« Je vous salue New Agers pleins de grâce... » - une lettre ouverte

par Jérémy Cigognier
samedi 23 décembre 2023

Une déconstruction moderne.


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Je dis cela sans rire, et au pire c'est moi qui suis ridicule : je vous salue, vous êtes pleins de grâce. Mais peut-être pas forcément divine ? Elle peut néanmoins l'être, divine, cette grâce, chez vous. Simple constat car, en effet, votre courant, emblématiquement, fut incarné par Woodstock : féminisme et psychédélisme. Puis, il a pris de l'ampleur sous le coup d'une de ses formes chrétiennes, ces dernières décennies : l'idée d'un Féminin Sacré (qu'on estime qu'il s'agisse d'un sacré féminin ou non) se diffusa sous le coup d'un roman, le Da Vinci Code de Dan Brown, nous retrouvant fictionnellement "la descendante de Jésus-Christ et de Marie-Madeleine" (dénommée Sophie Neveu, vous avez saisi l'allusion ?).

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Mais il y a plus ancien : Jack Kerouac, avec sa beatitude generation singulière précurseure des hippies, mit le premier en scène du "bouddhisme zen christique" sur fond de libération des moeurs. Que cela plaise ou non, le New Age est un libéralisme en matière de morale, imbibé de libertarianisme étasunien (wicca, es-tu là ?) où chacun développe "sa réalité", "sa vérité", "sa personnalité" en quête de délivrances (ou supposées telles) : autant de dynamiques de type Féminin Sacré, puisqu'il s'agit d'accoucher de soi-même... C'est le développement personnel, en somme, sur la base d'une profonde tendresse pour "l'enfant intérieur".

Enfin, reconnaissons-le aussitôt : le New Age est un vaste mouvement d'appropriation culturelle, aboutissant à une vaste transculturalité (doublée de dys-culturations diverses, et même triplée de déculturations, selon les influences, les groupes et les personnes) qui dans son genre, aboutit encore au-delà, à une néo-culture du monde. C'est-à-dire que, de base, les cultures du monde que s'est approprié l'Occident, durant plusieurs siècles d'exotisme colonial et bourgeois, tout en les spoliant... ces cultures du monde, au carrefour de l'Occident et essentiellement au prisme des Occidentaux, ont muté et confusionné.

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Dans l'ensemble et pour tout dire, elles ont acquis une morale chrétienne protestante, sur la base des fantaisies théosophistes de Madame Blavatsky, puis spoliant les travaux plus ou moins spirituels, psychiques et anthropologiques, d'auteurs tels que René Guénon, Carl G. Jung ou Mircea Eliade (qui eux-mêmes ne se gênèrent pas pour amalgamer dans leurs démarches) ; mais, dans le domaine chrétien, il faut absolument mentionner aussi Teilhard de Chardin et son évocréationnisme.

Ces époques étant aux prémisses des sciences modernes, il alla de soi que le New Age s'en tressa aussi, jusqu'aux fantasmes (fondés uniquement sur des fantaisies philosophiques, de scientifiques tels que Niels Bohr à ses heures perdues...) des "thérapies quantiques de la conscience", en fait inspirées de la parapsychologie avant tout, mais détournant même les résultats de la parapsychologie. Rien de "scientifique" là-dedans, donc : au mieux, dans leurs genres, des inspirations artistiques, des accompagnements humains et leurs effets-placebo idoines. Pour un zététicien, ce serait déjà ça, s'il n'y avait pas mille débilités, jusqu'au sectarisme. Toute une agnotologie est ici à l'oeuvre, c'est-à-dire une production sociale de l'ignorance qui porte bien son nom, puisqu'elle sonne comme l'agneau qu'une logique mène (à l'abattoir). Comme quoi, toutes les logiques ne sont pas logiques... un constat quasi-New Age néanmoins non-New Age...

Là où ça devient extrêmement croustillant, si l'on peut dire, c'est lorsque ça dérive vers les Ancient Aliens et autres comparatismes planétaires délirants à travers des dizaines de millénaires, de type Homo reloaded. Le jeu de l'esprit est stimulant pour l'imagination, honnêtement ça procure du plaisir, donc ce n'est pas désagréable, et pourtant ça commence toujours par victimiser le monde, sur la base d'un "on nous trahit, on nous ment, on nous cache tout"... Tout, vraiment ?... Sur le fond c'est toujours de la pruderie post-edenique : chassés du Jardin d'Eden, pauvres pécheurs que nous sommes, nous avons obtenu la Connaissance du Bien et du Mal, du moins c'est ce que nous croyons, et voilà que nous nous lâchons à ce propos à travers (la réécriture de) l'Histoire. C'est une forme particulière de cancel culture, de wokism, plus généralement de révisionnisme, et régulièrement de négationnisme (nous y toucherons en atteignant le point Godwin).

