Macron-Attal : des colliers de nouilles comme stratégie de gouvernement

par LATOUILLE
vendredi 24 mai 2024

Qu’est-ce que la politique ? Un déferlement et un enchaînement d’actions font-ils une politique ? Autant de questions qui dépassent le cadre strictement sémantique et analytique à propos de la gouvernance d’E. Macron et de G. Attal : agir suffit-il pour un bon gouvernement d’un pays ?

Au soir de son élection, le 7 mai 2017, Emmanuel Macron, adressait aux Français ces paroles : « Mes chers concitoyens, une nouvelle page de notre longue histoire s’ouvre ce soir. Je veux que ce soit celle de l’espoir et de la confiance retrouvés. Le renouvellement de notre vie publique s’imposera à tous dès demain. La moralisation de notre vie publique, la reconnaissance du pluralisme, la vitalité démocratique seront dès le premier jour le socle de mon action. Je ne me laisserai arrêter par aucun obstacle. J’agirai avec détermination et dans le respect de chacun. Car par le travail, l’école, la culture, nous construirons un avenir meilleur. » Ce discours, en forme de déclaration d’intention, fixe plus un dessein de travail très général que les contours d’une politique. On ne voit dans ce discours apparaître ni objectif précis, ni méthode pour atteindre ses objectifs, ni en quoi l’action du président de la République nouvellement élu apportera un mieux-être aux citoyens. Tout au plus s’agissait-il d’un discours de grand oral pour un concours d’éloquence, sans engagement et sans conséquence. Mais, après tout, nous n’étions là qu’au soir de l’élection où nous pouvions nous satisfaire et de la fête mise en scène et d’une sorte de synthèse des discours faits durant la campagne électorale par ailleurs repris dans son livre Révolution[1]. Suivront, pensaient les citoyens, un cadre de travail, des objectifs à atteindre et une stratégie : c’est-à-dire la mise en place d’une politique.

 

La question est bien là, plurielle : qu’est-ce qu’une politique, qu’est-ce que la politique que peut porter le président de la République, qu’est-ce que le citoyen attend du président de la République et, à travers lui, de l’État ?

 

« Politique » est un mot immensément polysémique à partir duquel, au-delà des modifications des acceptions au cours des siècles, au-delà des pensées et des discours des savants (philosophes, historiens, politologues…), il est souvent difficile dans le langage courant de trouver un chemin raisonnable entre le politique, la politique et les politiques. J’essaierai une tentative de clarification en empruntant à Béatrice Bonfils‑Mabilon et Bruno Étienne[2] : « le politique serait donc d’un point de vue statique l’ensemble des structures induites des relations d’autorité et d’obéissance établies en vue d’une fin commune : au moins que le groupe n’éclate pas  ; la politique serait la traduction dynamique de tous les phénomènes impliqués par la conquête et l’exercice du pouvoir ; les politiques prises au pluriel viennent encore compliquer le problème parce qu’elles sont aussi bien au féminin qu’au masculin : les politiques publiques sont féminines et n’intéressent que modérément la plupart des politologues, tandis que les politiques masculins renvoient aux hommes politiques qui les intéressent beaucoup. » Laissons de côté, au moins provisoirement, « les politiques » en tant que leur image paraît assez claire pour l’ensemble des citoyens.

Le fond de la réflexion, au point de vue de l’introduction de cet article, vise la dichotomie entre le politique et la politique. Pour Paul Ricoeur le politique structure l’action en commun alors que la politique est une activité gravitant autour du pouvoir, de sa conquête et de son exercice. Il rejoint là Max Weber[3] qui écrivait : « Par conséquent, nous entendons par politique l’ensemble des efforts que l’on fait en vue de participer au pouvoir d’influencer la répartition du pouvoir, soit entre les États, soit entre les divers groupes à l’intérieur d’un même État. » Comme nous avons écarté « les politiques », mettons de côté « la politique » pour ne nous intéresser qu’au « politique », tout en ayant une grande conscience de ce que « le politique » ne peut pas exister sans « la politique », préalable à toute action, à tout « politique ».

