fait le pari du « tout bio ». Là où un habitant sur dix est vigneron, dans un secteur en crise depuis 1990, suite à une recrudescence d’exploitations peu rentables, le maire du village propose, en 1998, de passer toute la viticulture en bio, puis l’agriculture dans sa généralité, allant même jusqu’à l’élevage caprin et à la cantine scolaire. Ainsi, les vignes sont totalement bio, plus une goutte d’insecticide ou de bactéricide, pas d’herbicide : arrachage à la main (qui nécessite 30 % de main-d’œuvre en plus, mais permet de respecter l’environnement). Il aura fallu attendre trois ans pour recevoir le label AB, puis plus tard la dénomination (profitant de l’image d’un label aux yeux des consommateurs) « Vin issu de la viticulture biologique », couramment nommé « vin bio » par le grand public. Ce dernier label n’a vu le jour que le 8 mars 2012, il s’intéresse, en sus du schéma de production agricole, aux méthodes de vinification. Le succès de cette réorganisation a permis de racheter la cave coopérative du village voisin, faisant passer la production de 30 000 bouteilles (en 2003) à 100 000 bouteilles (en 2007). Et pourtant, ce breuvage bio se vend de 15 à 20 % plus cher que le vin de la même appellation sous méthode conventionnelle. Un village unique en son genre, source d’espoir, car en France prés de 4% (selon l’Agence bio) des surfaces agricoles seulement sont bio.

Autre exemple, l’Italie a choisi de développer l’agriculture et la viticulture biologiques en s’appuyant sur la réglementation communautaire, un programme de développement rural, une volonté nationale de faire face à la concurrence espagnole pour les primeurs et un engagement d’élus italiens (de plus en plus nombreux) en ce sens.

Qu’est-ce que la viticulture biologique ?

Le « vin bio » est issu de raisins biologiques, mais, au chai, plusieurs pratiques sont autorisées dans le cadre d’une charte privée : adjonction d’anhydride sulfureux (et autres sulfites E220, E221, E222, E223, E224, E226, E227, E228), anhydride carbonique, acide tartrique, tartrate neutre de potassium, acide citrique.

Depuis 2006, les viticulteurs qui utilisent ces substances ont le droit d’apposer le label AB (avec la mention « vin issu de raisin biologique »). Ce label existe à l’échelle nationale et à l’échelle européenne avec deux cahiers des charges différents.

Le vin issu de l’agriculture biologique se conforme aux spécifications suivantes :

- Le vin obtenu à partir de raisins et de cépages issus de l’agriculture biologique est produit sans engrais chimiques, herbicides ou pesticides de synthèse. Les modifications génétiques sont interdites.

- Les sols ne sont pas enrichis avec des produits chimiques mais selon des méthodes naturelles de compostage, en respectant l’assolement de la terre.

- Les cépages sont choisis non pour de gros rendements mais parce qu’ils respectent l’environnement et sont résistants aux maladies.

- Les cahiers des charges autorisent la bouillie bordelaise – un mélange à base de cuivre et de sulfate –, qui agit sur les feuilles sans être absorbé par la plante. Toutefois, une législation européenne préconise l’hydroxyde de cuivre, moins riche en cuivre et qui diminue la quantité de métal libérée dans l’atmosphère. De nombreux viticulteurs préfèrent recourir à des décoctions de plantes.

La législation concerne également le nombre d’interventions autorisées lors de la vinification, en précisant la quantité de soufre tolérée et en interdisant les autres additifs.

Le vin comme la vigne ne sont pas encore concernés par le génie génétique, même si la recherche sur les cépages transgéniques est en cours en France, aux Etats-Unis et en Australie.

Les bienfaits du vin

Une étude américaine s’est intéressée au fait que les Français, surtout les habitants du Sud-Ouest, sont, avec les Chinois et les Catalans, les populations le moins victimes d’infarctus de toute la planète. Les raisons pour lesquelles ces habitants sont plus épargnés tiennent à leur nutrition, leurs habitudes alimentaires, tout simplement. Bien plus que le reste de la population de la terre, les Chinois et les Catalans mangent beaucoup plus de fruits et de légumes frais, et plus de poisson que de viande, dit cette étude. La France, elle, doit son salut au « French Paradox », dont l’effet bénéfique repose sur les bienfaits d’une consommation sage de vin et des graisses, des « bonnes graisses » présentes dans la nourriture. Car, nous le savons, il existe le bon et le mauvais cholestérol.

Ce ne sont pas des Français chauvins qui l’affirment mais le Journal of the American Medical Association, qui prétend dans ses colonnes que les Français connaissent le taux de maladies cardiovasculaires le plus faible du monde. Elles frappent tout de même à mort 100 000 personnes dans l’Hexagone chaque année. Cela vous surprend également ? Et pourtant. Déjà, les scientifiques se sont aperçus qu’un amateur de vin bénéficiait d’une protection de plus de 30 % sur toutes les causes de mortalité par rapport aux non-buveurs. Il faut préciser d’entrée que, par amateur de vin, on entend une personne qui déguste et non qui boit du vin.

