Une litanie de slogans et de stéréotypes comme perspective politique ?

par jean-luc charlot
lundi 5 juin 2006

Je ne sais pas pour vous, mais moi, c’est arrivé maintenant ! Le basculement de l’autre côté d’une certaine limite. Là où l’envie me vient de sortir de mes gongs un peu trop policés de sociologue pour taper du poing sur la table et crier un bon vieux : « Merde, ça suffit maintenant ! ». La raison de cet énervement subit ? La dernière intervention de Ségolène Royal à Bondy évoquant ses propositions concernant la sécurité, couplée aux flots de commentaires qui ont suivi et dont le volume laisse croire que quelque chose d’essentiel sur cette question aurait été prononcé. Alors qu’il n’en est rien.

Mais avant d’expliciter les causes de cet énervement, il me faut préciser, à l’attention de la personne qui m’en a fait le reproche la semaine dernière à Toulouse, où je donnais une conférence sur un tout autre sujet, ainsi qu’à tous ceux et celles qui voudront bien me lire, que, ce faisant, je ne prétends pas à mener un quelconque acharnement « ségoléniste ». Un tel énervement eût pu tout aussi bien surgir lors d’une des interventions de Nicolas Sakorzy, quand il arrive, entouré d’une noria de caméras, sur le lieu d’un crime ou d’une énième échauffourée entre jeunes et policiers, pour déclarer qu’il faut durcir l’arsenal répressif. Hélas, l’énervement est impulsif et ne se commande pas. Et cette fois-là, ce fut Ségolène Royal qui le provoqua.

A vrai dire, plus que d’un énervement, il s’agit peut-être d’une certaine fatigue. Celle d’entendre les rodomontades de l’un et les solutions à trois francs six sous de l’autre. En lieu et place d’une nécessaire problématisation de la complexité du réel, ce travail dont la société française, dépressive et un peu nauséeuse, a besoin pour se ressaisir et imaginer des lendemains possibles. Un travail d’énonciation, d’explication et de partage des connaissances disponibles sur cette question de l’insécurité, avec les citoyens responsables dont l’on sollicite les suffrages (l’insécurité ne constituant au demeurant, qu’une des nombreuses questions à travailler). Au fond, plutôt que d’évoquer des solutions déjà tentées et abandonnées (l’encadrement des délinquants par des militaires) ou existantes (la possible mise sous tutelle des prestations familiales), nous sommes en droit d’attendre des explications pertinentes sur les transformations profondes de nos « façons de faire la société » en ce début de XXIe siècle, qui conditionnent les problèmes dits d’insécurité. Car pour juger de la pertinence d’une solution, il est nécessaire d’avoir analysé au préalable le problème ! En ce sens, nous sommes en droit d’attendre que l’on nous explique, par exemple, comment dans la famille, dans l’école ou dans l’entreprise, chacun veut participer désormais sur le registre d’un échange entre individus égaux. Et qu’en conséquence, l’autorité (du père, du maître ou du chef) qui s’imposait autrefois de fait, comme naturellement, est sommée à chaque instant de faire ses preuves et de se justifier. Et que le problème qui nous est posé, devant les difficultés bien réelles de vivre ensemble, nécessite d’inventer des nouveaux modèles d’autorité qui répondent à ces nouvelles exigences du temps présent, et non d’en appeler à la restauration de solutions élaborées dans le cadre d’un ordre ancien qui n’est plus.

Nous sommes en droit d’attendre autre chose, comme perspective politique, qu’une litanie de stéréotypes et de slogans qui ne permettra pas de sortir du divorce manifeste entre la société civile et les élites politiques, et n’apaisera pas l’inquiétude qui sourd dans la société française.

Face à ce que Pierre Rosenvallon désigne comme « l’impuissance du politique », et que nous constatons, nous percevons que seul un travail sérieux d’éclairage des questions qui se posent, accompagné d’une exploration de leur complexité, explicité avec la société civile, permettrait de faire émerger les choix essentiels, sur lesquels, en conscience, les citoyens pourront se déterminer.

A choisir la facilité des slogans plutôt que l’explicitation des problèmes, nos candidats prennent le risque d’accentuer le divorce manifeste entre la société civile et le politique, de renforcer la sempiternelle condamnation en bloc du politique, ou de provoquer un rejet, cette fois abouti, de nature populiste.


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