Calimerkozy, victime volontaire et consentante

par Pierre MECHENTEL
lundi 25 septembre 2006

La tactique de Nicolas Sarkozy semble de plus en plus être la victimisation à outrance. Conscient d’une des clés de la réussite de J.-M. Le Pen en 2002 (symbolisé par sa fameuse expression du 22 avril « les petits, les sans-grade, les retraités à la pension de misère ») et conscient aussi qu’être élu en 2007 demande simplement d’ être présent au deuxième tour (contre J.-M. Le Pen qui vraisemblablement refera son score de 2002, ce qui le propulsera automatiquement au deuxième tour à cause de la dispersion des voix des autres partis), Nicolas Sarkozy fait tout ce qu’il peut pour apparaître aux yeux des électeurs comme une victime...

"Kärcher", Clearstream, spam de mails, déplacement pré-électoral aux frais du contribuable, étalage de sa vie privée, voyage aux US, photo avec G. Bush, critiques de la Justice, etc., chaque fois que Nicolas Sarkozy est mêlé ou parle de quelque chose, il s’arrange pour tout d’abord provoquer, afin d’être la cible de quelques-uns, avant d’apparaître comme la victime, comme le petit (le sans-grade, le simple ministre, le fils d’immigrés, le travailleur, le mari éploré...) qui essaie de faire bouger les choses, qui dit la vérité, et sur lequel la nomenklatura, l’etablishment tombe à bras raccourcis.

Même les Martiens savent maintenant que Nicolas Sarkozy veut être président. Dans ce but, il a colonisé l’UMP (en augmentant le nombre de délégués avec uniquement des nouveaux arrivants favorables, ce qui fait que l’UMP est le seul parti politique français sans opposition -même le FN a un débat interne), mis en ordre de bataille les amitiés qu’il travaille depuis des années dans les médias (voir à ce sujet l’excellent article de Marie Bénilde dans Le Monde diplomatique de Septembre : "M. Sarkozy déjà couronné par les oligarques des médias ?") et maintenant il s’attaque à l’opinion elle-même avec une simple tactique, la victimisation.

A-t-il un programme ? On peut en douter, tant ses promesses à diverses corporations se croisent et s’ajoutent comme si une manne financière allait tomber sur la France pour tout permettre. Le mot clé de son programme, "rupture", permet d’ailleurs astucieusement d’éviter toute question sur le financement des diverses mesures proposées puisque la "rupture" donnera un nouvel équilibre et que l’on... verra..

Utilisant les ficelles habituelles de son métier d’avocat (mise en images favorables , à son propos, interrogation négatives, posture, etc.) Nicolas Sarkozy arrive à convaincre à la manière de Bernard Tapie il y a quelques années. Comme lui, excellent tribun, maître de la synchronisation à la mode PNL avec ses interlocuteurs, il arrive même à convaincre des populations complètement différentes (des ouvriers au chômage aux entrepreneurs high-tech en passant par des islamistes !) de sa volonté... d’être volontaire... Donc dans la logique Star Ac qui prévaut actuellement, d’être l’homme de la situation... (voir comme exemple le panégyrique que lui consacre Loïc Le Meur sur son blog, ("Je voterai pour Nicolas Sarkozy" alors qu’a priori, Loïc Le Meur, sain d’esprit, et sachant compter, n’investirait pas le moindre de ses euros dans une entreprise qui lui aurait été présentée par un discours semblable ;-))

Au moment où la pensée de Coubertin (L’important est de participer) n’est plus vraiment en odeur de sainteté dans le sport français, la politique et la société française acquiescent à "L’important c’est d’être volontaire"... et cela d’autant plus que le volontaire est une victime.

La posture de victime est donc devenue l’attitude systématique vers laquelle tendent tous les actes et paroles de Nicolas Sarkozy.

Depuis des années, les déclinologues et l’ambiance générale présentent la majeure partie des Français comme des victimes. Bien qu’on vive en France beaucoup mieux qu’ailleurs, on s’acharne à être dans notre pays des victimes, des victimes des grèves, des victimes de la mondialisation, des victimes des impôts, des victimes des politiques, des victimes du climat, des victimes de l’administration, etc., à croire qu’il existait ou qu’il existe quelque part un monde parfait, sans ennuis, que nous aurions raté comme on rate, victime encore, le bus ou le train.

