Un islam institutionnel en France, non plus une nécessité mais une urgence !

par L’Hérétique
lundi 2 octobre 2006

L’islam peut-il être institutionnalisé ? Panorama de l’islam français et considérations sur la place de l’islam dans le paysage politique français.

S’il est bien une difficulté pour le pouvoir politique français, c’est de déterminer l’espace public qu’il peut finalement accorder à l’islam. L’alternative, finalement, est assez simple. Soit l’Etat s’en tient à un strict devoir de neutralité, et considère que l’islam ne relève que de la sphère privée, et, dans ces conditions, ne s’engage ni dans la formation des imams ni dans l’édification des mosquées, soit, au contraire, l’Etat estime qu’il a vocation à tempérer et à orienter, jusqu’à un certain degré, l’islam français.

Dans le premier cas, c’est livrer l’islam français à tous vents, et risquer d’en faire une sorte de no man’s land où peuvent s’affronter les réseaux d’influence les plus divers. C’est aussi la porte ouverte à toutes les surenchères. Dans le second cas, l’Etat français dérogerait à la règle sacro-sainte de la neutralité dans le domaine religieux, et il faudrait alors réfléchir sur la portée et surtout sur la survivance de la loi Combes de 1905 instituant la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Trois tendances se dégagent au sein des mosquées, en France dans les prêches. La première est apolitique, et ne considère le musulman que sous l’aspect moral, prônant une conduite exemplaire. Le dogme en est très conservateur, non subversif. La seconde tendance se veut plus politique, et invite le musulman français à exercer ses droits afin de peser politiquement en France. C’est , au risque d’être réducteur, le positionnement de l’UOIF (Union des organisations islamiques de France) , une branche des Frères musulmans. Si cet islam est très rétrograde sur le plan des moeurs, il n’en est pas moins profondément légaliste, on a pu le vérifier lors des prises d’otages en Irak, puisque c’est ce mouvement qui a envoyé une délégation à Bagdad pour appeler à la libération de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. La troisième tendance voit dans l’islam une fin en soi, et se veut universaliste. L’Etat musulman est l’accomplissement ultime de sa mission, y compris, dans certains cas, par des voies belliqueuses. On discerne clairement dans cette tendance les mouvements salafistes, en droite ligne inspirés de l’idéologie wahabite (l’islam rigoriste pratiqué en Arabie saoudite).
L’affaire Robert Redeker met en évidence une l’urgence pour les pouvoirs publics de trouver un interlocuteur pour tout ce qui touche à la religion musulmane. Cette nécessité n’a pas échappé, heureusement, aux différents ministres de l’intérieur depuis 1997. On peut comprendre ainsi la volonté de Nicolas Sarkozy d’accélérer la constitution d’un Conseil national musulman. En effet, il vaudrait mieux avoir comme interlocuteurs, par exemple, une UOIF furieuse, et prête à acter en justice, que des éléments incontrôlés prêts à toutes les surenchères, voire à toutes les folies. Il existe certes un islam modéré et humaniste, et l’on pense très volontiers à celui de Dalil Boubakeur, le recteur de la Mosquée de Paris. On rêverait d’avoir un islam à l’image de cette vénérable institution (la première pierre de la Mosquée de Paris a été posée le 19 octobre 1922). L’inconvénient, c’est que son audience ne dépasse guère les limites de ses murs ou les milieux éclairés de la capitale.


Bien sûr, elle forme des imams, mais dans des proportions bien inférieures au nombre qui serait nécessaire à la population musulmane de France et à ses 1600 mosquées. La Mosquée de Paris contrôle environ une centaine de mosquées, tout au plus.
L’Algérie, qui finance pour 30 à 40% le budget de la Mosquée de Paris, verrait certainement d’un mauvais oeil l’Etat français prendre pied dans l’organigramme de la Mosquée.