Pour ceux qui consomment avec modération, des chercheurs ont trouvé que le vin est bon pour le cœur. Il semblerait que le raisin empêche l’oxydation des membranes des cellules et que les tanins, présents dans les grappes, empêchent les cellules de rancir et de vieillir sans se renouveler. A condition que le vin ait fermenté en cuve, entreposé pendant plusieurs mois dans des barriques de chêne, un bois qui renforce la présence de tanins. Et un apport supplémentaire du bois que, bien entendu, on ne retrouve pas dans les cuves en ciment ou en plastique, qui se sont largement répandues dans les caves des vignerons ces dernières années. Un atout évident pour les vins dits « bio » par l’opinion publique, qui auront respecté ces critères. Mais la santé reste une lecture physiologique très individuelle, et aucune vérité à ce sujet n'est universelle.

Le vin issu de l'agriculture en biodynamie.

Pour bien comprendre le processus de la biodynamie, il faut se familiariser avec quelques données simples de sciences naturelles. Lorsqu’il y a un excès de potasse dans les sols, les racines de la plante rejettent le calcium et celle-ci produit plus de pectine, la molécule de durcissement de la cellule végétale. La peau du raisin est dont plus fragile et moins résistante à la pourriture. A ce niveau, deux attitudes au moins sont possibles : soit on durcit la peau des raisins par projection de produit de synthèse à des doses de plus en plus importantes (dont on sait qu’une très forte proportion va ailleurs que sur les grains pour finir dans la terre), soit on favorise l’équilibre naturel du sol pour que la peau du raisin se durcisse d’elle-même.

Malheureusement, la nature, dans une vision très progressiste datant du XIXsiècle et très défendue au XXsiècle, n’est pas « bonne » par essence ; il faut l’aider (opinion qui se dissipe largement au XXIe siècle). Ce qui pose la question des engrais. Aujourd’hui, l’opinion publique ne veut plus d’engrais, donc le monde de la viticulture se tourne vers le compost. La difficulté est de trouver un bon compost et certains vignerons s’y emploient aujourd’hui avec succès, en passant des accords avec des fermiers pour s’en procurer, même si ce n’est pas toujours facile. Jusque-là, tant en théorie qu’en pratique, les choses sont plutôt simples, faciles à comprendre et relativement logiques.

La biodynamie s’appuie sur des idées de Rudolf Steiner (1861-1925), un philosophe, médecin et agronome autrichien, qui commença ses travaux à la fin du xixe siècle et les diffusa jusqu’à la fin de sa vie. Elle s’appuie sur les influences astrales, prend en compte le rythme de la nature, autorise des préparations végétales de type homéopathique visant à rééquilibrer et à revitaliser le végétal plutôt qu’à le soigner.

Le vin peut être certifié par un organisme indépendant tel que Demeter, qui oblige à suivre un cahier des charges concernant la production et/ou la transformation.

En fait, l’agriculture biodynamique favorise une croissance naturelle des plantes et produit un « alicament » (aliment médicament) destiné au sol, le tout en le reboisant et le protégeant. L’agriculture biodynamique est un système de développement de la vie et de la fertilité de la terre qui associe la rotation des cultures à certaines substances nutritives naturelles, dans une notion de respect des cycles saisonniers et lunaires. Impliqués dans l’écosystème, l’agriculture et l’élevage biodynamique interdisent, tout comme l’agriculture biologique, l’emploi d’herbicides chimiques comme technique d’entretien des sols. Mais elles préconisent :

- l’enherbement permanent de l’interligne ;

Et admettent :

- le désherbage mécanique à la sortie de l’hiver ;

- le désherbage mécanique sur toute la surface durant la période végétative.

Le Syndicat international des vignerons en culture biodynamique a également créé un autre label, Biodyvin, que l’on peut trouver en France, encore plus drastique que les labels AB ou Demeter. Les labels Demeter, Biodyvin et Biodyn garantissent les vins issus de l’agriculture biodynamique.

A travers les nombreux labels et justifications techniques inscrits aujourd’hui sur les étiquettes des vins, cette recrudescence de communication toujours trop développée témoigne d’une bien faible estime pour les consommateurs. Ainsi les viticulteurs, dans chacune des typologies de leur production, offrent des perceptions sensorielles qu’il reste à nous, consommateurs, le devoir de transformer en plaisir, en enrichissement personnel, en facilitateur de sociabilité. Alors, sans volonté de vous convertir à un quelconque vin bio ou biodynamique, sans volonté de tenir des propos absolutistes autour d'un quelconque bienfait de ces produits, le seul but est de découvrir et faire découvrir des vins différents et de prendre du plaisir avant tout !

 


Lire l'article complet, et les commentaires