Considérations musulmanes

par Alain Malcolm
samedi 2 décembre 2023

 

1. "Allahou akbar !" Le Dieu est grand !... Cette exclamation à la fois glorieuse et funeste, selon les perspectives (et il n'y en a pas que deux) se tient philosophiquement. En effet, le Dieu ne peut être que grand dans la philosophie islamique et plus généralement monothéiste, puisqu'il est le Dieu exclusif, parfois défendu pour seul et unique quoi que la Bible le laisse barboter vindicatif et jaloux dans un univers polythéiste où, au mieux, il est vénéré par les Hébreux de manière hénothéiste - c'est-à-dire dédicative. Que le Dieu soit grand, c'est quelque chose d'affirmé aussi dans l'Europe médiévale par Anselme de Canterbury, un théologien et philosophe chrétien du XIe siècle, cf. l'argument ontologique pour l'existence de Dieu dans son Proslogion : "Dieu est cette réalité telle que nulle plus grande ne puisse être pensée." Enfin on est loin du concours de bites djihadiste, cela dit...

 

2. Y'en a des bien !... Cette exclamation vaut à plusieurs titres selon les perspectives, mais je pense particulièrement d'un côté aux non-musulmans eut égard aux musulmans, et de l'autre aux djihadistes eut égard aux musulmans et autres (oui parce que des victimes musulmanes, les djihadistes en font aussi ces cons - et pas qu'en Europe).

 

3. Le Qur'an islamique, best-seller mondial après la Bible judéo-chrétienne, n'est pas plus un must que la Bible, sauf pour les croyants qui aiment la lecture, or ils sont peu nombreux finalement à avoir lu l'ensemble des textes concernés. Dans cette espèce de troisième testament après le Tanakh juif (Bible hébraïque) et le Nouveau Testament chrétien, on apprend qu'"il vaudrait mieux être musulman" - selon les propos que Muhammad "béni soit son nom" aka Mahomet, prétend rapporter du Dieu par l'intermédiaire de l'archange Jibril - plus connu sous le nom de Gabriel sous nos latitudes. C'est-à-dire que dans cette version monothéiste (d'ailleurs compilée 20 ans après la mort de Mahomet à partir de diverses récitations mémorisées oralement, sous le troisième calife Uthman ibn Affan (pour l'anecdote on avait de la mémoire à l'époque, y compris sur une telle période, quoi que notre calife eut des doutes en écoutant divers récitateurs, mais il a bien fallu que Mahomet passe du temps à re/formuler avec les premiers...))... selon cette version monothéiste du Qur'an - disions-nous - les chrétiens et les juifs sont des retardataires, tout comme les juifs sont des retardataires pour les chrétiens (en dehors des juifs messianiques bien entendu, passons) ; mais quant aux chrétiens, le Qur'an répète pourtant que Isa - plus connu sous le nom de Jésus sous nos latitudes - reviendrait dans la perspective d'une Fin des Temps supposée par les mythes monothéistes.

 

4. Il vaut mieux être musulman, dit le Qur'an, mais les gens du Livre (c'est-à-dire les juifs et les chrétiens) sont pas trop mal quand même. Mieux que "les autres", quoi qu'on soit régulièrement tenté de les combattre - juifs et chrétiens - selon la sourate envisagée, sans même parler "des autres", voire d'en faire des citoyens de seconde zone (ce qu'on fit dans l'émirat de Cordoue en Al-Andalous hispanique en vérité, loin de l'âge d'or tant vanté par la vulgate même académique, cf. Serafín Fanjul). Mais on peut très bien vivre parmi "ces autres" et encore mieux parmi les gens du Livre, quand on est musulman. Enfin... gare à ce qu'il n'y ait pas d'hostilité : dans ce cas l'autodéfense est préconisée sous diverses formes plus ou moins déterminées, et puis d'ailleurs "la meilleure défense, c'est l'attaque" pour l'islamité aussi. La guerre est possible, sinon la fuite selon les rapports de force, mais si la dissimulation (taqiyya) est nécessaire on est en droit de la pratiquer : ça, ça vient du chiisme pour commencer et c'était pour protéger ses adeptes... des sunnites ! donc d'autres musulmans avant tout... Autant vous dire que les mecs ont de quoi être cachottiers, comme tous les monothéistes d'ailleurs...

