A propos du Crédit Social Chinois

par Robert GIL
mardi 9 avril 2024

Il n’est pas rare, lors de discussions, que des personnes parlant du système de crédit social en Chine soient horrifiées, sans vraiment savoir de quoi il s’agit. Comprendre la Chine est compliqué, mais vouloir la regarder à travers nos références, notre morale ou notre histoire est absurde. En chine il y a plus de 50 ethnies, 23 provinces, cinq régions autonomes où bouddhisme, taoïsme, culte des ancêtres, pratiques divinatoires, cultes populaires, christianisme et islam s’y trouvent exprimés sous des formes diverses… la communauté juive est très peu représentée. La Chine c’est plus de 4000 ans d’histoire. Aujourd’hui, les attaques contre la Chine de la part de l’occident collectif sont dues au fait que la grande roue de l’histoire tourne et que nous avons du mal, après avoir dominé le monde depuis plus de 400 ans, de laisser la place à quelqu’un d’autre.

Alors que tout le monde a en tête l’image d’un système de notation orwellien, la réalité est tout autre… et bien moins sensationnaliste. Il est vrai que la Chine dispose de capacités de pointe autour de la reconnaissance faciale et de la surveillance des réseaux sociaux. Plombée par une image désastreuse véhiculée par des médias voulant faire le buzz, la Chine incarne en Europe l’exemple-type de l’état totalitaire. Si cette représentation peut faire les choux gras d’hommes politiques et de journalistes peu soucieux du détail, la réalité ne se résume pas à un « état orwellien » contrôlant chacun des faits et gestes des individus. Ces raccourcis brouillent la compréhension des implications des technologies numériques sur le fonctionnement de l’État et proposent une vision biaisée de la vie en Chine contemporaine. Le documentaire, diffusé, il y deux ans, sur la chaîne parlementaire LCP « Ma femme a du crédit », déroule le récit d’une Chine où la 5G, les Big data, les doubles digitaux forment une immense toile de « surveillance totale » grâce à laquelle le Parti communiste peut lire sur le visage de ses citoyens chacun de leurs faits et gestes. « Ma femme a du crédit » est l’exemple type de documentaire à charge, qui n’hésite pas à déformer les faits pour coller à la vision que l’on veut donner de la Chine. Ce n’est pas la première fois que le crédit social est ainsi décrit dans des formats grand public. Il est vrai que cet objet d’étude est particulièrement complexe. Malgré les efforts des chercheurs comme Jeremy Daum ou Séverine Arsène, ce système reste associé à l’idée d’une note attribuée à l’ensemble des citoyens chinois qui permettrait d’évaluer leur comportement. Le système de crédit social est un outil bureaucratique, reposant avant tout sur des tableurs Excel, qui concerne plus les entreprises que les individus, ceux-ci ne représentent que 0,2 % des entités sanctionnées. Il n’y a pas de score donné aux citoyens, et personne ne se voit interdire l’accès aux hôpitaux pour avoir traversé au feu rouge.

On oublie également souvent que même si la Chine est gouvernée par un parti unique, rien n’est imposé du haut au bas sans concertation. Le niveau local est très important. Il y a des diversités de situation sur le terrain. Il y a aussi quelquefois des mesures qui sont difficiles à faire appliquer localement, suivant les ressources humaines et matérielles, ou pour la définition des normes, des critères, et pour l’accès à l’information. Voir la Chine comme un régime où tout se déciderait par le haut est faux. La plupart des grandes réformes sont menées dans des régions, des villes et des villages test. Souvent, ces réformes sont modifiées après les retours du terrain, qui peuvent prendre parfois plusieurs années.

Le « système de crédit social » est une interface bureaucratique entre les systèmes juridique et réglementaire, destinée à faciliter le partage de l’information entre les administrations, et mettre en place un mécanisme de récompenses et de sanctions pour les entreprises. Afin de faciliter le partage d’informations, l’État construit des bases de données à disposition des administrations. Ces données sont issues tant de l’administration fiscale, du régulateur financier, que des départements en charge de la protection de l’environnement, etc. La grande majorité de tous les mécanismes et les documents liés au crédit social concernent les entreprises : licence, historique juridique, déclarations fiscales… Pour ce qui est de la mise en place d’un système de récompenses et de sanctions, le SCS permet de pénaliser une entreprise si elle est reconnue coupable par une administration compétente d’avoir enfreint les lois en vigueur. Elle est alors ajoutée sur liste noire et se voit appliquer des sanctions correspondantes. Ces sanctions incluent le plus souvent des restrictions pour l’accès aux financements ou aux marchés publics.

