Novak Djokovic et/ou Rafael Nadal peuvent-ils dépasser Roger Federer et ses 20 GC ?

par Axel_Borg
samedi 24 novembre 2018

A Roland-Garros en 2016, Novak Djokovic a atteint le cercle très fermé des joueurs ayant gagné au moins 12 titres en Grand Chelem : Roy Emerson, Rafael Nadal, Pete Sampras et Roger Federer. Mais fort de marteaux divins hérités de Thor ou de Vulcain, le Pantagruel suisse a triplement enfoncé le clou en 2017-2018 à l’Open d’Australie et Wimbledon, élevant son record personnel de 17 à 20 titres en Grand Chelem, quatre unités devant Rafael Nadal, passé à 17 couronnes depuis sa fameuse Decima de Roland-Garros 2017 suivie d’un troisième succès à l’US Open sur le ciment new-yorkais et de la Undecima parisienne du printemps 2018 … Depuis, l’ogre de Belgrade a refait une partie de son retard avec un 13e et un 14e majeurs conquis au deuxième semestre en 2018. Mais que le Serbe et/ou l’Espagnol arrivent ou non à battre un jour le record de Roger Federer, la porte du Hall of Fame du tennis leur est grande ouverte, tout comme au virtuose de Bâle !

Depuis que Nadal et Djokovic se sont successivement ouvert leur compteur respectifs en Grand Chelem, l’écart a fluctué (les statistiques sont considérées en fin de tournoi) avec Roger Federer, le champion suisse ne devenant recordman devant Pete Sampras qu’à partir de Wimbledon 2009, avec un écart de +9 sur Nadal (15-6) et +14 sur Djokovic (15-1) :

Jamais donc, le record de Roger Federer n’a été autant en danger qu’au deuxième semestre 2016, quand Djokovic était revenu de +9 à +5 en faveur du Suisse après son Grand Chelem à cheval sur deux saisons. Mais le vent a tourné en 2017 avec l’envol du phénix bâlois à Melbourne et Londres, l’exploit du Serbe mérite que l’on s’y attarde quelque peu.

Montagne, forteresse, bastion, bulldozer, rouleau-compresseur pour son aspect imprenable et invincible. Fusée, Comète pour la célérité de sa remontée dans la hiérarchie des ogres du Grand Chelem. Pantagruélique, colossal, insatiable pour son appétit de victoires. A force de gagner encore et toujours entre l’automne 2014 et le printemps 2016, Novak Djokovic allait épuiser le vocabulaire des chroniqueurs …

Tout le monde commençait, comme ses adversaires, à s’essouffler. Oui, qu’écrire à l’époque le concernant, qui n’ait déjà été dit ?

- Qu’il a compté pendant plusieurs mois, de l’automne 2015 au printemps 2016, plus du double de points ATP que le total d’Andy Murray, son dauphin. Ce n’est plus une avance, c’est un gouffre

- Qu’il a porté la qualité du retour de service à des hauteurs insoupçonnées

- Qu’il ne laisse absolument rien au hasard, sur le court mais surtout en dehors

- Qu’il a définitivement chassé le doute de son logiciel personnel, et que plus personne n’ose le regarder dans le blanc des yeux

- Qu’avec une telle emprise, il joue le plus souvent des adversaires rapidement résignés



- Que son excellence est, dans du même coup, un drame pour l’intérêt du tennis masculin, ce qui est injuste évidemment, comme quand Eddy Merckx écrasait le Tour de France ou Michael Schumacher la Formule 1, avec un spectacle inversement proportionnel à leur talent porté au pinacle

- Qu’il n’est pas utopique d’écrire, n’en déplaise aux supporters de Roger Federer, qu’il peut devenir le plus grand joueur de l’ère Open (ou a minima, le plus titré en Grand Chelem). A seulement 31 ans, c'est largement dans ses cordes …

Le Serbe est nanti de 14 titres majeurs (plus 5 Masters Cup) : 6 Opens d’Australie (2008, 2011, 2012, 2013, 2015 et 2016), 1 Roland-Garros (2016), 4 Wimbledon (2011, 2014, 2015 et 2018), 3 US Open (2011, 2015 et 2018). Seul manque encore l’or olympique pour celui qui cannibalise le tennis masculin, imposant en 2015 son sceau de façon aussi violente que le monstre Federer des années 2004-2007. Puisqu’il retrouve peu à peu ce niveau stratosphérique, il n’y a désormais aucune raison que Djokovic n’aille pas dépasser Pete Sampras à 14 titres et ensuite Rafael Nadal à 17 titres du Grand Chelem, avant d’espérer égaler voire dépasser Roger Federer au pinacle du panthéon tennistique.