 

5. Borderlines sont ces guerres de religion proche-orientales avant les guerres de religion de la Renaissance européenne, guerres à la racine-même de l'islamité, avant les développements protestants de la chrétienté : c'est du génie. Génie du Mal probablement selon la théodicée, mais en fin de compte c'est de toute dynamique des groupes de diverger surtout à ces échelles de nombre et de temps - où les doctrines monothéistes prêtent le flanc à la détresse borderline, puisqu'elles ne sont pas censées diffracter le Dieu exclusif, présenté comme seul et unique : c'est contradictoire et ça fait mal à la tête. Certes les débuts de la chrétienté (à l'époque de la naissance de l'islamité) étaient gratinés déjà aussi, entre futurs chrétiens catholiques et chrétiens ariens, nestoriens, pélagiens, etc... la judaïté, elle, s'étant "contentée" de différentes sectes sans "trop" s'entre-tuer - pharisiens, esséniens, nazaréens, etc. - peut-être par instinct de survie, vu son petit nombre... et quoi que les nazaréens devinrent les chrétiens en général, et les "bonnes" gens du Livre chrétiennes selon l'islamité en particulier.

 

6. Bon donc il vaut mieux être musulman selon "le troisième testament" islamique, ce qui est de logique progressiste parce que selon le progressisme tout ce qui arrive est mieux que tout ce qui est déjà arrivé, je veux dire : si et seulement si ce qui arrive, est nouveau par rapport à ce qui arriva... Et donc la logique prédilective de l'islamité est finalement nationaliste, à supposer que ce concept puisse être appliqué à une religion. Or il le peut : les juifs avaient inauguré le nationalisme religieux dans un contexte polythéiste, où les nations avaient chacune leurs Dieux favoris - quoiqu'ils pussent circuler dans leurs genres interculturels. Pas chez les juifs, nationalistes religieux, en quoi les musulmans sont dans leur veine directe. Mais l'Eglise comme l'Oumma se veulent universalistes, quoi que l'islamité ait une dimension ethnique plus marquée avec ses modes vestimentaires, par exemple. Et pourtant les leaders monothéistes, surtout judéo-chrétiens, ont tendance à dire que leur religion parle aux consciences avant tout, en ajoutant que toutes les cultures devraient s'incliner consciencieusement. Moui... Il faut être "franchement faux" pour ne pas voir l'impact culturel qu'ont les croyances sur les cultures : les croyances sont des moteurs attitudinaux dans leurs genres, or quand les croyances ne sont plus religieuses elles peuvent toujours en être des évolutions telles que l'humanitaire occidental de déroulement métachrétien (au-delà du christianisme). C'est d'ailleurs parce que l'humanitaire occidental est métachrétien, que les juifs et les musulmans peuvent y prospérer et que les radicaux voire les djihadistes y répugnent - à l'humanitaire occidental. De fait, sa déréligion lui fait perdre toute espèce de vigueur morale, et même s'effrayer de toute espèce de vigueur morale... mais l'hystérie des borderlines radicaux voire djihadistes n'a en réalité aucun rapport avec la vigueur morale : c'est une mélodramatique parodie du courage, exactement comme dans les Justes d'Albert Camus, qui pourtant mettait en scène des anars : autant de narcissismes défaillants, animeux jusqu'à l'émeute sur la base des territorialités réelles - Sion, la Mecque, etc. - et imaginaires - la conquête des esprits). On parle quand même d'une vaste religion - le monothéisme - issue des polythéismes proches et moyens orientaux, où le Déluge se retrouve chez les Sumériens des millénaires auparavant (sans preuve historique géologiquement viable) ainsi que des schémas narratifs évoquant la quaternité du Dieu, d'Adam, d'Eve et du Serpent en forme de Dieux divers avec amants adultérins. On comprend soudain que ça chiffonna certaines consciences, que leur Favori soit trompé... alors que porter des cornes (être cocu, quoi) est la fatalité maritale la plus courue qui soit (c'est le cas de le dire) au point qu'il s'agisse d'une banalité (d'ailleurs fatalité et banalité ont la même racine étymologique). Le (ou la, d'ailleurs) cocu(e) doit-il(elle) sérieusement en faire un plat ? N'était-il(elle) pas au courant en se mariant ? N'a-t-il(elle) pas accepté "les risques du métier" en signant ?... Aussi les vexés cherchèrent-ils à instaurer, avec le monothéisme, un régime anti-fatalité/anti-banalité. C'est-à-dire un régime impossible à vivre : on l'observe tous les jours dans les pays pratiquant la shari'a de manière hystérique, puisque les femmes n'ont pas de vie - ou une vie très pourrie disons, or il fallait vouloir la leur pourrir, "astaghfirullah !"... Des juifs aux musulmans tout est normal, logique, continu : il n'y a pas de rupture.