Nicolas Sarkozy a parfaitement compris que c’est dans ces victimes (comme J.-M. LePen en 2002) qu’il pourra prendre des voix et arriver au deuxième tour en 2007 pour un combat qui s’annonce soit comme celui de la plus grande victime, soit comme un revirement intéressant pour celui qui face à Le Pen se présentera comme le gardien de l’orthodoxie, de la République sans rupture ;-)))

En attendant, et plutôt que d’affronter les débats d’idées (qui, c’est vrai, ne passionnent pas les gens, donc sont moins exposés médiatiquement), Nicolas Sarkozy s’attelle à se victimiser.

Pourquoi aller devant des caméras parler de Kärcher ? Pourquoi envoyer une masse de mails non sollicités à des internautes ? Pourquoi parler ouvertement de son américanophilie dans un pays assez opposé aux US de façon générale ? Pourquoi critiquer la Justice ? Pourquoi ostensiblement passer une majeure partie de son temps à préparer son élection avec les moyens de l’Etat normalement dédiés dans son cas à sa tâche de ministre ?
A chaque fois, bien évidemment et logiquement, il se fait critiquer et après avoir laissé monter les critiques de toutes parts (gauche, droite autre qu’UMP, administration, syndicats, etc.), il répond en victime... Jamais sur le fond mais toujours sur la forme, avec un message standard en trois parties : 1) Je n’ai pas vraiment dit ça 2) Mais ne croyez vous pas que ... 3) Quel mal y a-t-il à poser un problème dont tous les gens parlent et qu’ils connaissent... et une conclusion identique : "On m’attaque car moi, je parle des vrais problèmes, des problèmes des gens qui en ont marre."

La partie 1 n’est pas destinée à faire baisser la polémique mais au contraire à l’entretenir car elle renaît bien évidemment avec une polémique sur la polémique. La partie 2 repose le problème, en général à la télé ou à la radio avec une mise en scène personnelle du journaliste (mais ne croyez-vous pas Claire Chazal que les gens ... dans les quartiers ... ont eux aussi envie d’autre chose que de voir des jeunes brûler des voitures... le tout agrémenté de hochements de têtes, de regard direct, de main posant le problème en évidence). Ce qui permet de bien montrer Nicolas Sarkozy dans la posture de celui qui essaie, qui est volontaire malgré les ennemis, les autres, l’opprobre, la langue de bois, la pensée unique, l’étranger, etc. Souvent la partie 2 se termine par quelque chose comme : "Permettez-moi de vous dire ....." avec la mise en valeur du "permettez-moi ...", quoi de mieux que cette formule pour placer Nicolas Sarkozy sur la même ligne que la France d’en bas ? La partie 3 prépare la conclusion qui est la plus importante puisqu’elle est destinée à imprimer dans l’esprit des gens le plus important : "Nicolas Sarkozy est comme moi, il a les mêmes problèmes, il essaie de faire quelque chose contre... les autres... donc... pour moi."

Comme un autre Nicolas (Machiavel), M. Sarkozy pourrait être un excellent théoricien de la tactique politique, mais est-ce que l’élection présidentielle ne se contente que de tactique et n’exige pas une stratégie, et un but constructif ? C’est peut-être là la principale faiblesse de Nicolas Sarkozy, qui n’a jamais gagné une élection importante en équipe. Pourra-t-il abuser un pourcentage important de Français comme il a réussi à emberlificoter beaucoup de personnes séparément sans quelque chose de constructif à proposer, sans quelque chose de commun au pays entier ? Sa tactique paiera-t-elle plus que la tactique de Mme Royal qui, elle, adopte une autre posture, celle de la bonne et rassurante personne, tournée vers l’avenir et au-dessus des broutilles et détails du quotidien et de la querelle politique ? Entre Heidi et Calimero, quel personnage les Français choisiront-ils pour aller affronter l’ogre Le Pen au second tour en 2007 ? A moins que dans la grande tradition des élections françaises, le jeu ne soit redistribué avant l’élection, et que les favoris des sondages actuels rejoignent les ex futurs présidents dans les chroniques des journaux...


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