La face cachée de l’Amérique
par Bernard Lallement
mardi 6 septembre 2005
Non, nous ne sommes pas dans quelque coin reculé du quart monde, en proie à un cataclysme, mais au coeur de la première puissance économique et politique de la planète, plus exactement au sud de l’Amérique, fer de lance de la démocratie, des progrès scientifique, technique et social.
10 millions de personnes seraient frappées de plein fouet par l’ouragan Katrina, occasionnant plus de 100 milliards de dollars de dégâts pour lesquels le Congrès n’a dégagé qu’une enveloppe de 10,5 milliards de dollars.
Au lendemain du 11 septembre 2001, l’Amérique découvrait, avec effroi, sa vulnérabilité. Le pays des satellites d’espionnage et des centrales de renseignements aux sources infaillibles n’avait pas su prévoir l’effondrement des Twin’s, ni repérer les kamikazes qui s’entraînaient, depuis de longs mois, sur son propre sol. Sa suprématie militaire s’était montrée, en la circonstance, parfaitement inefficace.
Aujourd’hui, l’Amérique découvre, avec stupeur, les scènes qu’elle pensait réservées à quelques contrées éloignées d’une Afrique sous-développée à laquelle elle aurait apporté l’aide et la protection de sa super-puissance.
L’Amérique de Manhattan, des fiers gratte-ciel de Chicago et des quartiers huppés de Los Angeles est impuissante à se prémunir d’une catastrophe pourtant annoncée par tous les experts climatiques du pays. La Maison blanche savait parfaitement à quoi s’en tenir. Les digues, censées protéger La Nouvelle-Orléans de la montée des eaux, ne pouvaient résister à un ouragan, même de faible intensité. Mais, obnubilé par sa guerre contre les forces du Mal, Georges W. Bush a préféré transférer les crédits, originellement fixés pour prévenir ce risque qualifié de majeur par l’agence américaine des mesures d’urgence (FEMA), au bénéfice de la lutte contre le terrorisme.
L’Amérique des faubourgs de Malibu, hier méprisante des Nations Unies, fustigeant l’attitude « anti-patriotique » de la France et de l’Europe dans son refus d’un engagement en Irak, est aujourd’hui contrainte de solliciter leurs aides.
L’Amérique se réveille avec une vision d’elle-même bien loin des stéréotypes véhiculés dans les séries télévisuelles vendues aux quatre coins du monde.
Car dans le même temps, statistique passée inaperçue dans la plupart des médias américains, l’U.S. Census bureau faisait état d’une montée croissante, et régulière, de la pauvreté qui touche 12,7 % de la population avec un pic de 24,7 % pour la population noire et 21,9 % chez celle d’origine hispanique, alors qu’elle n’est « que » de 8,6 % chez les blancs non hispaniques (les statistiques américaines tiennent compte des différences raciales !). En outre, plus de 45 millions d’Américains sont sans aucune couverture maladie.
Pour les Etats frappés par katrina, le pourcentage de la population touchée par la pauvreté (c’est-à-dire bénéficiant d’un revenu inférieur à 9000 $ par an) serait de 16 % pour l’Alabama, 19,36 % pour la Louisiane et 21,6 % pour le Mississippi, c’est-à-dire parmi les plus pauvres des USA.
L’american way of life ne fait plus recette et la croissance, vantée par ailleurs dans les couloirs de Wall Street, est loin de bénéficier à tous.
L’Amérique découvre ses inégalités, des injustices, ses incapacités. Elle commence à prendre conscience qu’elle est une nation comme n’importe quelle autre.
Pas tout à fait pourtant. Car l’Amérique reste responsable du quart de la pollution mondiale, cause principale du réchauffement planétaire, dont une des conséquences notoires est la venue d’ouragans, comme Katrina, qui occasionneront des milliers de morts, parmi les populations les plus défavorisées, comme dans les pays du quart monde ou aux USA.