Ukraine : Economie virtuelle contre Economie réelle

par JMBerniolles
samedi 11 mars 2023

Le déclin accéléré de l’Empire anglo saxon, tandis que l’alliance militaire et économmique en Eurasie monte en puissance, rend très complexes les analyses en Géopolitique. Le basculement vers un monde multipolaire est une réalité qui n’est pas reconnue à l’Ouest. Et surtout elle n’est pas du tout prise en compte dans les politiques extérieures des pays de l’Ouest. Dans ce contexte beaucoup de pays sont amenés à avoir des attitudes politiques à multiples facettes. Ainsi la Turquie d’Erdogan joue double voire triple jeu. Les pays du Golfe, Arabie Saoudite et Émirats Arabes Unis principalement, s’émancipent discrètement de la tutelle américaine. L’Egypte se ménage également la possibilité de gérer une défaite américaine au Moyen-Orient.

D’autre part dans la sphère d’influence du pouvoir politique et financier, transnational, assis sur un système de nature néo libérale, la manipulation orchestrée de l’ « information » rend aussi difficile la compréhension de ce qui se passe réellement dans le monde. En Ukraine par exemple.

Un moyen d’appréhender les choses en profondeur est de réfléchir aux facteurs dominants qui gouvernent in fine les affrontements entre l’Ouest et l’Est.

Parmi ceux-ci il y a naturellement l’économie. C’est sur la supposée supériorité de l’économie des pays occidentaux qu’est basée la guerre des sanctions économiques lancée par l’Occident qui frappent depuis longtemps l’Iran et qui pleuvent maintenant sur la Russie à la suite de son action militaire en Ukraine.

Qu’en est-il du rapport de force entre les économies de l’Ouest et de l’Est (Russie, Chine et Iran)  ?

(la simple comparaison des PIB n’a aucun sens dans la mesure où cet instrument de mesure décrit très mal la puissance économique de la Russie. La prise en compte du bénéfice sur le commerce extérieur, la Dette souveraine, les réalisations de la Russie dans le domaine de l’Espace, du Nucléaire, des armes.... serait plus appropriée) 

Systèmes économiques

A l’Ouest nous sommes plongés dans un monde de plus en plus virtuel.

Notre économie totalement soumise aux intérêts financiers les plus puissants [BlackRock évidemment, Wall Street et La City] ainsi qu’à des lobbies politiques et industriels [AIPAC, MIC -Militaro Industrial Complex-…] survit sur la création journalière d’une dette maintenant insurmontable.

La production industrielle et même agricole y est réduite au profit de services, du commerce et d’opérations financières majoritairement spéculatives. Il y a également des montages artificiels de nature financière autour de thèmes comme les « énergies vertes » et malgré la crise des subprimes l’immobilier reste soumis à l’ingénierie financière. On peut dire que cette « économie » s’éloigne du réel et devient quasiment virtuelle dans sa dépendance à une Finance type ‘Château de cartes à la Ponzi’ et à une monnaie, le Dollar, dont la valeur virtuelle est fixée par l’hégémonie militaire américaine.

A l’inverse la Russie, l’Iran et la Chine sont dans l’économie réelle. La Chine à cause de la globalisation et de la volonté du PC chinois, l’Iran et la Russie du fait des sanctions dont ils font l’objet depuis assez longtemps et même très longtemps pour l’Iran. Pour l’Iran il faut aussi prendre en compte la modernité de la politique menée par le régime islamique. Développement du secteur militaire basé sur une technologie réfléchie, investissements dans le domaine de l’énergie, dans le progrès technologique, dans l’éducation et la Recherche. Les sanctions obligent aussi ce pays développer sa production de médicaments.

L’Iran a beaucoup souffert et souffre encore des effets de ces sanctions, notamment pour les médicaments, et du blocage d’avoirs. Les échanges avec la Russie, puis les investissements chinois, principalement autour du projet de 'routes de la soie', ont amélioré la situation économique, néanmoins des problèmes demeurent qui sont un facteur de déstabilisation du pays que les Américains tentent d’utiliser pour provoquer l’élimination du pouvoir islamique. L’avenir de l’Iran dépend aussi beaucoup de sa capacité à exploiter le champ gazier partagé avec le Qatar. Il est évident qu’un gazoduc vers la Méditerranée passant notamment par la Syrie résoudrait une bonne partie du problème. Mais il ne faut pas oublier que c’est précisément un problème de gazoduc qui a été une des origines de la guerre contre la Syrie et Bachar El Assad.