Tutoyant la perfection depuis près de cinq ans, Nole s’attire tous les superlatifs et a su éviter l’écueil des blessures, à part durant l’automne 2011 où ses premiers lauriers new-yorkais se sont transformés en victoire à la Pyrrhus, tant Djokovic et Nadal avaient mis de l’intensité dans leur cosmic bras de fer. Le Rubicon fut franchi une deuxième fois par les deux hommes à Melbourne début 2012 avec 5h53 de match lors de la finale australienne, mais autant Nadal est un colosse au genou d’argile, autant Djokovic reste indéboulonnable, presque agnostique aux blessures. Même Roger Federer, autre métronome du circuit, a souffert en 2008 (mononucléose) et 2013 (douleurs dorsales), pas le Serbe amateur de gluten parvenu depuis fin 2014 au climax de sa somptueuse carrière, comme si la défaite en demi-finale de l’US Open 2014 avait libéré la bête :

Et très peu d’outsiders ont su le pousser dans ses ultimes retranchements, lui donnant du fil à retordre en cinq sets : Andreas Seppi et Jo-Wilfried Tsonga à Roland-Garros 2012 (en huitièmes puis en quarts de finale), Juan Martin Del Potro à Wimbledon 2013 (demi-finale), Stanislas Wawrinka à l’Open d’Australie 2013 (huitième de finale) puis à l’US Open 2013 (demi-finale), Andy Murray à Roland-Garros 2015 (demi-finale), Kevin Anderson à Wimbledon 2015 (en huitièmes de finale), Gilles Simon à l’Open d’Australie 2016 (en huitièmes de finale), Diego Schwartzmann à Roland-Garros 2017 (au 3e tour).

Si l’on excepte les accidents de Wimbledon 2016 contre Sam Querrey, Melbourne 2017 face à Denis Istomin, Melbourne 2018 contre Hyeon Chung et Roland-Garros 2018 devant Marco Cecchinato, le temps où Novak Djokovic accumulait en Grand Chelem les défaites frustrantes contre des joueurs à sa portée (et moins bien classés que lui) semble désormais bien loin : au 2e tour de Wimbledon 2008 contre Marat Safin, en quart de finale de l’Open d’Australie 2009 face à Andy Roddick, au 3e tour de Roland-Garros 2009 devant Philip Kohlschreiber, en quart de finale de Wimbledon 2009 contre Tommy Haas, en quart de finale de l’Open d’Australie 2010 au profit de Jo-Wilfried Tsonga, en quart de finale de Roland-Garros 2010 face à Jürgen Melzer, en demi-finale de Wimbledon 2010 contre Tomas Berdych …

Comme l’ogre de l’ocre Nadal sur sa terre battue fétiche ou jadis le monstre Federer des années 2004-2007, le Djokovic 2015-2016 entrait sur le court avec le premier set presque gagné d’avance, tant l’ascendant psychologique est colossal sur n’importe quel joueur qu’il affronte.

A 31 ans, après qu’il ne fasse son burn-out, début du déclin via un toboggan vertigineux, le paysage est donc assez dégagé pour Novak Djokovic, dont le plus grand rival semble plus l’usure du pouvoir qu’un autre tennisman :

Si l’on considère qu’aucun de ses rivaux ne peut vraiment s’opposer au bulldozer serbe sur la durée, voyons alors si Djokovic peut réellement viser ce record.

