Bayrou : révolutionnaire ou girouette ?

par Frédéric Alexandroff
mercredi 4 avril 2007

Qui a peur de François Bayrou ? Plus grand monde, semble-t-il. Après avoir affolé les baromètres des différents instituts de sondage, après avoir plus que triplé son niveau de départ en passant de 7 à près de 25 % des intentions de vote, après avoir donné des sueurs froides aux hiérarques du Parti socialiste qui voyaient se profiler le spectre d‘un nouveau 21 avril ; bref, après avoir touché du bout des doigts l’inaccessible rêve de faire voler en éclats la ceinture de chasteté intellectuelle du clivage droite-gauche, François Bayrou semble ne plus intéresser les masses. Les porte-flingue de Nicolas Sarkozy comme les thuriféraires plus ou moins dévots de Ségolène Royal paraissent avoir renoncé à agonir d’injures le candidat centriste pour se contenter de l’ignorer.

La faute aux sondages ? Sans doute. Quelles que puissent être ses dénégations sur le sujet, chaque candidat garde un œil rivé sur les études d’opinion dont on nous abreuve, chaque semaine voire même chaque jour, jusqu’à l’excès, jusqu’à l’indigestion. Et que l’on croie ou non aux sondages, que l’on assimile avec plus ou moins de conviction l’idée même qu’il puisse exister un « échantillon représentatif » de la population française, il est certaines tendances lourdes qui ne peuvent être ignorées.

Et la tendance lourde du moment, pour François Bayrou, est à la baisse. Un gentil euphémisme, car on serait plutôt tenté d’évoquer une sérieuse dégringolade : avoir dépassé les 25 % dans certaines enquêtes d’opinion pour se retrouver à un peu plus de 18 aujourd’hui témoigne d’autre chose que d’une simple baisse d’intérêt des Français pour le président de l’UDF. Mais alors, pourquoi cette chute dans les sondages ?

La révolution centriste

L’histoire présidentielle de François Bayrou, c’est avant tout une affaire de stratégie, mais aussi (et les deux sont ici étroitement liées) d’image. Jusqu’à son envolée dans les sondages, voici seulement quelques mois, François Bayrou était le chantre du sempiternel ni-nisme centriste, l’incarnation même de tout ce qui rendait cette famille politique haïssable aux yeux de bien des Français dont je suis : un centrisme mollasson, accroché à la droite davantage par habitude que par réelle conviction, volontiers servile, et dont la seule force idéologique résidait dans un fédéralisme européiste pas toujours follement ambitieux et encore moins démocratique. À tout le moins ne pourra-t-on enlever au président de l’UDF d’avoir toujours fait montre d’une grande honnêteté intellectuelle, lui qui était l’un des rares, parmi les partisans de la Constitution européenne, à défendre l’idée qu’un texte aussi important ne pouvait être ratifié autrement que par référendum. Dans le même ordre d’idée, il était de ceux qui, après la réélection de Jacques Chirac en 2002, mettait en garde contre un président élu à 82 % qui gouvernerait avec une majorité ne s’appuyant que sur ses 19 % du premier tour, et prônait une vaste union pour mener à bien les réformes indispensables. On connaît la suite de l’histoire.

Pour cette présidentielle de 2007, François Bayrou change de stratégie, passant du « ni-ni » lénifiant et droitier (l’UDF se délestant au passage des figures emblématiques du centrisme mou, les Méhaignerie, les Douste-Blazy et autres) à un « et-et » aux accents volontiers révolutionnaires : désormais, à l’UDF, on se veut « antisystème ». À l’UMP comme au Parti socialiste, on en rit. Bayrou et Che Guevara, ce n’est pas le même tempérament. Aucun risque de confusion. À ce compte-là le seul « Che » que le centriste est susceptible d’imiter, c’est Jean-Pierre Chevènement. Ce ne sera pas B comme Bolivar, mais B comme baudruche.

Cette comparaison n’était pas infondée : MM. Chevènement et Bayrou ont choisi, à cinq années d’intervalle, le même créneau de la « rupture » avec un système jugé inefficace et même dangereux. Et tous deux ont connu le même succès initial, grimpant dans les sondages jusqu’à dépasser le troisième larron habituel, Jean-Marie le Pen.

Néanmoins, François Bayrou a réussi là où Jean-Pierre Chevènement avait échoué. Faute d’avoir su transformer l’essai en adaptant un discours, somme toute très « sciences politiques », à un électorat plus populaire, le « Che » était demeuré le champion de quelques intellectuels, socialistes déçus ou héritiers d’un gaullisme moribond. La tête dans les nuages d’une république idéale et les pieds sur la chaussée parisienne, le candidat Chevènement a connu le succès que l’on sait.

