Au-delà des jurys citoyens, la démocratie délibérative !
par Jani-rah
mercredi 8 novembre 2006
Le débat est vif sur les jury citoyens proposés par Ségolène Royal, chez nous aussi à R2. Revenons sereinement au concept de démocratie participative, ou plutôt délibérative, que les propositions de la candidate ont permis de mettre publiquement en question.
Je
ne cherche pas spécialement à défendre Mme Royal. Je défends ce qui me
paraît juste dans son discours. Les critiques des propositions ont
quelque chose de salutaire, puisque cela a fait apparaître
d’importantes contradictions dans le discours de la candidate. Mais
cette démarche penche dangereusement vers l’irrationalité totale quand on en vient à négliger de comparer ses propositions à celles de ses concurrents,
qui à ma connaissance ne brillent pas par leur originalité. Mme Royal
innove, ce pour quoi il existe une réelle attente. J’essaie de faire en
sorte que cette voix ne soit pas muselée.
Tout d’abord, il y a
une certaine variété entre les diverses expériences de démocratie
participative, et le concept semble peu défini quand elle en parle.
Néanmoins, le fait qu’elle en parle parce que c’est à la mode ne
signifie aucunement que ce soit sans intérêt.
Tout d’abord quelques remarques :
-
j’ai produit une recherche sur le budget participatif de Porto Alegre
il y a quelques années. Je suis très peu convaincu par la formule si on
veut l’appliquer dans un pays riche et sans déséquilibre social
manifeste. A la rigueur, cela aurait un sens pour les zones les plus
défavorisées du territoire. Mais pour l’essentiel, c’est un système
coûteux et largement basé sur la motivation individuelle, donc pas
robuste face aux incitations économiques. Cela ne fonctionne que s’il y a des
gens très pauvres qui ont clairement quelque chose à y gagner. Dans la
plupart des cas, cela me paraît inadapté.
- à mon avis, l’erreur c’est d’avoir parlé de démocratie "participative", qui fait penser à certaines choses. Le concept le plus approprié, ce serait plutôt la démocratie délibérative (cf. Habermas, Niño, etc.). Il s’agit de mettre en oeuvre une régulation étatique non biaisée, ce qui suppose des contre-pouvoirs.
- les contre-pouvoirs, c’est ce qui manque en France, où depuis toujours on constate le manque de liens entre la base et les élites.
Chacun vit de façon autonome, de plus en plus comme dans un pays du
tiers-monde . Il faut que ça circule, que ça communique davantage. Il
faut dérèglementer,
recontrôler, redémocratiser la France.
- un grand bravo pour leur courage à tous les élus qui ont manifesté leur désapprobation vis-à-vis de l’idée d’un contrôle populaire. Il va sans dire que tous sont des Churchill en puissance, capables de résister à la faiblesse humaine en toute circonstance et motivés par le seul intérêt général. La bonne blague... Creusons la question, plutôt que d’invoquer certaines évidences ou vérités.
D’autant plus que l’on mélange beaucoup de concepts, chez les partisans comme chez leurs contradicteurs...
Une première erreur est qu’ il ne faut pas confondre les fonctionnaires et les élus ; le politique et le technico-administratif.
La compétence technique n’est pas primordiale pour les seconds, car ils
sont censés s’entourer d’experts. Le font-ils ? C’est une autre
question, malheureusement. En matière économique, l’amateurisme de nos
énarques-politiciens est effectivement désastreux. Pourtant les
économistes compétents existent en France (hormis le Royaume Uni, la
France est le pays qui compte le plus de "fellows" de l’American
Economic Association, six au total) et ils sont prêts à offrir leurs
services.
Tout cela pour dire que les paroles de chaque Français sont
admissibles dans le débat économique. L’expertise doit par contre être
prise au sérieux, sans amalgame avec le reste des discours idéologiques.
Plusieurs
moyens peuvent être mis en oeuvre ou renforcés pour impulser une
démocratie délibérative qui densifiera la démocratie représentative,
base de notre système démocratique.
L’idée est très simple : il
s’agit de faire en sorte que la puissance publique ne puisse plus
prendre de mesure générale (par opposition aux mesures particulières)
sans qu’un panel représentatif de citoyens n’ait été consulté.
Cela suppose :
- le recours à des études d’impact sérieuses comme préalable à tout nouveau texte de loi ou à tout décret
- l’existence de panels réguliers auprès de tous les watchdogs officiels, notamment les Autorités administratives indépendantes
- qu’au niveau des collectivités territoriales, et en particulier des communes, le principe des jurys citoyens puisse jouer, sur le fond, un rôle équivalent à celui du Conseil d’Etat auprès du législateur. C’est-à-dire que les textes à portée générale et les budgets soient soumis à un avis consultatif. Je pense à des panels représentatifs, c’est-à-dire composés de citoyens lambda. Les autorités pourraient, en le justifiant, demander à ce qu’un des "jurés" soit relevé de ses fonctions, mais cette décision pourrait être contestée par un référé administratif.
- que tous les rapports administratifs soient accessibles gratuitement et librement sur Internet, répertoriés sur une base de données (si on est capable de le faire pour les films de l’INA, on est capable de le faire pour les rapports)
- que ces jurys citoyens puissent demander l’aide de rédacteurs
professionnels (fonctionnaires ou autres) afin de rendre publics leurs avis, dans un langage courant néanmoins.
Idéalement,
tous ces panels seraient intégrés à des dispositifs plus classiques.
Par exemple, les "usagers" (dont le point de vue serait décidé par le
panel) auraient collectivement une voix dans le collège décisionnel
d’une AAI. Ils auraient le pouvoir de faire connaître leur désaccord
vis-à-vis des autres membres dudit collège.
- Les membres des panels seraient rémunérés par leur employeur, auquel les administrations publiques concernées rembourseraient les heures perdues.
Tout cela existe trop peu, si l’on compare la France aux autres pays. Ailleurs, les consommateurs / petits actionnaires / usagers de l’administration, etc., sont consultés très régulièrement. Les études d’impact sont monnaie courante un peu partout sauf en France. D’où notamment la profusion de lois inutiles et parfois grotesques que nous connaissons.
Enfin, l’administration et les gouvernements gardent une culture du secret, absolument ridicule au XXIe siècle.
Vous
n’imaginez pas l’attitude de l’Etat français face aux demandes
d’information des Polynésiens à propos de Moruroa-Fangataufa. Ce genre
de choses ne devrait plus exister.
Qui connaît les réels risques du
nucléaire, les coûts environnementaux du productivisme agricole,
l’utilisation des fonds structurels européens par les agriculteurs
français, les différences d’indemnisation entre hôpitaux publics et
cliniques privées, etc. ? Les spécialistes, et encore... Cela doit
cesser. Tout citoyen a droit à l’information. Le pluralisme doit être
au coeur du système politique.
Les pratiques politiques passées doivent céder la place. Ceux qui ont trop joué avec ce système doivent céder la place.
Dans ce contexte, la nouveauté est une vertu.
En conclusion, vive la démocratie... délibérative.
LPhC