 

Reste donc « le politique ». Lorsque Paul Ricoeur dit que le politique structure l’action en commun, il montre bien que lorsque nous parlons « du politique » nous voulons faire allusion à des actions. Ces actions, dans le cadre de la gouvernance mise en place notamment par le président de la République, ont pour but de structurer la société par un système de normes qui vont permettre de vivre ensemble et de mettre en œuvre en commun des actions visant à améliorer la situation des citoyens. Il s’agit donc d’œuvrer en faveur du bien commun et, comme l’indique Paul Ricoeur, « nous n’atteignons le bien commun que par le compromis entre des références fortes mais rivales ». Le travail du politique (autant le concept que l’homme – ou la femme) est donc de faire en sorte que s’établisse et fonctionne un dialogue entre les différentes parties prenantes existantes autour du projet qui génère l’action. Cela pose la question, double, du rapport du citoyen aux autres citoyens (plus généralement aux Autres, à l’Autre) et à l’État. Ce qu’indique Jean Leca[4] : « Je pense que la politique s'enracine dans la chose la plus profonde de l'existence humaine, que la conscience humaine ne peut se forger que dans un espace d'interaction avec les autres, parce que les humains n'existent qu'en tant qu'ils se parlent, et non pas en tant qu'ils parlent de quelque chose. » De son côté Cornélius Castoriadis[5] montre l’importance de ce dialogue (évoqué plus haut) lorsqu’il écrit : « L’intérêt du tyran est d’empêcher la création, indépendamment de lui, de liens très forts entre les gens, ce qui pourrait favoriser la lutte contre son pouvoir et, en tout cas, établir dans la société un centre de référence qui lui échappe. » En somme, pour régner le tyran doit briser les amitiés, briser les partis, anéantir les « collectifs » et les associations de citoyens.

Pour un gouvernant, un des moyens pour briser les liens entre les gens c’est de parcelliser le traitement des problèmes que la société rencontre et fait remonter vers lui, comme Emmanuel Macron l’a fait en diabolisant les Gilets Jaunes (parias violents qui voulaient détruire la société) sans jamais évoquer la situation génératrice de la « révolte » ou à l’opposé en proposant un traitement de faveur aux agriculteurs desquels il a cédé devant toutes leurs revendications mettant alors dans une opposition très vive entre les agriculteurs et les « écologistes », sans jamais mettre en analyse les éléments structurels et systémiques fondateurs de cette « révolte » particulière. Sommes-nous alors dans « le politique » ? C’est-à-dire est-ce qu’Emmanuel Macron met en place « un ensemble de structures induites des relations d’autorité et d’obéissance établies en vue d’une fin commune : au moins que le groupe n’éclate pas », ou pour reprendre le Ricoeur, est-ce qu’Emmanuel Macron organise les conditions d’émergence d’un compromis, entre des références rivales, afin d’atteindre le bien commun ? Dans le cas des manifestations d’agriculteurs on voit bien qu’il n’y a pas eu de recherche de compromis au cœur de la pluralité de la société et que bien au contraire Emmanuel Macron a cédé aux revendications des agriculteurs en écrasant non seulement les demandes des « écologistes » en ne satisfaisant essentiellement que les revendications du syndicat agricole majoritaire, et en renonçant à des lois qui avaient été votées[6] mais aussi en écartant les demandes des consommateurs qui aspirent, par exemple, à une alimentation saine dépourvue de toute trace de pesticides. Le cas des Gilets Jaunes, essentiellement marqué par la brutalité de la répression policière, nécessiterait de longs développements, inopportuns ici, montre