Communauté internationale : illusion pathétique ou mirage prémonitoire ?
par Gérard Ayache
mardi 18 juillet 2006
Encore une fois, quand la guerre fait gronder le tonnerre quelque part dans le monde et plus particulièrement au Proche-Orient, nos contemporains lancent leurs suppliques à la « communauté internationale ». Comme si ce concept brumeux était supposé représenter la conscience de l’humanité et former une sorte de multilatéralisme garant d’un certain ordre moral du monde. Or, le plus souvent, la communauté internationale se retrouve désemparée ; sa chambre d’écho, l’ONU, n’est qu’une assemblée des 192 copropriétaires du monde, un lieu de paroles, nécessairement contrastées et discordantes. Le Conseil de sécurité souffre, quant à lui, de paralysie chronique, du fait de son droit de veto congénital.
Alors que signifient ces appels pathétiques à la « communauté internationale » ? Pourquoi en appeler à elle tout en sachant qu’elle n’est au mieux qu’un mirage, au pire, qu’une illusion ? Nous sommes ici dans un cas typique de grande confusion caractéristique de notre monde actuel.
Pour comprendre, il faut faire appel à l’idée d’ « unité de survie » et remonter quelques millénaires en arrière. Le groupe social de nos ancêtres préhistoriques ne devait vraisemblablement pas dépasser une quarantaine ou une cinquantaine de personnes. Il constituait une unité de survie suffisante, circonscrite à quelques familles. Pour parvenir de ces unités primitives aux formes étatiques et supra-nationales du monde contemporain, il a fallu que s’opère un lent et profond processus d’évolution vers l’intégration de l’humanité. (cf. notamment Norbert Elias )
Le processus d’intégration de l’humanité correspond à une évolution de notre espèce, d’unités de survie peu différenciées et peu complexes en unités toujours supérieures, plus différenciées, plus complexes et comportant un nombre toujours plus grand d’individus. Les tribus ont perdu leur fonction d’unités de survie autonomes partout dans le monde, les États sont absorbés, avec leur souveraineté, dans des formes d’intégration croissante. A moins d’une rupture brutale dans ce processus d’évolution -toujours possible-, nous nous dirigeons vers une étape où tous les États composant l’humanité seront fusionnés, à terme, dans une unité sociale de base. Nous n’y sommes pas encore, loin de là, mais nous en sentons confusément les prémices.
La confusion du monde actuel vient du fait que nous sommes dans un mouvement d’évolution dont nous ne connaissons ni le sens, ni le mode d’emploi. Nous sommes en phase d’apprentissage dans le passage du niveau actuel au niveau supérieur.
Dans cette phase, le groupe de niveau inférieur voit s’évanouir progressivement ses fonctions de garantie de survie du groupe, fonctions qui lui sont ancestralement attachées. Pendant le même temps, le groupe de niveau supérieur, trop lointain, encore mal organisé, n’est pas jugé apte à remplir ce rôle majeur d’unité de survie. Le trouble des individus contemporains est qu’ils constatent confusément que leurs chances de survie dépendent, d’ores et déjà, et pour une large part, de ce qui se produit à l’échelon le plus élevé, qu’ils nomment « communauté internationale » sans savoir qu’ils nomment, en fait, une forme nouvelle d’hypermonde.
Nous nous situons aujourd’hui exactement sur ce point de passage entre deux niveaux d’intégration. Nous sommes dans un entre-deux. Les enjeux sont globaux, les organisations sont globales, les flux le sont aussi, tout comme les dangers. Mais, malgré quelques spasmes sporadiques que l’on identifie dans les grandes vagues compassionnelles planétaires ou dans les embryons de prises de conscience que nous faisons tous partie du même vaisseau spatial, les individus comme les États ne parviennent pas encore à se détacher de leur appartenance à leur unité de survie originelle. Chacun sent confusément les nécessités de l’émergence d’une unité de survie supérieure, prenant en compte l’humanité dans son ensemble ; mais chacun perçoit aussi les résistances et les difficultés de ce passage inéluctable. C’est ce qui rend pathétiques les circonvolutions discursives des acteurs actuels du monde, arc-boutés sur leurs références stato-nationales et paralysés à l’idée de ne concevoir, autrement que sous la forme d’un mirage, le niveau prochain d’intégration de l’humanité.