11-Septembre, 11 mars, 11 juillet : islam ou islamisme ?

par Lucien-Samir Arezki Oulahbib
jeudi 13 juillet 2006

Dans l’imaginaire islamiste, l’Inde fait partie de l’empire musulman comme l’Andalousie, la Palestine, et ses partisans d’aujourd’hui font mieux encore, puisque l’Amérique fut récemment blessé, ainsi que Londres et Madrid. L’escalade actuelle n’est donc pas fortuite. Elle est d’une part liée aux propos du président iranien (qui vient de signer un pacte de défense avec la Syrie) stipulant que la guerre commencée « il y a plusieurs centaines d’années » doit prendre un nouveau tournant (d’où la nécessité d’avoir l’arme nucléaire). Cette escalade est liée d’autre part aux propos des dirigeants d’Al Qaida cherchant à provoquer une fracture majeure encore plus dommageable qu’à Bombay, comme l’a montré le récent complot métropolitain déjoué à Chicago.

Les récentes attaques du Hamas (en Cisjordanie) du Hezbollah (en Israël) et de Al Keida (à Bombaï) s’inscrivent dans cette dimension, même si cela peut s’habiller de prétextes territoriaux. Pourquoi ? Parce que les frontières de l’’islam sont spirituelles, elles n’ont donc pas de limites temporelles ni physiques. Le monde entier doit être soumis à l’islam (ce qui n’est pas le cas du sionisme et ce n’est plus du tout le cas du christianisme...).

Or les dits islamistes se réclament de... l’islam.

Certains, en Occident, disent que c’est faux. Qu’ils sont "nationalistes", qu’ils ne représentent pas le "vrai" (true) islam. Qu’en savent-ils ? Les responsables du Hamas, du Hezbollah, de l’Iran, citent le Coran, s’appuient sur sa jurisprudence, pourquoi ne faudrait-il pas les croire ? Au nom de quoi ? Alors qu’ils alignent d’innombrables théologiens et des plus officiels. D’ailleurs, ceux qui les accusent d’être des non musulmans vont-ils discuter avec eux, contre eux ? On ne voit guère ce genre de débats, de toute façon vite écourtés, au profit d’une condamnation commune des USA et d’Israël.

En réalité, il vaudrait mieux renverser les termes et avancer, comme le disent les islamistes eux-mêmes, à juste titre semble-t-il, que ceux qui se réclament d’un islam modéré se sont en réalité éloignés de l’islam : il devient de plus en plus, en effet, l’une des sources de leur vie, et non pas la source même. D’où alors un islam qui apparaît pour les novices ou les convertis occidentaux (genre Cat Stevens) comme une sorte de sagesse tolérante. Ce qui implique au fond qu’il se séculariserait, se folkloriserait même, avec ses rituels annuels, au même titre que les autres religions. Mais une telle évolution ne fait pas l’affaire des partisans de l’islam originel qui, dans ce cas, doivent trouver des terrains capables de ramener les enfants prodigues. D’où la nécessité de maintenir sans solution le conflit israélo-arabe, de lutter juridiquement pour imposer le mode de vie islamique au coeur même des pays européens ; ainsi, dans certains quartiers en France, le fait de se promener sans voile est de plus en plus mal vu, nombre de témoignages ont été d’ailleurs rassemblés par la Commission Stasi, d’où la loi contre les signes ostensibles qui en est sortie, loi nécessaire mais non suffisante pour les lieux de santé, l’université, les quartiers sensibles...

Pour le vrai islam, du moins dans sa version majoritaire (sunnite), l’union du politique et du religieux s’incarne dans le Commandeur des croyants qui la maintient en fusion (d’où le fait qu’il n’y ait pas de hiérarchie religieuse dans le sunnisme) à partir de la loi incarnant le Coran et la Tradition, le tout formant la Charia. Le chiisme version khomeyni s’est en fait rattaché à cette vision unificatrice (et panislamiste). Ainsi le droit, la philosophie, la politique, se réduisent à une codification juridique de ce qui est possible ou pas de penser, de consommer, et de se comporter. Sortir de cette dimension, comme le firent Averroës et Ghazali au Moyen Age, est évidemment hors de question, et ils furent d’ailleurs sanctionnés. Le problème, c’est que cela continue. Certains rétorquent qu’un jour "Les Lumières" toucheront l’islam, sauf que dans ce cas cela ne sera plus l’islam qui, à la différence des autres religions, ne sépare pas le religieux du politique du psychologique de l’économique, etc., etc. Les islamistes d’aujourd’hui ne font donc que rester fidèles aux racines de l’islam. Ils ne le trahissent pas.

Dans ces conditions, la critique doit être portée au coeur même de la doctrine et non pas à ses supposées marges qu’incarneraient les islamistes. Ce qui implique de repérer les versets qui posent problème en incitant au refus de l’autre, de sa différence, puisque ses croyances sont remises en cause et qu’il doit vivre selon la juridiction qui le concerne dans le Coran...

C’est justement en signifiant qu’ils ne sont pas d’accord avec certains de ces versets que des musulmans pourraient créer un islam réformateur, pensent certains ; sauf qu’il existe un écueil à ce stade : à la différence de la Bible, des Evangiles, les paroles inscrites dans le Coran ne sont pas considérées comme émanant de prophètes ou d’apôtres mais de Dieu lui-même, dont Mahomet n’aura été que le porte-voix. En un mot, le Coran est incréé, il existait avant la création du monde et advient au monde comme Discernement du Livre (ou le Verbe) qui a été trahi par la Bible et les Evangiles, d’où la nécessité de rectifier l’ensemble en donnant la version définitive. Bref, chaque parole du Coran est divine, comment dans ce cas réformer ou s’opposer à une parole parfaite ? D’où le dilemme, pour les milliers de réformateurs qui s’évertuent depuis plusieurs siècles à faire quelque chose.

La seule issue serait de s’en éloigner, d’inventer autre chose, mais les islamistes sont là pour rappeler que ce n’est pas possible, tout en traitant d’islamophobe, donc de malade, toute personne qui exprimerait un désaccord sur certaines sourates... D’où l’affrontement grandissant, le rejet, la confusion entre cette religion et les populations qui le possèdent de plus en plus comme background culturel et non plus comme ferment ou vecteur, puisqu’il n’est pas à même de répondre aux préoccupations d’aujourd’hui sur le développement personnel, l’estime de soi, l’acceptation de l’autre comme autre, etc. Les autres religions ont ce problème, mais elles n’y répondent pas avec des bombes...

Cette divinisation des paroles du Coran est un vrai dilemme. Surtout qu’il a réponse à tout, et certains disent qu’il a prévu toutes les découvertes, même les plus récentes. On pourrait, peut-être, arriver à surmonter cette impossibilité de le critiquer en ne biaisant pas le débat par des excommunions a priori ou des refus d’admettre que le Coran a été, en fait, bel et bien écrit par des hommes, assemblé par eux, et que, surtout, l’homme peut s’opposer à la parole supposée divine, ce qui le différencie des animaux... Mais un tel discours est-il audible ? Pas sûr. Pourtant, il serait bon d’admettre que le débat se situe aussi au niveau théologique, et point seulement politique. Or, le refus de discuter sur ce terrain est l’une des failles de la crise majeure que nous vivons aujourd’hui et qui s’aggrave sous nos yeux, sous les prétextes les plus variés.

A suivre...


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