la volonté d’Emmanuel Macron, amplement suivie par la caste journalistique des télévisions, de montrer à la partie la plus aisée de la population (pour ne pas dire la plus riche, en tout cas celle que l’on peut classer comme possédante) qu’il était là pour la protéger (elle et ses biens) contre une « horde de barbares » qui faisaient parler la violence plus que les mots, qui avaient osé s’attaquer à un symbole de la République : l’Arc de Triomphe, qui avaient menacé un ministre en forçant sa porte avec un engin de chantier… Certes il avait organisé un débat, un « Grand débat national », dont il n’est pas ressorti de mesures susceptibles de réunir les gens[7] dans un projet de société ; tout au plus quelques actions parcellaires et dissociées les unes des autres ont vu le jour mais sans doute était-ce là la conséquence de ce type de débat qui voulait recueillir une parole multiple et surtout dispersée. Par exemple, à l’issue du débat il fut décidé qu’aucune fermeture d’école ou d’hôpital se ferait sans l'accord du maire, c’est une mesure plutôt une promesse qui a très rapidement fait long feu puisqu’on a continué à fermer des lits pendant l’épidémie de COVID et à fermer des écoles notamment en milieu rural souvent de façon insidieuse en faisant d’année en année diminuer le nombre de classes[8]. On voit au-delà des intentions qu’il y a quelque chose qui ressemble à une politique publique mais qui ne va pas dans le sens « du politique » : c’est-à-dire le bien commun. Il y eut aussi la création d’une Convention citoyenne sur le climat et la constitution d’un Conseil de défense écologique et l’on sait la faiblesse de l’engagement du président de la République par rapport aux propositions de cette convention citoyenne sur le climat, de la même façon on a pu observer la façon dont le président de la République, notamment après les manifestations des agriculteurs, tourne le dos aux préconisations du Conseil de Défense Écologique, là on voit l’absence d’une véritable volonté d’aller, par une politique publique cohérente, vers le compromis entre les forces rivales qu’évoque Paul Ricoeur : tout est mis en œuvre pour conforter les agriculteurs contre « les écologistes ». Dernier exemple celui du prélèvement direct des pensions alimentaires non versées qui a bien été mis en place, mais cela suffit-il à organiser les conditions de mieux-être des citoyens au-delà de la seule catégorie de ceux qui perçoivent une pension alimentaire ? Au moment où le président de la République parle du réarmement démographique, Ce dernier exemple illustre l’absence d’un cadre dont on pourrait dire qu’il relève « du politique » et constitue une véritable politique publique. Seules les mesures liées au « pouvoir d’achat » des citoyens semblent aller dans le sens du bien commun, pour autant y a-t-il de la cohérence ? Ces mesures en faveur du pouvoir d’achat, distribuées comme une poignée de cacahuètes, masquent la réalité des laissés-pour-compte avec les mesures de restriction de l’indemnisation du chômage RSA. Quoi qu’il en soit sans doute peut-on parler, en ce qui concerne les mesures prises en faveur du pouvoir d’achat parce que plus nombreuses et « mieux ciblées », de la mise en place d’une politique publique si nous calons notre analyse sur la définition que donnent Yves Mény et Jean-Claude Thoenig : « une politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action gouvernementale dans un secteur de la société ou un espace géographique ». Mais avec ces exemples on voit bien que « le politique » n’est pas l’œuvre dans la mesure où ces actions en elle-même ne constituent ni un programme ni une stratégie visant l’intérêt général (le bien commun).