La Russie a énormément bénéficié des sanctions occidentales. Elles lui ont d’abord évité de sombrer dans le néo libéralisme. Puis elles l’ont conduit à exploiter son immense potentiel pour se dégager de la dépendance des échanges avec l’Ouest et aller vers une économie autonome. Les progrès en ce sens ont pu notamment être évalués avec la remontée du Rouble sur les marchés alors même qu’il y était attaqué. On constate aujourd’hui que non seulement les sanctions contre la Russie n’empêchent pas son économie de croître, dans l’économie réelle, mais qu’elles ont aussi lourdement frappé les pays de l’Ouest surtout ceux de l’UE. La Russie en est aujourd’hui au stade où elle a réorienté ses échanges commerciaux vers l’Asie, dont principalement la Chine et l’Inde qui, malgré les pressions américaines, maintient un important commerce avec la Russie. Dans ces échanges la Russie introduit de plus en plus la dédollarisation et dans le cadre de l’union économique eurasienne à laquelle l’Iran vient d’adhérer, elle propose la mise en place d’une monnaie commune adossée à une valeur rélle telle que le gaz naturel ou autre marchandise importante, pour leur échanges commerciaux. La Russie est donc très loin de perdre cette bataille économique

La Chine dans le premier temps de la mondialisation a vu son économie dépendre fortement des marchés étrangers et particulièrement américain. Au point qu’elle se sentait obligée d’acheter des bonds d’État américains. A cette période il faut rappeler que la Chine était déficitaire dans des échanges commerciaux avec l’Allemagne notamment. Mais c’était une période transitoire où la Chine acquérait un savoir faire technologique. Elle développe par exemple ses propres réacteurs nucléaires qu’elle vend aussi, et dispose d’un secteur de recherche qui couvre beaucoup de domaines. Elle fait également de gros efforts au niveau de l’éducation et de la formation. On en est au point où l’on pourrait dire que la Chine sort gagnante de l’installation généralisée du néo libéralisme, mais ce n’est pas exact parce qu’elle fonctionne avec un système de nature socialiste dans ses grandes lignes. Un système autoritaire certes, comme beaucoup qui ne l’avouent pas, mais imaginer la Chine fonctionnant avec un système de ‘démocratie participative’ fait franchement sourire. D’une manière générale il y a un basculement en Chine vers la prise en compte de questions intérieures, un recentrage vers des intérêts propres. La Chine vient ainsi d’annoncer récemment qu’elle a éliminé l’extrême pauvreté. Même si ce n’était pas totalement vrai, cela montre que les dirigeants se soucient de leur peuple.

La nature d’État à structure socialiste est souvent déniée à la Chine dans les médias occidentaux. C’est parce qu’il faut y conforter le narratif officiel sur la mort du Socialisme.

Considérant ces trois pôles de la résistance à l’hégémonie américaine, on peut dire que ceux-ci sont en train de gagner la guerre économique que l’empire anglo-saxon a déclenchée contre eux.

La Guerre

La guerre a déjà plusieurs fronts, le Moyen-Orient avec la Syrie, l’Irak et le Yémen ainsi que l’Ukraine. Elle menace de s’étendre, Transnitrie, Caucase et même au large de la Chine. Cela provient de la véritable incompétence couplée à une hystérie haineuse de l’équipe de neo cons qui dirigent la politique extérieure des USA, Blinken, Nuland, Sullivan... avec en soutien H. Clinton, B. Obama .. Compte tenu du soutien assuré de la Russie, la Chine ne peut perdre la guerre contre les USA aujourd’hui et encore moins demain. Le seul véritable atout des USA dans cette guerre seraient ses sous-marins nucléaires.

La nature des économies des parties qui se confrontent a aussi son impact sur la guerre elle-même. En effet tandis qu’aux USA il s’agit surtout de faire de l’argent avec les armes, la Russie a développé son armement d’une manière cohérente en prenant en compte les caractéristiques principales des affrontements dans le cadre de la guerre moderne. Aviation, artillerie et missiles, chars, guerre électronique, Drones, - domaine où la Russie a néanmoins quelques faiblesses -, défense anti aérienne où la Russie excelle à l’inverse, moyens d’observation des forces ennemies, guerre électronique et même guerre spatiale et dans l’environnement polaire, forces navales… Il ne s’agit pas de dire que les USA n’ont pas des armes efficaces, notamment leurs sous-marins atomiques… mais que cela manque de cohérence et d’adaptation. Il y a aussi de sérieux problèmes techniques sur des matériels y compris de pointe comme les avions F35, les Hélicoptères... Dans l’actuel affrontement militaire en Ukraine entre l’OTAN et la Russie on constate que celle-ci a l’avantage au plan du matériel et surtout de sa mise en œuvre.