Et pourtant, ce serait cette politique qu’il faudrait désormais générer en France : s’accorder avec l’islam raisonnable, fût-il très conservateur, afin de disposer d’un interlocuteur reconnu. Pour cela, cet islam raisonnable doit aussi disposer de moyens. Il faut donc construire des mosquées, ou, tout du moins, aider à leur édification, former des imams français, cette fois, en passant une convention avec un institut de théologie islamique, ce qui permettrait d’avoir un droit de regard sur l’enseignement dispensé dans cet institut. Evidemment, compte tenu de son ancienneté et de sa tradition, la Mosquée de Paris serait aux premières loges pour une telle mission.

Toutefois, il ne faut pas se tromper de cible : si l’UOIF est bien plus conservatrice que la Mosquée de Paris, elle n’en reste pas moins une force stabilisatrice et, finalement, modérée. Les salafistes se livrent à une véritable guerre sur la Toile contre les autres constituants de l’islam, et au premier chef les Frères musulmans. Les salafistes se verraient bien aller étudier en Arabie saoudite ou encore dans une madrasa pakistanaise ou afghane. Les Frères musulmans ne peuvent évidemment se permettre un conflit ouvert avec les salafistes. En habiles politiques, ils aimeraient une nouvelle répartition des tâches qui cantonnerait les salafis à l’étude des sciences religieuses, eux-mêmes se réservant l’action politique...

A côté des salafis et de l’UOIF, plus discrètement, évoluent les soufis et le Tabligh. Le Tabligh est un mouvement prosélyte et apolitique dont le but est de remettre sur la droite voie les jeunes musulmans. A plus d’un égard, leurs manières de faire les rapprochent des évangélistes protestants primitifs. Ils n’hésitent pas à s’installer dans les banlieues les plus difficiles, à tenter de ramener sur la voie de la religion de jeunes délinquants égarés. Ce pourrait être une noble mission, si le Tabligh n’était pas devenu l’antichambre d’un islam bien plus agressif. En effet, souvent le Tabligh ne fait office que de sas, en particulier, souvent, vers le salafisme, et ce n’est pas l’organisation de visites au Pakistan qui risque d’arranger les choses. Pourtant, le passage de ces prédicateurs d’un nouveau genre contribue à stabiliser, paradoxalement, les cités les plus difficiles, du moins, quand ils y sont, prônant l’abandon des comportements déviants (drogue, alcool, violence, entre autres).

Plus discret, plus mystique, le soufisme est implanté essentiellement au sein de la communauté turque. Il s’organise surtout au sein de confréries éclatées, souvent sans lien entre elles, mais aux pratiques plus libérales et plus ouvertes. Ce serait toutefois une erreur d’opposer islam traditionnel et soufisme. En dehors des salafis, qui les considèrent souvent comme des apostats, les soufis jouissent d’une bonne réputation au sein de l’islam traditionnel.

Zidane Meriboute dans La Fracture islamique, demain le soufisme ? (collection bibliothèque Makbata, chez Fayard) déplore l’absence d’autorité spirituelle au sein de l’islam. Il note que les pires exactions faites au nom de l’islam découlent d’une méconnaissance du droit islamique, et de la profusion de fatwas toujours plus anarchiques. Il exprime l’idée d’un directoire d’imams ou de califes suprêmes, présidé à tour de rôle par l’un d’entre eux pour deux années. L’imam suprême jouirait d’une autorité sans pareille, et serait assisté de muftis compétents afin de l’éclairer pour élaborer des fatwas conformes au droit musulman.
Et il évoque la Maison de la sagesse du calife abbasside Abd Allah al-Mamoun, regorgeant d’oeuvres d’anthropologie, d’histoire, de philosophie et de droit, et disposant d’une équipe de traducteurs et d’interprètes.
Il appartient, bien sûr, aux pays musulmans de mettre en place une telle institution. Toutefois, en attendant, et à notre échelle nationale, bien plus réduite, cette idée a de l’avenir, à condition que le pouvoir politique ait l’intelligence de s’en emparer.

NDLR : Le présent article doit beaucoup, pour ses sources, à La France des mosquées de Xavier Ternisien (collection 10/18).


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