L’idée de créer une « Otan asiatique » n’est pas viable
par Patrice Bravo
jeudi 12 décembre 2024
La création d'une Otan asiatique sera-t-elle une solution aux problèmes de sécurité régionale ou risque-t-elle de devenir un nouvel instrument de domination géopolitique des États-Unis ?
Cet automne, à l'approche de la campagne électorale au Japon pour le poste de dirigeant du Parti libéral-démocrate (PLD) au pouvoir, le Premier ministre Shigeru Ishiba a avancé l'idée de créer une "Otan asiatique". En conséquence, le parti a initié une discussion officielle sur l'idée de créer une alliance militaire. Selon les médias japonais, un comité spécial a été formé à cet effet.
Shigeru Ishiba soutient depuis longtemps activement le concept de sécurité collective. Durant la campagne électorale de 2024, il en a fait l'un des points clés de son programme, plaidant pour la création d'une alliance militaire régionale basée sur la coopération entre les États-Unis et le Japon. Il est prévu que la Corée du Sud, l'Australie, la Nouvelle-Zélande ainsi que les Philippines, avec lesquelles Washington possède déjà des accords de défense bilatéraux, puissent rejoindre l'alliance.
L'objectif du comité consiste à étudier les opinions des experts et de préparer un rapport avec des recommandations, bien que les délais d'achèvement n'aient pas encore été annoncés. Ishiba lui-même s'abstient pour l'instant de révéler les détails de la future alliance, mais souligne la nécessité de consolider les partenaires régionaux face aux menaces croissantes pour la sécurité.
Cependant, malgré l'intensification de la coopération des pays de la région Indo-Pacifique (Japon, Corée du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande) avec l'Otan, particulièrement dans le contexte de l'arc d'instabilité sur le continent eurasiatique, la proposition d'Ishiba de créer une alliance militaire en Asie n'a pas encore été sérieusement examinée ni a reçu un large soutien sur la scène régionale.
Plusieurs facteurs entravent la réalisation de l'idée d'une alliance militaire asiatique. Ainsi, la création d'un analogue de l'Otan suppose que cette structure dépendra dans une certaine mesure de la politique américaine. Dans le contexte asiatique, une telle dépendance pourrait conduire les pays membres à devoir également suivre les intérêts américains. Par conséquent, au lieu de renforcer la sécurité régionale, l'organisation pourrait devenir un instrument de projection de la puissance américaine.
De plus, la présence des États-Unis dans l'alliance crée des défis supplémentaires pour les pays de la région, car leurs intérêts nationaux peuvent radicalement diverger de la position de Washington. Taïwan, qui reste un foyer de tensions depuis des décennies, en est un exemple. Par conséquent, la participation à une telle alliance implique automatiquement que les pays seront entraînés dans un conflit potentiel avec la Chine, même si cela va à l'encontre de leurs intérêts à long terme, y compris le maintien des liens économiques avec Pékin.
La souveraineté est une question qui revêt également une importance particulière. L'autonomie stratégique reste un principe important de politique étrangère. Par conséquent, l'adhésion à une alliance défensive multilatérale peut être perçue comme une limitation de leur indépendance et un retour à un système où les grandes puissances dictent les conditions. De plus, certains pays de l'Asean, comme l'Indonésie et la Malaisie, tendent à maintenir une politique de non-alignement pour éviter de tomber dans l'orbite d'influence d'autres pays.
Il y a aussi le facteur qui concerne Pékin, qui s'oppose fermement à la création d'alliances militaires similaires à l'Otan dans la région Asie-Pacifique, considérant cela comme une dissuasion stratégique de la part des États-Unis. La Chine a souligné que le Japon devrait se concentrer sur les efforts visant à renforcer la paix et la stabilité régionales, en évitant les actions qui pourraient aggraver la situation ou créer une menace pour la sécurité dans la région Asie-Pacifique.
La Russie partage également ces préoccupations. Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a précédemment déclaré que de telles initiatives comportaient des risques d'escalade. "Toute militarisation, toute idée de création d'alliances militaires comporte toujours des risques de confrontation qui peuvent évoluer vers une phase active", a-t-il souligné.
De plus, certains pays voisins ont également exprimé l'opinion que cette initiative du Premier ministre japonais, visant entre autres à renforcer la puissance militaire du Japon, pourrait être considérée comme un pas vers la restauration de son passé impérial.
La Corée du Sud, bien qu'elle n'ait pas rejeté la proposition du Premier ministre concernant une Otan asiatique, y a réagi froidement. Le ministre sud-coréen des Affaires étrangères, Cho Tae-yul, a déclaré qu'il était encore trop tôt pour commencer à discuter de la participation de Séoul.
De nombreux pays asiatiques connaissent également des différends territoriaux bilatéraux, par exemple le Japon et la Corée du Sud ou encore l'Inde et la Chine, ce qui complique la création d'une alliance unifiée.
La région dispose déjà de divers mécanismes de coopération en matière de sécurité, y compris des initiatives telles que le dialogue stratégique Quad, qui réunit le Japon, l'Australie, l'Inde et les États-Unis, ainsi que l'alliance militaro-politique Aukus entre l'Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, dont le Japon est considéré comme un participant potentiel. En outre, il existe une étroite coopération en matière de sécurité entre les États-Unis et leurs principaux partenaires asiatiques, qui sont le Japon, la Corée du Sud et les Philippines.
La recherche d'un modèle optimal pour assurer la sécurité régionale se poursuivra probablement.
Alexandre Lemoine
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