 

7. "Des juifs aux musulmans tout est normal, logique, continu : il n'y a pas de rupture"... les guénoniens applaudiront avec les otaries. Malgré son respect et même son honneur eXotérique (pour les pratiques rituelles diverses) Guénon ne voulait voir qu'une seule et unique Tradition de Premier Ordre dans toutes les religions et cultures traditionnelles, ce qu'il nomma Tradition Primordiale de ce qu'elle viendrait spirituellement de la seule et unique métaphysique surconsciente, propice à accomplir tout un chacun du moment qu'il en présente les dispositions éSotériques. Il faut néanmoins remarquer que le Mélchisédech juif, "Roi du Monde" selon Guénon (c'est-à-dire à la croisée des autorités spirituelles et temporelles) et le Al-Khidr musulman (auquel Guénon compare symboliquement Mélchisédech pour faire le pont entre judaïté et l'islamité) diffèrent narrativement : Mélchisédech n'est pas immortel comme Al-Khidr, la Bible ne mentionne pas de connaissance éSotérique à son sujet contrairement au Qur'an à propos d'Al-Khidr, Mélchisédech n'est pas décrit pour avoir une démarche énigmatique contrairement à Al-Khidr, et il ne protège pas les voyageurs contrairement à Al-Khidr. Guénon force donc deux traditions à cadrer avec une supposée "Tradition Primordiale". Mais même sans Guénon on peut très bien voir que si les juifs subissent la diaspora et qu'ils sont errants par les contrées, ce sont des voyageurs, donc sous la protection d'Al-Khidr (du moins sous un angle religieux compréhensif). D'ailleurs Isa dans la tradition chrétienne, a toutes les caractéristiques d'Al-Khidr - et bien plus. Reste qu'il est vrai, la judaïté est culturellement marquée par son sémitisme et, bien que sémite, l'islamité est doublement lointaine-orientalisante et sub-africanisante du fait de son expansion aux Indiens et aux Noirs-Africains (la chrétienté n'est pas en reste, par exemple avec la santa Muerte centrale-américaine).

 

8. Les musulmans sont des juifs universalistes, mais revêches et hargneux eut égard au narcissisme des petites différences, certes comme tous les monothéistes - surtout quand ils sont universalistes (donc sinon, en dehors de l'islamité : chrétiens). Le complotisme de l'effacement du nom de Mahomet est présent, qui recherche des cachotteries chez les juifs et les chrétiens... il faut dire, les Hébreux ont dû surprendre tout le monde dès qu'ils songèrent que les polythéismes étaient faux - ce qui implique un complotisme en matière nationale - et les chrétiens surprirent les juifs quand ils prétendirent que le Dieu venait de s'incarner en Yeshua - plus connu sous le nom de Jésus sous nos latitudes - en radicalisant la dualité du Diable et du Bon Dieu : encore un complotisme en matière de morale. Les musulmans, complotistes en matière religieuse, sur cette suspicion de cachotteries juives et chrétiennes, devinrent pinailleurs, emboîtant allègrement le pas des exégèses juives et chrétiennes sans discontinuer (toujours ces narcissismes animeux émeutiers, à tourner aux guerres de religions pour de petites différences insupportables, eut égard à l'idée d'un Dieu exclusif affirmé seul et unique : la moindre convection au miroir, la moindre égratignure, rendent ombrageusement borderline jusqu'au fanatisme - mais le monothéisme est naturellement intrafanatique dans son effort pour persévérer dans l'être, même laïc). Aussi les musulmans font-ils des cachotteries aussi (en plus de leur taqqiya chiite anti-sunnite) manifestement avec l'imam caché de la tradition chiite, que les sunnites partagent de manière plus folklorique, imam caché et qui fait concurrence au retour d'Isa à la Fin des Temps supposée par les mythes monothéistes. Fin des Temps supposée où, selon le livre de l'Apocalypse biblique, les tribus d'Israël devraient régner sur le monde... Ça va au-delà toutefois, puisque culturellement dès les temps polythéistes l'organisation sociale était durement stratifiée, à devoir cachotter... M'enfin, tous les psychanalystes le disent : quand les non-dits sont trop grands, les explosions passionnelles menacent. C'est la juive Hannah Arendt, écrivant Du Mensonge à la violence - ou le musulman Alî Sharî'atî, écrivant Fatima est Fatima.