Le talent de François Bayrou, c’est d’avoir su éviter cet écueil. Lui a su s’attirer les faveurs de l’électorat populaire. En jouant sur son image, d’abord, celle du « petit » qui n’a pas peur des gros, du fils d’agriculteur qui n’a pas fait Science-Po Paris ou l’ENA., du seul, parmi les quatre premiers candidat, à ne pas être soumis à l’impôt sur la fortune. Sur le fond aussi, le candidat UDF cultive sa différence. Son programme est minimaliste : pas question pour lui de dresser un inventaire de promesses long comme une péniche ou de manger à tous les râteliers. Lui veut incarner la politique telle qu’elle devrait se faire, non pas sur la base d’idéologies, mais en répondant aux attentes des « vrais gens » : pas celles d’un peuple de gauche mythique ou d’un peuple de droite tout aussi imaginaire, mais du peuple français qui, dans son ensemble, ne voit pas pourquoi il devrait être sempiternellement condamné à choisir entre la solidarité, le travail, la liberté et l’ordre. Ces quatre valeurs cardinales (qui incarnent, peu ou prou, la gauche, le centre et la droite) forment un carré magique de l’action politique, à l’intérieur duquel résident toutes les aspirations du citoyen. Jean-François Kahn avait rêvé cet "extrême centre" : François Bayrou l’a fait. À l’UMP et au PS, les rires s’étranglent dans des gorges serrées et se muent en grincements de dents. Désormais, le mot d’ordre, à droite comme à gauche, c’est haro sur l’UDF.

La peau de banane de l’identité nationale

Las, l’extrême centre n’aura pas fait long feu. À qui la faute ? À François Bayrou lui-même, qui dans sa course derrière Nicolas Sarkozy, toujours champion des sondages, n’a pas su éviter la dernière chausse-trappe que le président de l’UMP a laissée derrière lui à l’intention de ses adversaires : l’identité nationale. Que Ségolène Royal, redevenue en l’espace de quelques semaines la candidate de la gauche néo-jospiniste la plus bornée, s’y soit laissée prendre n’était pas en soi surprenant. Dans le cas de François Bayrou, c’était plutôt décevant. Et ça l’est d’autant plus que, tandis que la candidate socialiste rame à grands coups de drapeaux tricolores et de Marseillaises dans l’espoir de rattraper sa bévue initiale, le président de l’UDF, de son côté, enfonce le clou... et s’enlise un peu plus.

Une fois encore, on peut ne pas prêter attention aux sondages, et s’en méfier constitue une attitude légitime au regard des surprises des présidentielles de 1995 et 2002. Pour autant, certaines coïncidences laissent rêveur. Le jeudi 8 mars, sur France 2, Nicolas Sarkozy lance son idée d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. L’idée me paraît plus saugrenue que choquante : d’abord parce tout le monde convient qu’il faut rationaliser l’action publique et, partant, réduire le nombre de ministres dans le gouvernement ; ensuite parce que l’identité nationale est une chose trop complexe, peut-être même trop personnelle, pour être confiée à la charge d’un ministère, qui plus est un ministère à la responsabilité aussi réduite que la police de l’immigration.

Mais revenons-en aux événements des dernières semaines. Tout le week-end qui suit, les réactions tombent. Mme Royal trouve la proposition de Nicolas Sarkozy « ignoble ». François Bayrou, de son côté, se dit choqué par l’« amalgame » fait entre immigration et identité nationale. La semaine suivante, de nouveaux sondages tombent, et la plupart enregistrent la même tendance : Nicolas Sarkozy creuse l‘écart avec ses deux adversaires. Le sondage de TNS-SOFRES des 14 et 15 mars est particulièrement évocateur, puisque là où Nicolas Sarkozy gagne environ 4 points, Ségolène Royal en perd 1,5 et François Bayrou 2. Les mathématiques se chargent de l’analyse. Le PS et l’UDF ont commis une lourde erreur, non pas en critiquant la proposition strictement administrative de la création d’un nouveau ministère, mais en fustigeant le caractère prétendument raciste du thème de l’identité nationale. Ségolène Royal semble l’avoir compris, elle qui a décidé d’introduire la Marseillaise en lieu et place de l’Internationale dans ses meetings. On ne s’en plaindra pas.

À l’inverse, François Bayrou persiste et signe : l’identité nationale serait un thème dangereux, aux accents xénophobes, qu’il faut laisser au seul Front national. Et l’ex-candidat de l’extrême centre de dégringoler un peu plus dans les enquêtes d’opinion.

Pourquoi « ex-candidat », me demanderez-vous ? Pour la bonne et simple raison qu’après être passé du « ni-ni » au « et-et », François Bayrou a visiblement opté pour une nouvelle stratégie, le fameux « TSS » (Tout sauf Sarkozy) qui mobilise tant une partie de l’électorat de gauche, et c’est précisément sur cet électorat que François Bayrou lorgne désormais, lui qui semble avoir lancé une véritable OPA sur les voix du Parti socialiste, sans doute poussé par ces étranges sondages qui simulent un deuxième tour entre lui et Sarkozy. Relative barre à gauche dans le discours du candidat UDF, les thèmes jugés trop à droite sont bannis. L’identité nationale ? Lepéniste. La sécurité ? Lepéniste. Sa réaction face aux incidents à la Gare du Nord vaut presque celle d’un Besancenot ou d’un Bové, et le citoyen moyen reste éberlué devant ce qu’il ne sait pas bien identifier : mauvaise foi ou idéologie ?

Oui, François Bayrou chasse désormais clairement sur les terres de la gauche, mais pas n’importe laquelle : celle du 21 avril 2002. Autant dire qu’il chasse du vide. Ce faisant, il s’aliène un peu plus chaque jour ceux qu’il avait réussi à séduire par son discours sérieux et innovant. Souhaitons-lui de retrouver ses esprits avant longtemps, sans quoi il finira le 22 avril 2007 comme Chevènement en 2002 : défait, ridiculisé et contraint de réintégrer son camp.


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