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Cela dit, le New Age ne se veut pas toujours explicitement chrétien protestant, ni même monothéiste, et pourtant il l'est dans l'âme. Bien des musulmans ne sont pas en reste, prêts à croire toutes les légendes qu'on leur fait, pour justifier que le Dieu exclusif aurait envoyé des milliers de prophètes avant leur dernier, à toute la Terre. Ce qui a l'avantage de dire que, "puisque les autres ne furent pas écoutés, il faut bien écouter Mahomet maintenant". Leur storytelling est bon, mais ne soyons pas islamophobes : c'est exactement la même démarche dans tout le New Age (à croire que l'islamisme fut en précurseur, dans la veine monothéiste). Notons qu'il y a une islamique voie de Marie, mariamayyia, inventée par le guénonien divergent Frithjof Schuon (encore un qui contribua au Féminin Sacré).

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Quant au monde de la sorcellerie, il est incroyable de se dire que le féminisme le porte autant, y compris dans des revues telles que Slate. Si bien entendu les ésotéristes hurlent à la caricature contre ces "sorcières", il faut souligner à quel point le New Age a même pénétré les milieux de centre-gauche philosémites, alors que la Bible condamne explicitement cet art. Nous vivons une bien singulière époque. Foutraque. Branchée. En ligne...

Dernière singularité : l'invention nazie, d'un aryanisme suprémaciste blanc venu du pôle nord, sur la base des aryan perses (caste aristocratique, dont le nom servit à désigner le peuplement originaire de la région caucasienne - d'où que les US catégorisent les Blancs de Caucasian race) peut dignement être qualifié de New Age aussi. C'est ainsi que dans les milieux, on trouve des mics-macs à tire-larigot, qui se veulent généralement sympathiques, mais que cette sympathie n'empêche pas de virer au plus glauque possible.

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Tout cela néanmoins pour dire que "faut quand même pas déconner" : le New Age fut une bonne chose pour sortir du patriarcat biblique. En effet, vous n'êtes pas sans savoir que le patriarcat, est une notion radiciellement judaïque, n'est-ce pas ? Elle apparaît dans le Tanakh (Bible hébraïque) sous la forme avot, littéralement pères. Saint Paul, pour ainsi dire fondateur du christianisme, a cultivé ce patriarcat dans la démarche (en cela porté par la genrification méditerranéenne d'époque dont il était tributaire). Le prophète Mahomet n'y a rien changé : on retrouve même la polygynie judaïque, pour ainsi dire établie, dans le Coran.

Quant auxdits "Aryens originaires", plus connus désormais sous le nom d'Indo-Européens - quoi que les Allemands disent toujours, comme au temps du nazisme, quelle frousse ! Indo-Germanen - eh bien, les "Aryens originaires" étaient profondément virilistes, tout comme l'hindouisme toujours courant, et comme les anciennes religions européennes... au sein desquelles, jusque dans les féodalités catholique et orthodoxe, on trouve de sacrées femmes sans complexe (jusqu'à la prédominance ibère de Tanit, en cela influencée par les pré-islamiques et pré-chrétiens Amazighs, plus connus sous le nom de Berbères - en réalité une constellation de clans).

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Alors voilà : je vous salue, New Agers pleins de grâce, car vous avez ce "stéréotype de genre" d'être gracieux comme une sainte dans vos démarches... tout en ne parvenant pas à vous départir, justement, de votre héritage monothéiste hérité instinctivement, comme tant d'autres héritages. C'est de mimétisme animal humain temporalisé, tout à fait naturel, malgré l'évolution des mentalités.

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Cette lettre ouverte était une déconstruction, comme on dit de nos jours.

"Awen."


PS : Je suggère naturellement, les tentatives non-New Age, de renouement avec les anciennes traditions, dont divers entretiens sont disponibles . Plutôt que du néo-traditionnel, du re-traditionnel, comme il est devenu de mode, de se dire "Rebonjour" ou tout simplement "Re- !" familièrement.


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