Loin de former un système monolithique notant les individus en fonction de leur comportement quotidien, le SCS punit principalement les enregistrements frauduleux d’entreprises, les chauffeurs Uber dont la licence est expirée, les ventes de médicaments non autorisés, etc. Pour les individus, les sanctions les plus sévères sont réservées aux personnes qui refusent, par exemple, de rembourser leurs dettes tout en ayant la capacité de le faire. Cela reste encore à nuancer : l’inscription sur cette liste ne s’effectue qu’après trois rappels à la loi. Ne pas confondre le crédit social avec celui du crédit Sésame, qui n’est pas un mécanisme gouvernemental, mais un service d’Ant Group, lié au groupe Alibaba. Il fonctionne comme un système de fidélité, octroyant des avantages aux utilisateurs fréquents des produits de Ant. Pour cette raison, le crédit Sésame a été exclu du SCS par le gouvernement. Surtout, aucune sanction n’existe pour un utilisateur dont la note sera trop « basse ».

Rien n’est jamais parfais. Mais faire croire qu’un citoyen chinois se voit interdire l’accès aux hôpitaux pour avoir traversé au feu rouge, est tout bonnement faux. Or, nous sommes justement dans un moment où la juste compréhension d’un système complexe est cruciale pour guider nos réflexions sur les technologies numériques. À travers le SCS, c’est la question du traitement des données, et de leur usage comme atteinte aux libertés publiques et individuelles, mais cela nous concerne tous et pas seulement les citoyens chinois. La surveillance se développe dans tous les pays, en Europe, et particulièrement en France, et ne peut se construire sur une méconnaissance des faits. A nous d’être attentifs, et d’arrêter de colporter les fantasmes des uns, des autres et la propagande des médias mainstreams. A nous de regarder ce qui se fait ici, et de réagir avant de n’être plus que des numéros dans un programme de surveillance automatisé. Avec les Ouigours et le Tibet, le crédit social rejoint la grande entreprise de désinformation sur un pays que l’on considère comme un ennemi.

http://2ccr.unblog.fr/2024/03/31/a-propos-du-credit-social-chinois/

https://2ccr.wordpress.com/

Ref :

Histoire et société, « LE SYSTEME DE CREDIT SOCIAL EN CHINE par Jean-Claude Delaunay (1 et 2) ». « Un autre aspect de la question ; l’intégration des données relatives aux enseignants, aux élèves et à l’enseignement dans les big data. C’est dans la logique des choses. Mais je ne sais pas où ça en est. Je crois que l’effort a d’abord porté sur la santé, le suivi des médecins, des hôpitaux et des médicaments. C’est la première préoccupation des Chinois : la santé, le coût de la santé. Ensuite, concernant les enseignants, il y a d’autre domaines en cours d’examen sans attendre les big data. A ma connaissance ces domaines sont : 1) les comportements violents ou inappropriés de certains enseignants, notamment dans le primaire. Le ministère combat avec fermeté les cas de maltraitance en particulier à l’égard des jeunes enfants. 2) le deuxième volet est celui des abus sexuels. Les Chinois font très attention à ces deux aspects de la vie des jeunes élèves. Un troisième domaine est en train de prendre forme. C’est la mesure exacte de l’effort demandé aux élèves. Mais pour l’instant, tout cela est traité indépendamment des big data. Cela dit, j’imagine que les données relatives à l’enseignement et aux enseignants ainsi qu’aux élèves figureront un jour ou l’autre dans le SCS chinois indépendamment des questions de savoir si tel enseignant est ou non apprécié de ses élèves. Si le SCS devient un outil d’aide à la planification, il faudra bien que ces données soient enregistrées sans que tout cet appareil statistique soit un moyen de flicage des gens. »

YouTube, « le système de crédit social chinois », conférence de Séverine Arsène

Les échos, le 17 févr. 2022 : « Crédit social en Chine : cassons les mythes orwelliens »

YouTube, « La Chine est-elle socialiste ? », entretien avec Bruno Guigue

« La Chine sans œillères », aux Editions Delga, ; « Ce livre vise un public que nos médias maintiennent dans une grave ignorance de la Chine. Ce que beaucoup de Français croient, c’est que le « régime » communiste chinois, dont LA langue est le mandarin, fait travailler les enfants, opprime les minorités, éradique les cultures, persécute les croyants. Sur fond d’un racisme implicite s’est construite une image négative de ce pays et d’un peuple qui font peur (« le péril jaune »), alors même que la politique étrangère de la Chine, telle que la définit le président Xi Jinping, n’est pas basée sur une volonté de domination du monde (contrairement à celle affichée par les États-Unis d’Amérique), mais sur la notion de « communauté de destins ». Il ne s’agit pas ici de faire un éloge béat de la Chine, de suggérer que la France ferait bien de s’inspirer de son système politique, économique, médiatique, policier, militaire, judiciaire, syndical. Nous avons notre propre système, perfectible. La Chine a le sien, sur lequel nous avons peu de prises, dirigé par un parti communiste désormais centenaire (né le 23 juillet 1921) et fort de 90 millions d’adhérents ».


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