Procès de Charles Onana : « En attendant …… Godot [1] ?

par Bertrand Loubard
mardi 24 juin 2025

« Ce qui garantit de la crainte de se tromper réside non pas dans le secret de la communication, mais bien dans sa diffusion ». Umberto Eco in « La guerre du faux »

 

Le 11 décembre 2024, la 17ieme chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a déclaré l’écrivain-chercheur Charles Onana, ainsi que son éditeur, Damien Serieyx (Éditions du Toucan), « coupables de contestation du crime de génocide », ou « de complicité de contestation de crime contre l’humanité » ou encore « de complicité de contestation publique de l'existence d'un crime contre l'humanité », suivant diverses « sources-titres » de la presse du moment[2]. Cette condamnation intervient à propos d’un livre, « Rwanda, la vérité sur l’opération turquoise » (Paris 2019), qui avait provoqué une plainte de certaines ONG[3] et autres mouvements pro-Kagamé dès 2020. Ce livre fait partie d’une panoplie impressionnante d’ouvrages où Charles Onana développe, depuis 2002, une approche analytique, personnelle et indépendante, de la situation géopolitique dans la région des grands Lacs d’Afrique. Il la remet dans son contexte globale et chronologique, suivant une méthodologie précise et des observations pointues basées sur des documents incontestables, sur son expérience de chercheur depuis près de 30 ans et sur son africanité camerounaise d’origine.

 

Je me suis référé, en liminaire du présent texte, à un extrait de « La guerre du faux » d’Umberto Eco qui, précisément, à travers une compilation d’articles parus dans le presse italienne (de 1963 à 1983), introduit, en quelque sorte, « prémonitoirement », le concept bien actuel (2025) d’« argumentum ad nauseam » qu’est la notion des « fakes news ». Cette notion (remise en permanence en avant, tant à propos de Gaza que de l’Ukraine, que de l’Iran et surtout à propos du Rwanda vs RDC), fait partie, en quelque sorte, de la propagande de guerre  » ou « des modes de production sémiotique »[4] qui justifie indirectement la censure et la limitation de libertés fondamentales[5].

 

Pourquoi, me direz-vous, juxtaposer Umberto Eco, Samuel Beckett et Charles Onana ?

« La diffusion de la communication garantit l’exactitude de l’information que contient cette communication » pour Eco. Pour Samuel Beckett la communication serait : « … tout ce qui pourrait venir donner un sens à une existence …. ». Et selon moi, dans le cas « Charles Onana » : « la condamnation de la communication, communication donnant « consistance » à la vérité que contient sa formulation, est une entrave à la liberté d’expression et donc de réflexion ; la pensée n’ayant de sens que si elle implique la diffusion de son contenu ». L’entre-guillemets, ici utilisé, est une « référence à celui » qu’aurait employé Charles Onana pour invoquer certaines expressions relatives au « Génocide des Tutsi du Rwanda. ». Ce sont ces guillemets, entre autres, qui lui auraient valu sa « condamnation en première instance », comme dit plus haut. (Les condamnations illégitimes du doute ne seraient-elles pas, justement, les preuves de la légitimité même de ce doute ?)

 

Les « faux prétextes pour justifier les vraies guerres » sont légion. Evidemment à propos du Rwanda et du Génocide, il y en a à foison. Je me proposais initialement d’en rapporter, ici, toute une litanie de ces faits plus ou moins connus, pour « illustrer » mon propos. Mais, j’ai, actuellement, décidé de me limiter à ne souligner que les deniers en date et les plus marquants, selon moi, car venant d’Emanuel Macron, Président Français, chef d’Etat Européen, dans l’exercice de sa fonction à propos de deux crises : celle de la « grippe » et celle de la « guerre » : « nous sommes en guerre contre le virus de la covid 19 ….. mais nous ne sommes pas en guerre contre la Russie » (16/03/2020 et 06/06/2024)

 

Dans le cas d’Onana et de sa condamnation, le prétexte (faux ?) serait, comme dit plus haut, entre-autres, dans une question « de taille, de style, de corps, de police, de fonte, et autres types de casses. Ce qui conduit à imaginer que la typographique même, plus que structure grammaticale des phrases, peut, elle-même, révéler l’intention complotiste condamnable de l’auteur. Le style interrogatoire et/ou conditionnelle, la phrase négative ou exclamative, le mode suggestif, etc., entretiendraient de la sorte la confusion entre la forme, le contenu et l’intention …. La condamnation d’Onana induirait, de ce fait et en contrepoint, la « certification honorable », l’« élévation aux nues » et, in fine, le « blanchiment des crimes » de Paul Kagamé …..Or dans ce qui est « le faux » à la gloire de Kagamé, à côté d’un grand nombre de « sulfureux bienfaits significativement inventés », sont rapportés, dans les « récitatifs intentionnellement structurés pour en camoufler les « forfaitures du tyran[6] », sont rapportés, dis-je : des images d’Epinal, des slogans, de la propagande, des techniques perverses et des fluages sémantiques qui eux aussi sont légion et sont, amalgames-juxtapositions, combinaisons de notions, de concepts …. en toute « innocence feinte », répétés par des « tchi-tchi boys », jusqu’à la banalisation et l’auto-certification. Ce sont des « détails », peut-être, mais où souvent le « diable » se cache …. En quelques sortes des post-vérités élémentaires nourrissant la genèse de la pseudo-victimisation justificative[7]. Vu le répit dans le procès Onana, j’aborderai, plus tard, mais dès que possible[8], cet aspect des approches d’une certaine forme de réalité langagière « augmentée », du drame se jouant, jusqu’à aujourd’hui, dans la région des grands-lacs d’Afrique, par la « magie » des mots.