De façon paradoxale, le record de Roy Emerson (12 titres majeurs) était théoriquement prenable puisque par son boycott récurrent de l’Open d’Australie, le Suédois Bjorn Borg n’avait pas tiré toute la quintessence de son potentiel en Grand Chelem. Le Scandinave ne serait allé à Kooyong que pour viser un Grand Chelem calendaire, perspective qui resta lettre morte après avoir raté le Petit Chelem en 1978 et 1980, étant défait par Jimmy Connors et John McEnroe en finale de l’US Open après avoir réalisé le doublé Roland-Garros / Wimbledon. De même, secret de polichinelle, les Australiens Rod Laver et Ken Rosewall avaient laissé aux oubliettes de l’Histoire après avoir évolué cinq ans (1963-1967) sur le circuit professionnel pour le premier, dix pour le second (1958-1967). Sans cela, Laver et Rosewall seraient sans doute entre 15 et 20 titres du Grand Chelem. Si l’on comptabilise ses titres majeurs acquis sur le circuit professionnel (Wembley Pro, Roland-Garros Pro, US Pro), Ken Rosewall arrive au nombre colossal de 25 trophées individuels, soit un de moins que Roger Federer nanti de 26 lignes majeures dans son palmarès (20 trophées en Grand Chelem et 6 Masters Cup).

Ce fut donc Pete Sampras qui s’empara du prestigieux record en 2000, avec un treizième titre majeur conquis dans son jardin de Wimbledon, bastion imprenable pour l’Américain depuis 1993 (exception faite du succès de Richard Krajicek en 1996).

Le record de Sampras établi en 2000 et consolidé en 2002 par une quatorzième victoire majeure (US Open) semblait bien plus compliqué à battre que celui d’Emerson datant de 1967, et pourtant ce Fort Knox du tennis a déjà sauté une fois, en seulement neuf ans. A Wimbledon en 2009, le Pantagruel suisse nommé Roger Federer gagnait son quinzième titre majeur, record porté à 17 unités trois ans plus tard, toujours à Londres dans le temple du tennis. Mais l’état de grâce ne peut durer éternellement, Federer l’a appris depuis 2010, année où Nadal reprend le flambeau des mains du Suisse, qui retrouvera la place de n°1 quelques semaines seulement en 2012, le temps de porter sa présence à un pinacle de 302 semaines.

Cet Everest est-il accessible à Djokovic, plébiscité meilleur joueur du monde de façon. incontestable depuis 2011 (exception faite du sensationnel come-back de Nadal en 2013) ?
Même s’il est à son climax, Djokovic pourra plus difficilement viser le record de Federer si jamais celui l’améliore à 21 voire 22 titres majeurs, lapalissade qu’il faut tout de même écrire puisque le maestro est toujours en activité. Ecarter Roger Federer de la course aux lauriers majeurs en 2018-2019 serait bien imprudent, tant le magicien peut encore sortir des prodiges de sa raquette. Ceci dit, les plus vieux lauréats en Grand Chelem durant l’ère Open sont Ken Rosewall (33 ans et 9 mois en juin 1968 à Roland-Garros) Andre Agassi (32 ans et 9 mois en janvier 2003 à l’Open d’Australie), Pete Sampras (31 ans en septembre 2002 à l’US Open) et désormais Roger Federer (36 ans et 5 mois en janvier 2018 à l’Open d’Australie). A 36 ans, l’alchimiste suisse a dépassé ce seuil mais sait-on jamais avec un tel joueur, son apogée est derrière lui mais il peut encore atteindre la quadrature du cercle sur un tournoi, il l’a prouvé à Melbourne ainsi qu’à Wimbledon en cette année 2017 où le Suisse fit figure de phénix. Seul problème, mais de taille, Djokovic était intouchable en finale, imperméable à la pression du public comme à celles de break sur le court Arthur Ashe.

En partant du postulat que Federer restera bloqué à 20 titres du Grand Chelem pour l’éternité, la condition nécessaire mais pas suffisante pour Djokovic pour faire sauter le verrou bâlois était de gagner Roland-Garros.

Après son triomphe à Roland-Garros le 5 juin 2016, voilà Novak Djokovic désormais libéré du poids de l’Histoire, ce Grand Chelem en carrière véritable apothéose tennistique mais presque banalisé depuis deux décennies par Andre Agassi (1999), Roger Federer (2009) et Rafael Nadal (2010).

Ce succès, quête du Graal qui lui a pris une décennie, va éviter au Serbe un complexe mental sur Roland-Garros, qui n’est plus un tournoi maudit pour lui, tel Wimbledon pour Lendl ou l’US Open pour Borg jadis. Or viser le record de Federer sans jamais gagner à Roland-Garros aurait limité d’autant les occasions, Djokovic ne travaillant que sur 3 levées du Grand Chelem au lieu de 4.

