Des rives de la Seine au Grand Canal à Venise ? un rendez-vous manqué de Paris et de l’art contemporain

par Jean-Paul Chapon
mardi 10 mai 2005


C’est donc officiel et c’est dommage, l’île Seguin à Boulogne-Billancourt n’abritera pas la fondation que François Pinault voulait y établir pour abriter sa collection privée. Un palais vénitien, le Palazzo Grassi recevra les œuvres. « Je renonce  », signe aujourd’hui François Pinault dans le Monde, « le temps d’une administration, c’est celui des procédures, d’une patience sans limite qui s’accommode des inerties, des remises en cause politiques ou budgétaires, d’une résignation face aux pesanteurs, aux mois qui s’ajoutent à des années de retard, en bref d’une constance sans passion. » et aussi « ... face à la situation bloquée de l’île Séguin, et a contrario devant l’accueil que m’ont réservé d’autres villes...  », et c’est le choix de Venise. Et avec lui, la fin du rêve de voir se réaliser dans une architecture de qualité un espace dédié à l’art contemporain capable de se "mesurer avec le Guggenheim de New York... et qui pouvait devenir une« locomotive » pour le tissu artistique français qui tend à se recroqueviller en ce début de III e millénaire." lit-on dans l’éditorial du Monde.

Un autre article du Monde de ce jour retrace l’histoire de ce projet, ses rebondissements, les pistes et les renoncements, la lourdeur administrative, le POS de Boulogne et le PLU qui lui succède, les attaques et les recours des associations et de Val-de-Seine-Vert, l’ambiguïté de la mairie et surtout comme le souligne François Pinault son manque de « passion » pour le projet.

Christophe Girard, l’adjoint à la culture du maire de Paris Bertrand Delanoë, dit de façon étrangement défensive dans Libération : « Ce qui motive le retrait de Pinault de Billancourt, c’est l’incertitude permanente. L’argument ne saurait être opposé à Paris, à moins d’y mettre une très grande mauvaise foi...  ». Et pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que si cette île Séguin avait été dans Paris, le projet aurait abouti. Non pas que je conteste aux municipalités de banlieue parisienne le droit de conduire de tels projets, mais cet épisode montre une nouvelle fois à quel point l’organisation administrative de la métropole parisienne est inadaptée devant de tels enjeux.

L’échec du projet de François Pinault montre qu’un échelon local, Boulogne-Billancourt en l’occurrence, n’est pas adapté pour un projet de cette envergure, un peu comme si à Paris, un tel projet avait été conduit par la mairie du 12ème arrondissement seule. Il montre également que le région n’apparaît pas comme le cadre dans lequel un projet de cet ordre peut s’inscrire, trop lointaine, trop décalée, voire pas intéressée ou méfiante envers une initiative de la sphère privée pour un bénéfice jugé peut-être trop local. Seul Paris aurait été à mon avis le bon interlocuteur. On le voit suffisamment quand on mesure l’énergie et le dynamisme que l’équipe municipale peut mettre à accompagner et porter de tels défis, parce qu’elle en sent l’intérêt, mais aussi parce qu’elle en a les moyens.

La passion qui a manqué à Boulogne-Billancourt, aurait pu être soutenue plus facilement dans la perspective d’un projet défendu par Paris. François Pinault aurait moins facilement cédé à la « tentation de Venise » et au prestige de la Sérénissime si son projet avait été soutenu par la Ville lumière. Les problèmes administratifs, POS et PLU etc. auraient certainement trouvé un règlement plus facile, défendus par les intérêts Paris. La dimension du projet et son rayonnement international aurait sans doute été plus à l’échelle de la capitale que de Boulogne et y aurait suscité une plus grande implication, notamment des pouvoirs publics dont le silence est aujourd’hui étonnant, comme si l’Etat voulait par ce silence rappeler que depuis dès siècles, le mécénat est affaire régalienne dans notre pays...

Mais attention, il ne s’agit pas de n’importe quel Paris. Pas celui d’aujourd’hui, mais celui dont je rêve, qui s’agrandirait, sortirait de son corset, engloberait la zone qui l’entoure et qui, mis à part l’aberration d’un blocage culturel et d’une erreur historique des années 1960, lui ressemble déjà tant qu’on ne voit plus la différence entre Paris intra-muros et Paris extra-muros.


Un tel mouvement aurait l’avantage d’apporter du prestige à des endroits qui en manquent encore, Ile Séguin comprise. Il est évident qu’une fondation d’Art moderne à Paris aura un plus grand rayonnement international que la même fondation à Boulogne-Billancourt. Très caractéristique de l’importance de ce « label Paris » est par exemple La Défense, administrativement dans le « 92 », mais tout de même baptisée « Paris La Défense ». Plus récemment, le mur de sièges d’entreprises établis le long du périphérique sud, comme celui de l’américain Pfizer ont leur entrée et donc leur adresse à Paris, et l’arrière des bâtiments à Montrouge, à Vanves ou à Arcueil. Et le Ministère des Affaires Etrangère qui ne veut pas s’installer sur les terrains en bord de Seine que lui propose Issy-les-Moulinaux trouverait l’adresse suffisamment prestigieuse pour les hôtes du Quai d’Orsay, si ce terrain devenait parisien...

Au moment où la municipalité se demande comment désengorger le centre de Paris, pourquoi ne pas répondre en agrandissant la zone labellisée Paris pour y répartir de façon plus harmonieuse et aérée les activités de la capitale sur une plus grande superficie, qui profiterait de la dynamique de la ville, et permettrait d’aménager l’agglomération de façon rationnelle, solidaire et unifiée et de gérer de façon plus cohérente les défis qui se présentent à la métropole, et qu’elle ne peut aborder aujourd’hui qu’en ordre dispersé...


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