Bayrou et Sarkozy chez Loïc Le Meur : grâce au Web, adieu, politique politicienne ?
par Quitterie Delmas
jeudi 14 décembre 2006
Plus ça va, plus il me semble qu’Internet représente une chance pour toutes celles et tous ceux qui s’intéressent de près ou de loin à la politique et qui ont l’étrange sensation que les dés sont très souvent pipés...
Prenons le récent exemple de la conférence internationale LeWeb3 organisée par Loïc Le Meur qui a réuni plus de 1300 blogueurs internationaux les 11 et 12 décembre à Paris, et pour laquelle j’ai été contactée, en tant que membre de l’UDF, pour faire intervenir François Bayrou.
Cette conférence, consacrée à l’origine à l’évolution des blogs et d’Internet, a eu beaucoup de retentissement dans les médias, car deux jours avant son lancement, Loïc Le Meur annonçait la présence exceptionnelle de Shimon Peres... Encore plus fort, Loïc Le Meur a décidé au cours de la première journée de sa conférence d’inviter trois des candidats à la présidentielle, comme en témoigne ce billet sur son blog.
Le traitement médiatique de la
présence de François Bayrou et de Nicolas Sarkozy, deux des trois candidats à la
présidentielle invités à la dernière minute par Loïc Le Meur, constitue une énième
preuve de la puissance de la blogosphère, qui permet parfois de faire sauter
certains verrous politiciens ou médiatiques.
Terminé, la désinformation
J’en veux pour preuve le changement de ton assez incroyable dans un article publié à 16h41 sur le site de LCI / TF1 et qui, dans sa première version, affirme sans hésitation aucune : « Sarkozy s’est fait applaudir... » et, ajoute ensuite en catastrophe à 18h42 sous la pression de la blogosphère en colère : « Sarkozy s’est fait applaudir... puis huer. »
Enfin la vérité !
Ce « brusque changement » dans le ton de cette dépêche de LCI/TF1 est dû au blog Mediapedia, repris dans la deuxième version « revue et corrigée » :
« Il fut en revanche hué lorsqu’à la fin de
son discours, il s’est enfui sans accepter la
moindre question des personnes présentes dans la
salle : "Apparemment, il [n’avait pas été] briefé sur la règle du jeu de la blogosphère : participation et échange",
déplore le site
Mediapedia.
Merci donc à tous les témoins blogueurs ou à Libération qui grâce à la multitude de leurs témoignages donnent une bonne idée de ce qui s’est réellement passé :
« Sarko chez les blogueurs, cela pourrait se résumer à quelques phrases : un discours à côté de la plaque, un applaudimètre bloqué à zéro ou presque, et même quelques sifflets. »
Terminé, les passe-droits des stars des médias classiques !
Les anciens médias apparaissent décalés face à un phénomène qu’ils appréhendent mal. Et ceci malgré les tentatives de nouer des liens avec les blogueurs (par exemple, beaucoup de ceux réputés influents ont été invités à Europe 1 dimanche soir pour rencontrer Elkabach....). Hier, lors de la conférence, le même Elkabach a voulu s’imposer sur la tribune pour interroger François Bayrou, il s’est fait renvoyer dans ses 22 par le public, comme le montrent bien le blog et les vidéos de Lionel Kaplan :
« François Bayrou a à nouveau vivement attaqué les médias et transmis tous les espoirs qu’il fonde sur ce qu’on appelle désormais le cinquième pouvoir, à savoir Internet et les blogueurs. Souhaitant réagir à ces propos, Jean-Pierre Elkabach (Europe 1) fut interrompu par des blogueurs qui souhaitaient que le débat s’instaure avec la salle plutôt qu’avec les journalistes en présence (J.-P. Elkabbach et Valérie Lecasble d’iTélé). »
Ainsi qu’un article de 20 Minutes :
Malgré tout, François Bayrou a accepté l’invitation de dernière minute envoyée lundi. Selon lui, les blogs et l’Internet constituent en effet une « formidable arme de campagne » mais surtout « un projet de société basée sur le partage et la coopération, où les citoyens sont acteurs et non plus spectateurs ».