La guerre en Ukraine

En Ukraine l’essentiel des affrontements se concentrent pour l’instant dans le Donbass et autour de la ville moyenne de Bakhmout. Tout en prétendant que cette ville n’a pas de valeur stratégique le régime de Kiev y développe une résistance insensée compte tenu des pertes subies par les forces ukrainiennes. Bakhmout est actuellement pratiquement encerclée puisque la seule voie libre vers l’ouest pour les ukrainiens est sous le feu de l’artillerie russe. Il est estimé que plus de 10.000 combattants des forces ukrainiennes sont pris dans ce chaudron.

Il semble que l’état major ukrainien ait retiré ses forces les plus aguerries pour ne laisser à Bakhmout que des soldats âgés ou très jeunes qui se font massacrer à tel point que le chef de l’armée Wagner, Evguény Prigojine, s’est adressé directement à Zelensky pour lui demander de retirer ses troupes de Bakhmout. Ce retrait nécessaire fait aussi l’objet d’une divergence publique entre Zelensky et son chef des armées, le général Zaluzhnyi. Une fois Bakhmout tombée la voie vers Slaviansk sera ouverte et le Donbass en passe d’être pratiquement libéré.

Après les « triomphes  » de l’armée ukrainienne il va falloir, à l’Ouest, expliquer cette situation ou plutôt en détourner l’attention. C’est sans doute un des objectifs du pivot vers l’ennemi chinois.

Par ailleurs la visite en Syrie du général Miley conseiller militaire de la Maison-Blanche laisse entendre que les Américains n’ont pas l’intention d’abandonner leur présence illégale en Syrie. A l’est de l’Euphrate et sur la frontière entre la Syrie et l’Irak principalement.

 

Conclusion

Afin de conserver son hégémonie sur le monde, l’Empire anglo-saxon lance une guerre sous toutes ses formes contre les pays qui le défient avec quelques succès à partir de moyens propres qu’ils développent sous la pression de ces agressions à multiples facettes. C’est-à-dire l’Iran, la Russie et la Chine. Il y a aussi la Syrie, le Venezuela, le Nicaragua, la Biélorussie, il y avait également le Pakistan avant le coup réussi pour éliminer Imran Khan. La Turquie malgré la tentative de supprimer Erdogan en 2016 et l’Inde sont deux cas à part parce que leur dirigeant jouent le jeu dangereux de se situer des deux côtés en même temps, et parce que ces pays présentent un aspect stratégique incontournable pour les USA.

La guerre présente trois volets :

__ Le premier est naturellement constitué par les actions militaires. Les USA mènent ces actions militaires à l’aide de mercenaires, - Al Qaeda, Daesh, au Moyen-Orient -, et de pays qu’ils dominent, - Ukraine, Pologne, Pays Baltes.. -, auxquels ils fournissent armes, logistique, renseignements, forces spéciales, en évitant d’engager les soldats américains sur le terrain. Étant donné le poids politique majeur qu’Israël a aux USA (et ailleurs dans le monde) son cas est à part. Israël mène ses propres actions guerrières agressives et on peut d’ailleurs penser que ce pays vise également une hégémonie mondiale, d’abord à travers les USA puis sans doute en influence directe.

L’OTAN, contrôlée par les USA et qui n’est en aucun cas une organisation de défense, sert de cadre à tout cela.

_ Le second qui dans la pratique représente la grande majorité des affrontements au sein de la confrontation Ouest/Est est donc de nature économique. Peu de pays échappent aux dommages collatéraux de cette guerre économique.

_ Le troisième volet sur lequel l’Occident a pour le moment la haute main est constitué par la guerre de l’ Information. Malgré tout les manipulations deviennent de plus en plus grossières et un minimum de réflexion suffit souvent à en démonter le mécanisme. Et puis des brèches s’ouvrent pour la diffusion d’informations plus réalistes comme l’article de Seymour Hersh sur le sabotage des gazoducs Nord Stream. Si bien que les services secrets américains se sont sentis obligés de faire diffuser par des médias sous leur coupe, tels le New York Time et l’allemand Die Zeit, une version invraisemblable mettant en œuvre une équipe de 6 personnes munies de faux passeports, proches du régime de Kiev mais pas trop, sur un bateau léger pour cette opération complexe de sabotage qui de plus devait demeurer discrète.

On comprend donc que c’est bien essentiellement sur le terrain économique que se joue le sort de cette guerre totale. L’Ouest y est si mal embarqué que l’on peut craindre que le volet militaire sous sa forme la plus horrible c’est-à-dire la guerre atomique soit déclenchée à un moment donné par l’équipe de neo cons dans la mesure où le Pentagone serait d’accord ce qui n’est pas du tout évident.


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