Loin du Grand Débat National, avec l’accession de Gabriel Attal à la fonction de Premier ministre on observe un curieux jeu politique se mettre en place. Voix de son Maître ou clone du Maître, ce jeune Premier ministre ayant déjà expérimenté la stratégie lors de son très court mandat de ministre de l’Éducation nationale, annonce chaque jour des mesures pour répondre à un fait, notamment si le fait a été rendu public par la presse. Mais ces mesures sont détachées de tout contexte, hormis celui de faire parler de soi et de répondre (en bon père de famille) à une émotion, et elles n’ont d’ambition que de poser un pansement sur une plaie alors que c’est l’organisme entier qui est malade. Prenons l’exemple de la Taxe Lapin censée lutter contre le phénomène des rendez-vous médicaux non honorés ; l’annonce en fut faite sans détail : montant, percepteur de la taxe… et déjà quelques semaines après on n’en parle plus. Autre proposition pour lutter contre les « déserts médicaux » : « Les infirmiers pourront ainsi apporter une première réponse pour que les médecins se concentrent sur les cas essentiels[9] » et à côté des infirmiers le Premier ministre envisage les sages-femmes et les dentistes (il oublie les vétérinaires), on manque de médecins qu’à cela ne tienne on confie le travail à d’autres catégories de personnes, cette mesure est dans la même veine que la réponse faite pour enrayer la saturation des services d’urgence : on ferme l’accès aux urgences et on confie au SAMU la régulation des cas sans se préoccuper de savoir si à l’extérieur il y a une réponse possible, pire des services d’urgence continuent de fermer. Le temps pour obtenir un rendez-vous chez un médecin spécialiste est trop long alors on supprime le « passage » chez le généraliste sans voir que la demande va augmenter faute de régulation et sans doute parce que des gens iront vers le spécialiste alors qu’ils ne relèvent pas de sa spécialité ou plus simplement que leur pathologie pourrait être prise en charge par un généraliste. Cette mesure est, une fois encore, annoncée sans qu’une analyse ait été faite qui aurait montré que ce délai d’attente est surtout dû au manque de spécialistes ; une mesure tape à l’œil qui ne résoudra rien voire qui aggravera la situation. La problématique de l’offre de soins dépend d’un système qui comprend le nombre de médecins formés (notons que seul le nom de numerus clausus a été supprimé mais que le système existe toujours puisque le nombre « d’apprentis médecins » est fonction du nombre de lits et des praticiens capables de les accueillir, ce n’est plus l’État qui fixe le nombre mais chaque université), outre le nombre il y a les conditions de travail qui ne peuvent plus être celles du temps de ma jeunesse (il y a 50 ans) où la journée d’un médecin allait de 8h à 20 voire 21h sans compter les appels de nuits et la semaine allait du lundi au samedi inclus, aujourd’hui les gens ne veulent plus de ce régime, mieux, beaucoup souhaitent du « temps partiel », si bien qu’il faudrait former au moins 3 médecins pour obtenir un temps plein qui ne fonctionnerait même pas comme à « l’ancienne ». À l’heure où le loisir et le plaisir l’emportent sur le travail qui devient un accessoire à la vie alors qu’il fut un temps où il en était la valeur cardinale, toutes ces conditions sociétales sont négligées dans les analyses au profit de mesures en forme d’annonces à sensation pour les médias notamment télévisuels. Nous pourrions faire la même démonstration avec la réforme du recrutement et de la formation des enseignants du premier degré qui méconnaît totalement la réalité du terrain notamment les conditions de rémunération et de travail. Comment espérer faire venir au métier d’enseignant de disciplines scientifique pour un salaire qui ne dépassera pas 3000€ en fin de carrière (40 ans devant des élèves) des jeunes qui avec un MASTER2 peuvent être embauchés dans une entreprise entre 3000€ et 5000€, avec une possibilité d’une belle progression de carrière. Nous pouvons ajouter tout un tas de mesures à l’allure de clochette pour attirer l’attention : groupes de niveau que tous les pays ont abandonnés, redoublement qui existe déjà mais dont on sait dans le monde entier les effets limités quand ils ne sont pas néfastes, uniformes qui, quand il ne correspond pas à une tradition, ne sert à rien en tout cas pas à gommer les inégalités sociales, internat dont l’effet principal n’est que d’éloigner le jeune de son territoire de vie et qui ne règle rien de ses comportements, de son aptitude et de son engouement pour les apprentissages et la vie scolaire… L’École souffre et ne fonctionne pas bien au regard de ce que la société semble attendre d’elle, mais s’interroge-t-on sur ce qu’on attend de l’École. Là encore cette longue litanie de mesures clochettes montre qu’elles ne sont affichées que pour capter le regard des électeurs mais pas pour régler les problèmes de la société et amener du bien commun, comment le pourraient-elles alors qu’elles sont déconnectées de toute analyse de la source des faits que le politique voudrait régler. On pourrait augmenter cette liste avec les annonces relatives à la lutte contre la violence, contre le narcotrafic, sans oublier les mesures qui peuvent être plus dangereuses qu’efficaces comme le devoir de visite des pères… Faut-il alors se satisfaire de la sentence d’un autre de nos présidents de la République pleins de génie, le président Henri Queille qui aimait à dire que « la politique n’est pas là pour résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent ».