Le patron de l’UDF a ensuite pris des questions de la salle. Alors qu’il s’exprimait sur le rôle des nouvelles technologies dans l’éducation, Jean-Pierre Elkabach (Europe1), accompagné de Valérie Lecasble (i-Télé), est monté à la tribune pour tenter de l’interroger. Dans ces mêmes fauteuils, quelques minutes auparavant, on s’interrogeait sur le pouvoir des blogs et sur la mort des médias traditionnels...
Terminé,
les réunions publiques verrouillées !
Avec les circuits de diffusion de 1300 blogueurs internationaux de 37 pays différents, imaginez les retentissements ! Chaque minute constitue un risque de dérapage ou une opportunité d’être cohérent et serein. Les politiques ne peuvent plus faire de discours préparé par leur staff sans se prêter au jeu dangereux, mais utile, des questions réponses, ou cela se passe mal !
Le journal Les Echos explicite clairement ce phénomène :
« François Bayrou, candidat UDF à la présidentielle, s’est prêté au jeu des questions-réponses. S’il voit dans Internet un projet de société, une nouvelle capacité du partage du savoir, il est également préoccupé par son influence médiatique. La blogosphère, où plus de 60 millions d’internautes communiquent leurs idées dans leurs journaux personnels (blogs), constitue « une arme pour une candidature indépendante »... De son côté, Nicolas Sarkozy a fait une apparition éclair et a adressé son discours aux caméras de télévision venues saisir l’instant. Un discours programme, volontaire et lyrique, où se mêlent modernisation de l’administration, développement d’outils numériques pour l’éducation et la médecine, numérisation de nos archives et de notre patrimoine culturel. L’assistance, habituée à dialoguer et à débattre, en sera pour ses frais.
Terminé, les tentatives de manipulation ou de différence de traitement des intervenants !
Pour Loïc Le Meur comme pour Nicolas Sarkozy, l’égalité de traitement ne semble pas être une priorité... A mettre sur le compte de la manipulation ou de l’amateurisme, cette différence s’est vue et s’est retournée contre Loïc Le Meur (pupitre, traduction, temps de parole...).
Pour preuve, ce message récupéré sur le blog même de Loïc Le Meur :
« Je me suis senti manipulé, j’ai senti qu’on nous manipulait. Comment croire que Nicolas Sarkozy a été prévenu seulement hier soir ? Et il a passé la nuit à préparer son discours ? Et il a changé son emploi du temps en moins de vingt-quatre heures ? Pourquoi François Bayrou n’a pas eu le même traitement que Nicolas Sarkozy (traduction simultanée, temps de parole...) ? »
Personnellement, je ne peux pas croire que Loïc Le Meur ait voulu sciemment manipuler l’opinion ou privilégier son candidat. Tout s’est fait très vite. Mais force est de constater que le traitement n’a pas été le même, et beaucoup de blogueurs ou de lecteurs s’en sont rendu compte et l’ont fait remarquer, ce qui a provoqué des réactions, peut-être excessives, par exemple celle d’un chef d’entreprise chez Europeus :
« Je pense que LLM était au courant depuis longtemps et que les invitations à Royal et Bayrou ne sont qu’une façade, une façon de faire croire à la neutralité de l’opération, en s’y prenant si peu de temps à l’avance, il est quasiment certain que ces derniers ne pourront pas venir. Mon hypothèse est que LLM a "bénéficié d’un délit d’initié de la part de Sarko" ».
Le changement des pratiques politiques est en route. Le Web met un coup aux mauvaises habitudes politiciennes qui ont éloigné les Français de leurs élus.
Hier, la vérité était détenue par quelques médias dominants, aujourd’hui elle constitue le centre de gravité de ce qui se dit partout sur la toile, par les mille et un témoins d’un évènement.
Les nouveaux médias ouvrent des perspectives nouvelles à la politique. Notre génération doit intégrer cette nouvelle donne qui est une opportunité pour elle. A elle d’être créative et innovante pour rendre plus accessible la politique et faire évoluer les pratiques.
Quant à moi, j’ai bien envie, d’une manière ou d’une autre, de continuer à suivre, explorer et relater l’actualité politique qui émerge grâce aux nouveaux médias. Que ce soit ici ou sur mon blog.