On le comprend aisément, gagner à Roland-Garros en 2019 et 2020, est la clé de voûte qui permettra à Novak Djokovic ou Rafael Nadal de triompher du record de Roger Federer avant son chant du cygne, qui interviendra bien un jour.

Si Nadal gagne les deux prochains Internationaux de France, il portera à 12 et 13 son nombre de victoires à Paris, son record prenant des proportions démentielles. Mais surtout, le gaucher espagnol fera d’une pierre deux coups, se rapprochant de Federer tout en limitant le retour de Djokovic. Qu’on ne s’y trompe pas, partout ailleurs en Grand Chelem, le Serbe est mieux armé que l’Espagnol : 6-1 à Melbourne au nombre des titres (1-0 en confrontations directes), 4-2 à Wimbledon (2-1 en confrontations directes) et dans une moindre mesure à New York : 3-3 à l’US Open (1-2 en confrontations directes).

Car si l’on reste sur le raisonnement d’une non-émergence de rivaux d’envergure sur les quatre saisons à venir (2019-2022), le Serbe doit continuer à imposer son joug avec la même intensité au reste du circuit, pour au moins maintenir le rythme moyen qu’il tient depuis son déclic de 2011, soit 1.85 GC par an (13 titres majeurs en 7 ans, en laissant de côté sa saison 2017 gâchée par les blessures).

Pendant deux ans et demi (Wimbledon 2014 – US Open 2016), Novak Djokovic a gagné 6 des 10 trophées du Grand Chelem mis en jeu (soit 60 %), ne laissant que l’US Open 2014, Roland-Garros-2015, Wimbledon 2016 et l’US Open 2016 à la concurrence, respectivement représentée par Marin Cilic, Stanislas Wawrinka, Andy Murray et Stanislas Wawrinka, le Vaudois ayant à chaque fois battu le Djoker en finale pour conquérir ces deux couronnes à Paris et New York.

Rien ne permet d’affirmer que Djokovic va refaire un Petit Chelem avec un troisième millésime exceptionnel digne des incroyables cuvées 2011 et 2015, partitions sans fausse notes autre que celles jouées sur l’ocre parisien, où deux trouble-fêtes venus de Suisse ont joué l’air du requiem pour le Belgradois.

En maintenant un rythme moyen de 2 victoires en Grand Chelem entre 2019 et 2021, année où il fêtera ses 34 ans, Djokovic pourrait atteindre le nirvana du seuil de 20 titres majeurs, soit le record de Roger Federer, avec la possibilité de dépasser le Suisse en 2022. Mais le jeu de retour prodigieux du Serbe exige un physique remarquable, il lui faudra maintenir une forme étincelante pendant encore quatre ans ... La remarque vaut aussi pour Rafael Nadal (plus âgé d’un an que le Djoker), grand habitué de l’infirmerie du circuit ATP et des forfaits en Grand Chelem ou en Masters Cup …

Pérenniser un rythme de 2 victoires en Grand Chelem semble bien compliqué, ce type d’exploit n’est pas banal dans l’ère Open, seuls Borg, Sampras, Federer et Nadal l’ayant réussi au moins 3 fois :

Pour être optimiste, Djokovic pourrait rétorquer que le tennis a évolué, que la maturité d’un joueur intervient plus tard, qu’il est plus difficile de gagner désormais pour les jeunes vu les standards d’excellence établis par le Big Four, qui a dressé la guillotine devant tant de joueurs ambitieux (Del Potro, Söderling, Roddick, Hewitt, Nalbandian, Davydenko, Ferrer, Berdych, Tsonga, Gasquet, Monfils, Nishikori, Cilic, Raonic, Dimitrov, Goffin, Thiem, Kyrgios…).

Sans être utopique, le défi qui attend Novak Djokovic est donc semé d’embûches, plus proche d’un labyrinthe sans fil d’Ariane qu’un chemin pavé de roses face à une porte d’or, malgré tout le panache qu’il y mettra : déclin physique, émergence possible d’un rival (voire de plusieurs), nouvelle lassitude psychologique, fulgurance possible de Federer pour enfoncer le clou à 21 trophées en GC, complexité de prolonger l’euphorie de saisons à un tel niveau de jeu…


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