 

Macron et Attal égrainent les mesures diverses qu’ils appellent réformes, comme un enfant enfile des nouilles sur un fil ; mais un collier de nouilles ça n’est qu’un collier de nouilles, plus de nouilles à consommer, pas non plus un bijou chatoyant. Alors, comme la mère de l’enfant, les électeurs macronistes sont satisfaits, leur ego est rempli de joie ; mais les autres ne voient dans le collier de nouilles qu’un fils et des nouilles. Or, gouverner c’est faire le bien commun, c’est-à-dire réunir dans un compromis l’ensemble des citoyens en traitant les situations sociales et sociétales dans la totalité du champ chacune. La tâche est ardue, Philippe Meirieu[10] le rappelle dans son livre lorsqu’il dit qu’il faut satisfaire à la fois bien plus qu’en même temps des sensibilités, des demandes (parfois complètement divergentes) et des électorats. C’est bien dans la prise en compte du caractère divergent des demandes et dans une tentative de satisfaction de ces demandes que se construit le compromis évoqué par Paul Ricoeur[11] , ce qui exige la mise en place d’un véritable dialogue ce que le président de la République tout comme son premier ministre semblent incapables de bâtir, le récent voyage Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie témoigne encore de cette incapacité voire cette incompétence à dialoguer c’est-à-dire à partager avec l’Autre (sur ce sujet il y a matière à conduire analyse psychologique de ces deux hommes et de leur façon de manager). Dans son livre Révolution le président de la République annonçait qu’aucun obstacle ne l’empêcherait d’avancer ; au vu de sa pratique politique et managériale on peut légitimement se demander si ce n’est pas « lui » le principal obstacle qu’il rencontre sur sa route. Il est à se demander si Emmanuel Macron comprend ce qu’est la démocratie. Certes, comme Gabriel Attal il la brandit à chaque tournure de phrases, comme une ponctuation qui lui permettrait de s’installer face au public en pater familias seul détenteur de l’autorité et du savoir au sein de la maison ; en somme comme Jupiter il dit, on l’écoute, il impose car il est le seul maître de tout ce qui vit sur la terre comme il est le seul maître de tous les autres dieux. Mais il oublie la réalité de ce qui est une démocratie que rappelle Dominique Bourg[12] : « Rappelons-le, la démocratie ce n’est pas seulement le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple, selon la célèbre formule d’Abraham Lincoln. C’est en premier lieu la conscience de l’irréductible pluralité du peuple lui-même, en termes de style de vie, de jugement de valeur, de sensibilité, de spiritualité, d’intérêts économiques, etc., et, partant, la garantie de l’expression de cette pluralité, l’institution de principes qui la protègent et la transcendent, qui permettent et orientent le vivre ensemble, avec au premier chef le refus des abus de pouvoir, d’où qu’ils viennent, de l’État aussi bien que du marché. » Bien sûr l’individualisme effréné que connaissent nos sociétés occidentales ne facilite pas la tâche des hommes politiques et la mise en place « du politique ». Et Dominique Bourg ajoute : « Pour autant que les politiques publiques des états démocratiques visent le bien-être général, chacun est juge de leur réussite. Toutefois pousser à leurs limites, ces logiques rendent a priori toute forme de gouvernement illégitime, pour la simple raison que l’on pourrait en dire : « je ne saurais m’y reconnaître totalement. Le gouvernement est illégitime parce qu’il ne fait pas, ou pas en totalité, ce que je voudrais qu’il fît. » Il est donc impérieux pour un président de la République et un Premier ministre de se rappeler qu’on ne fait pas sociétés seulement avec ceux que l’on connaît qui nous ressemble et qui partagent nos valeurs, on fait société avec le grand nombre notamment avec ceux qui sont éloignés de nous. Ce n’est donc pas en égrainant des mesures ponctuelles, en voulant maintenir sa position à tout prix, en négligeant les autres voire en les dressant les uns contre les autres et en n’écoutant que soi que l’on arrive à bâtir un compromis, cette pratique[13] empêche d’aboutir à une position moyenne qui finit toujours par se manifester dans le cadre d’un dialogue, même si des positions minoritaires apparaissent immanquablement aux extrêmes. Bien sûr, le marketing politique représenté par les mesures clochettes est de nature à assurer une popularité mais celle-ci est assise sur des malentendus profonds alors que « le politique », art de trouver le compromis par le dialogue, permet de fournir des perspectives claires aux acteurs de la société. Si Macron et ses clones avaient un peu de culture ils auraient lu Hannah Arendt pour qui il n’y a politique (« du politique ») que là où se manifeste une différence entre un espace où les hommes se reconnaissent les uns les autres citoyens, se situant ensemble dans les horizons d’un monde commun, et la vie sociale proprement dite où ils font seulement l’épreuve de leur dépendance réciproque, cela sous l’effet de la division du travail et de la nécessité de satisfaire leurs besoins.