 

9. Si c'est autant le bordel dans le monothéisme, c'est paradoxalement parce qu'on voulait que ça ne le soit pas avec la doctrine du Dieu exclusif, présenté comme seul et unique. Etrangement, la foison des mythes polythéistes est mentalement moins éprouvante que toutes les arabesques monothéistes. D'ailleurs les mythes polythéistes ouvrent sur la diversité de l'expérience, là où ces arabesques s'éreintent sur la sainteté, certes culturellement diffractée en diverses formes d'arts et de narrations locales. Mais la sainteté monothéiste reste LA sainteté, là où LES sacralités polythéistes laissaient respirer le croyant. Dans la sainteté, le croyant doit se contrir et s'efforcer dans la foi. En dehors de la sainteté, les monothéistes le ressentent déjà, la vie est plus déliée - alors imaginez dans les polythéismes où la question de la mé/créance n'est même pas vraiment un problème... quoi que l'athéisme suscita toujours certaines réticences, comme si l'athée était un freak spirituel, une bête de foire. Or il y a une sainteté même après les croyances religieuses, la métasainteté de l'humanitaire occidental métachrétien où toutes les formes de militances, de politiques et d'éruditions, jouent la comédie de la sainteté laïque, Macron en chef.

 

10. Si le Zarathoustra de Nietzsche a pu sembler si mystique, c'est parce que Nietzsche crut nécessaire de jouer la comédie de la sainteté laïque.

 

11. Il n'y a pas d'apostats dans la perspective des apostats, car ils ne sont apostats qu'aux yeux de leurs ex-coréligionnaires : du moment qu'ils ont apostasié, ils ne le sont plus. En effet l'apostasie est une notion religieuse or, si l'on ne croit pas, ou plus, on n'est pas ou ne peut plus être, un apostat à ses propres yeux. De même : il n'y a de blasphème que pour les croyants ; l'incroyant ne peut pas blasphémer, par définition, puisqu'il n'accorde aucune sainteté à ce qu'il détourne ou caricature #JeSuisCharlie. S'en prendre donc aux "apostats" et aux "balsphémateurs", c'est du zèle et de la jalousie : même racine étymologique. Enfin c'est tout à fait cohérent avec le Dieu vindicatif et jaloux de la Bible hébraïque, bravo le veau radical voire djihadiste antisémite...

 

12. Comme disait Nietzsche au sujet des églises : il faudrait raser les synagogues, les églises et les mosquées... et y élever des serpents. Tout est dans le final de l'Antéchrist. Livre d'après lequel, nous sommes au début du deuxième mois de l'an 135 de sa nouvelle ère - encore qu'il salua romantiquement la figure exotique bourgeoise coloniale de son époque, du moudjahid : Lawrence d'Arabie, quand tu nous tiens... et de nos jours Reviens Massoud !

 

13. Au moment où j'écris ces lignes, Ahmad, le fils du commandant Ahmad Shah Massoud, aurait bien besoin d'aide au Panjshir afghan. Il y défend l'islamité de l'école hanafite - rationaliste et tolérante - qui, si elle n'en est pas l'héritière, peut convoquer le souvenir du mutazilisme, aussi nommé "Âge d'Or des Lumières islamiques" : avec quoi on sympathise pour ainsi dire, dans un film tel que, au hasard, le Treizième guerrier - plus caricatural avec les vikings qu'avec son héros musulman !...

 

PS. M'enfin, entre Alî Sharî'atî cité tout à l'heure (8) et les Massoud, ne nous étonnons pas trop qu'il existe un islamo-gauchisme.

 

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