Refonder le partenariat euro-méditerranéen dix ans plus tard

par Khalifa Chater
mardi 29 novembre 2005

L’auteur tente de procéder à un examen des moyens susceptibles de redynamiser le processus de Barcelone (partenariat euromed) à l’occasion de Barcelone 2 (27-28 novembre 2005).

Le processus de Barcelone (1995) et l’idealtype-postulat qu’il fait valoir, a été mis à l’épreuve des faits, depuis sa naissance. Il fut, de fait, paralysé par le contexte international tragique, la montée des périls au Moyen-Orient et le blocage par Israël du processus d’Oslo, suivi de son rejet. Mais nous devons aussi prendre en compte les graves effets de la perte de vue de sa dimension globale, par le privilège accordé à l’Union européenne dans la donne sécuritaire, et la limitation de ses enjeux économiques dans l’ouverture des marchés sud-méditerranéens. Résultat évident de l’élargissement, le recentrage de l’Europe vers l’Est mettait à l’ordre du jour de nouvelles priorités. Volonté de rééquilibrage du partenariat, « la politique de voisinage » s’adressait simultanément aux régions de proximité, de la Russie et de la Méditerranée. Adhésion à la carte, par pays et aux conditions proposées par l’Union européenne, la nouvelle politique - qui définissait des relations de partenariats spécifiques - pouvait constituer une alternative plutôt qu’une formule relationnelle complémentaire. Certains acteurs n’hésiteraient pas à l’identifier ainsi. Il faudrait donc sauvegarder l’approche de Barcelone et la réactualiser. Je dirais même la refonder.

Revisiter le processus de Barcelone : peut-on revisiter le processus de Barcelone, réactualiser son discours fondateur ? Notre approche doit tenir compte du changement de sa donne essentielle :

1) Le compromis fondateur de Barcelone articule le partenariat autour des trois axes : politique et sécuritaire, économique et financier, culturel, social et humain, faisant valoir une relation organique entre la sécurisation de l’Europe sur son flanc sud et la stabilisation et le développement des pays de la rive sud de la Méditerranée. Or, ces dimensions favorables à la rive sud, et surtout la politique de co-développement revendiquée essentiellement par les partenaires maghrébins, ont été occultées. La référence à la communauté euro-méditerranéenne - une entité encore virtuelle car non inscrite dans le vécu - et à l’idéal de coexistence harmonieuse entre les partenaires, que le processus de Barcelone se proposait d’établir, devenait, de fait, un vœu pieux, sans signification effective. Postulat à rappeler, le partenariat doit ériger la zone en aire de solidarité et de co-développement.

2) Formulée dans une vision globale de paix et de stabilité, la question de la sécurité est désormais mise hors contexte, comme donnée exclusive, comme option majeure, ignorant les éléments fondateurs du postulat de Barcelone. L’occultation des concepts de paix (qui fait valoir la dimension politique du projet) et de stabilité (qui évoque les ingrédients du co-développement, de la construction d’un avenir meilleur, l’amélioration des conditions de vie) réduit l’enjeu au traitement de la sécurité. Telle que définie dans ce contexte, c’est-à-dire dans son acception restrictive, la sécurité exprimait une vision européo-centriste. Pis encore, une inhibition culpabilisante, et parfois même discriminatoire.

3) Fondé sur la logique internationale de coopération, le processus de Barcelone, qui fait valoir l’éthique de dialogue, de concertation et d’échanges - c’est-à-dire de co-partenariat équilibré - est dénaturé par les relations asymétriques et par la logique effective des rapports de forces qui perturbent son idealtype. La réactualisation du processus de Barcelone suppose donc, comme préalable, l’assainissement des relations dans l’aire euro-méditerranéenne, par une mise en exécution de son idealtype en matière de coopération, de concertation et de culture de paix et, bien entendu, un engagement solidaire pour abolir le système d’exception en vigueur en Palestine, et une remise en question de la logique d’hégémonie et de domination.

4) Fait plus important, revisiter le processus de Barcelone implique une prise en compte prioritaire des attentes des populations de l’aire, ce qui implique une connaissance de l’état des opinions sur ce partenariat. Des bureaux d’études et des organisations européennes, ou assimilées, ont essayé de mettre au point des stratégies de réactualisation du processus de Barcelone. Ce travail d’experts a permis de définir des « idealtypes », appelés hâtivement des utopies, par des hommes du terrain et des politiques avisés. Comment mettre ces analyses théoriques, souvent pertinentes, à l’épreuve de la réalité, au diapason des souhaits des citoyens ?

Ne serait-il pas opportun d’organiser une enquête sur le terrain, et des sondages d’opinion, dans les différents pays concernés par le processus de Barcelone, pour dégager :

- les aires d’alliances privilégiées

- les différentes représentations du partenariat euro-méditerranéen

- la perception du partenaire

- les attentes des populations.

Il faut engager ce travail préalable, comme priorité stratégique, afin que la célébration du processus de Barcelone ne soit pas un vœu pieux, rappelé rituellement, alors que les regards de certains acteurs européens se détournent de plus en plus du Sud.

Conclusion : est-ce à dire que ces conditions d’actualisation du processus de Barcelone sont difficiles à réaliser ? Nous ne le pensons pas. Fait incontestable, l’U.E. ne peut occulter sa composante géostratégique méditerranéenne. D’autre part, les graves atteintes à l’éthique, durant cette difficile conjoncture, ont induit des mutations significatives qui ne doivent pas être sous-estimées. Il y a une maturation évidente de l’opinion européenne, qui a pris ses distances par rapport à l’approche conflictuelle du « choc des civilisations ». La pause de réflexion consécutive aux non français et hollandais, lors du référendum, peut inciter les acteurs politiques à effectuer un changement de perspective au profit d’une communauté euro-méditerranéenne citoyenne. Une telle approche permettrait, peut-être, d’identifier des champs de coopération prioritaires, selon les vœux exprimés par les populations de part et d’autre de la Méditerranée.


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