 

Récemment dans une interview Laurent Fabius déclarait[14] : « Il y a malaise démocratique à la « base » comme au « sommet ». Nous en parlons parfois avec mon collègue Alain Juppé. Nous avons choisi à peu près au même moment de nous engager jeunes dans la vie politique parce qu’il y avait des idées fortes à porter. Nous aurions pu opérer d’autres choix de vie et nous ne regrettons pas celui que nous avons fait. » Quelles idées fortes nous proposent Emmanuel Macron ? Rien ! Seulement des mesures clochettes qui n’ont pour objectif que de rassembler autour de lui ses affidés, soumis comme rarement ce fut le cas dans notre pays notamment chez les parlementaires, qui ont pour mission de le réconforter ou de le conforter dans sa démarche, ou les deux. L’idée-force Emmanuel Macron, et c’est sans doute le sens du titre de son livre : Révolution, c’est de transformer la France en un pays soumis, extrêmement soumis, aux forces du monde de la finance. Nous avons oublié que révolution a un double sens : celui du bouleversement d’un état donné, celui d’une course en cercle pour revenir au point de départ ; c’est ce deuxième sens qu’a choisi Emmanuel Macron en entraînant la France dans une course folle qui la ramène à des positions et à des situations sociales qu’elle avait au milieu du XIXe siècle, des illustrations se trouvent dans la réforme des retraites, dans la quasi-suppression des allocations-chômage, dans la destruction du Code du travail, dans les fermetures de lits d’hôpitaux, etc.

 

A trop agiter de mesures clochettes pour attirer le regard sur lui, le roi finit nu et seul.

 

[1] Emmanuel Macron, Révolution, XO éditions, 2016, augmenté en 2017 du discours cité plus haut.

[2] Béatrice Bonfils – Mabilon, Bruno Étienne, la science politique est-elle une science.

[3] Max Weber, le savant et le politique.

[4] Jean Leca et al.,“Le politique comme fondation”.

[5] Cornélius Castoriadis, la cité et les lois, ce qui fait la Grèce.

[6] Par exemple la loi agriculture supprime l'article du code rural qui prévoyait un pourcentage minimum de terres cultivées biologiquement ; de la même façon le gouvernement a renoncé à la protection des haies… Voir Le Monde : Loi agricole : les objectifs de surfaces en bio effacés du code rural (lemonde.fr)

à l’heure où je vais mettre en ligne cet article un passage sur le média en ligne REPORTERRE nous apprend : « Après avoir supprimé un objectif chiffré pour l’agriculture bio, le gouvernement a rétropédalé, le 21 mai. « Je plaide la bonne foi et le droit à l’erreur, d’ailleurs collective », a reconnu le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. » Les députés votent (enfin) des avancées pour l’agriculture bio (reporterre.net)

[7] Deux documents peuvent illustrer mon propos « Le bilan du grand débat en six questions sur le site du journal Le Monde (Le bilan du grand débat en six questions (lemonde.fr) ; Une infographie introduite par ces propos : « En avril dernier les trois mois du Grand Débat se sont clos sur l'annonce de 30 mesures par Emmanuel Macron. Huit mois plus tard, pour l'anniversaire du mouvement des « gilets jaunes » les Echos font le bilan de ces promesses. » Les Echos – Où en sont les promesses issues du Grand Débat

[8] Relevons le mensonge porté par cette proposition : l’Etat ne peut ni ouvrir ni fermer une école, les écoles étant de la seule responsabilité des communes. L’action de l’Etat est plus insidieuse : il supprime des postes d’enseignants ce qui entraine la suppression de classe.

[9] Déclaration de Gabriel Attal.

[10] Philippe Meirieu, La Riposte (2018).

[11] Paul Ricoeur, « nous n’atteignons le bien commun que par le compromis entre des références fortes mais rivales ».

[12] Dominique Bourg, Politique par gros temps. Du caractère important comptable du politique, Cités, 2018.

[13] « Le candidat d’En Marche a fait du pragmatisme le cœur de son programme et de sa démarche. […] Au-delà de l’usage politique du terme, valorisant la portée pratique des idées davantage que leur appartenance passée à un arsenal idéologique donné, Emmanuel Macron fait référence à une tradition de pensée née aux États-Unis au tournant du XIXe et du XXe siècle. » La Croix, Béatrice Bouniol, le 02/05/2017. Mais, tout le monde n’est pas le philosophe Charles Sanders Peirce, et « le politique », même s’il peut s’en inspirer, n’est pas la philosophie.

[14] Le Monde, 7 mai 2024.


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