Ce que je viserai sans doute dans un prochain papier, seront donc des groupes d’idées, de concepts, de faits et de personnages[9] qui entrent dans la fabrication des « faux de service » ….

 

Mais dans l’actualité actuelle des éléments d’information pourraient peut-être jouer en faveur d’Onana dans l’appel de sa condamnation :

- Le sort réservé à l’opposition au régime Kagamé. Victoire Ingabire, tête de proue de cette opposition, vient d’être arrêtée ce 20 juin, au moment où elle purgeait sa peine (suite à sa condamnation en 2010) à 15 ans de prisons (dont 8 d’incarcération et 7 d’assignation à résidence)[10] ….

- Le sort d’Agathe Habyarimana, veuve du Président Rwandais assassiné lors de l’attentat du 6 avril 1990 sur le Falcon 50 de la présidence. Le mercredi 21 mai, Agathe Habyarimana n’a pas été mise en examen. La plainte contre elle n’a pas fait l’objet d’un prononcé d’un non-lieu. En effet ; « Les juges ont conclu que les témoignages à charge étaient contradictoires, incohérents, voire mensongers »[11] ?

- la « réapparition », le 29 mai de Joseph Kabila à Goma dans les territoires occupés par le M23 ( ?)

- La Pax Americana signée, le 25 avril, à Washington, par les ministres congolais et rwandais des Affaires étrangères sous les auspices du Secrétaire d’Etat Marco Rubio. Ce qui ne présage rien de bon sachant qu’Erik Prince[12] (dont les services pour arrêter le Génocide avaient été refusés par Bill Clinton en 1994), en bon républicain-trumpiste, s’intéresserait à la « sécurité » dans la « région » des Grands Lacs, à côté des « Wagner et autres Azov » ?

- L’appel pathétique, Urbi et Orbi, du Dr Mukwege, du 7 mai, à l’Europe et au Monde face à la situation rwando-congolaise dans le domaine de la dégradation des Droits de l’Homme et des agressions militaires[13].

- La 92e édition des championnats du monde cyclistes sur route, du 21 au 28 septembre à Kigali

- La 46e Conférence ministérielle du Sommet de la Francophonie (2025) se tiendra à Kigali du 20 au 21 novembre

(A suivre ?)

 

 

[1] Samuel Beckett « Attendre Godot, c’est espérer que le monde va changer, tout en étant conscient que cet espoir est ridicule » - « Dans les faits, il ne faut voir en Godot qu’une figure imaginaire qui symbolise tout ce qui pourrait venir donner un sens à une existence absurde » in « http://www.summumcom.qc.ca/catalogue/doss/pdfs/CP_Godot.pdf

(https://www.researchgate.net/publication/325052478_Postmodern_Valencies_in_Samuel_Beckett's_Theatre_Waiting_for_Godot)

[2] https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/proces-onana-le-verdict-le-jour-d-258379

[3] Les associations Survie, la Ligue des droits de l’homme et la Fédération internationale des droits humains.

[4] « Les expressions utilisées …..renvoient à la culture et aux contenus élaborés par une culture. Un signe …… peut désigner différentes réalités en regard du contexte socioculturel ». (Lucie Guillemette et Josiane Cossette in http://www.signosemio.com/eco/modes-de-production-semiotique.asp)

[5] The EU’s War on Free Speech Exposed | Dr Norman Lewis at the European Parliament. https://www.youtube.com/watch?v=v5sn-mU7In8

[6] Celui qui s'empare du pouvoir par la force.

[7] Comme l’exemple de ce qui se passe actuellement dans la bande de Gaza et sur l’Iran.

[8] Si Dieu me prête vie

[9] « Rebelle, guerre, guerre civile » - « Tutsi, Hutus Twa » - « Clans, classes, races » - « Dallaire, Lotin, Kagiraneza » - « Kagamé, Clinton, Fort Leavenworth », etc.

[10] https://afriksoir.net/rwanda-opposante-victoire-ingabire-a-nouveau-arretee/

[11] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2025/05/19/fin-des-investigations-visant-agathe-habyarimana-sans-mise-en-examen-dans-le-genocide-des-tutsi-au-rwanda_6607197_3212.html

[12] Erik Prince est un ancien membre des SEAL, les forces spéciales de l’US Navy, connu pour avoir fondé la plus grande société militaire privée du monde, Academi (anciennement Blackwater Worldwide), https://fr.wikipedia.org/wiki/Erik_Prince

[13] Conférence de presse, organisée à l’initiative de Madame Hutman, présidente de la délégation UE-Afrique https://www.youtube.com/watch?v=tuNaYBoCdSI (min 22)


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