Décrochage : la France face à son destin
par Yann Riché
mercredi 28 mars 2007
L’avion décroche quand il perd de la vitesse, son ascension, son vol est brusquement perturbé par une chute incontrôlable. L’avion part en « vrille » et seuls les pilotes chevronnés peuvent récupérer l’avion à condition évidemment que celui-ci ait encore la capacité technique pour répondre aux sollicitations du pilote. Le décrochage est une rupture car c’est un changement d’état, l’avion passe du statut d’objet volant à celui d’objet tombant selon les lois universelles de la gravité.
C’est donc avec l’œil de la gravité qu’il faut regarder la situation de la France, de son économie et de son système social.
Pour voler la France a besoin de tenir compte de son environnement. Il me semble que comme l’a révélé le débat sur la constitution européenne elle n’en tienne plus compte. Les signaux faibles qui confirment cette idée sont de plus en plus nombreux. Il y a eut les Français riches qui quittaient la France, mais on s’était habitué. Il y a de plus en plus de jeunes diplômés qui quittent la France. Et une part de plus en plus importante qui l’a quitte non pas pour découvrir le monde qui sous-entend sauf coup de cœur particulier qu’un jour le partant reviendra, mais pour fuir une société qui se regarde le nombril et se terre dans des trous idéologiques afin de ne pas voir le Monde tel qu’il est. Il y a cette absence totale d’idéal européen chez les jeunes, 50 ans après le Traité de Rome, le malaise constaté chez les jeunes Français en 2005 est persistant. Les signaux plus forts aussi avec la crise des banlieues. Et il faut parler des banlieues car chaque banlieue à des spécificités que les autres n’ont pas. Ces zones laissées à l’abandon pas seulement par les politiques mais par vous et moi. Signaux enfin institutionnels par une défiance des électeurs vis-à-vis de la classe politique dans son ensemble. Répondons d’abord à la question : non la France n’a pas décroché. Par contre sa vitesse a considérablement ralenti. Ensuite la France ne semble plus avoir la main sur son destin. Ainsi en est-il d’Airbus. Fleuron de la réussite européenne, passant du statut de petit poucet puis de challenger pour en fin détrôner Boeing, l’avionneur européen connait sa première grande crise. Cette crise n’est pas qu’une crise de gouvernance, elle est une crise évidente de mondialisation : carnets de commandes plein, conflits entre intérêts Français et Allemands, nécessité de rationaliser pour rester dans la course.
La France n’est pas morte, la Présidentielle permettra peut être de relancer d’ici 5 ans notre pays. Déjà il faut reconnaitre certains progrès au gouvernement sortant, le lancement des pôles de compétitivité, la simplification des démarches administratives pour la création d’entreprises se concrétisant par la hausse du nombre d’entreprises créées, des avantages fiscaux pour les « gazelles », le lancement du plan Borloo pour le logement. Par contre, l’augmentation du poids de la dette, l’augmentation des prélèvements, le CNE et le CPE n’ont pas permis de dégager de marges de manœuvres, au contraire.
Si vous vous interessez un peu aux chiffres je vous conseille de retrouver un exemplaire du numéro 19876 des Echos datés du 13 mars et surtout de son supplément « spécial présidentielle 2007 : l’état réel de la France ». Dans ce numéro vous pouvez constater que la France est distancée, sur les chiffres du chômage en étant systématiquement à 1,5 point de la moyenne Européenne depuis 2002. Avec des couts salariaux qui sont supérieurs à ceux de la zone €uros et pire alors que nos couts montent encore, ceux des Allemands baissent renforçant leur compétitivité et diminuant la notre. En terme de croissance, la France est dans la moyenne, mais alors que nous affichions une croissance supérieure à lAllemagne la tendance s’est complètement inversée et nous nous retrouvons loin derrière la croissance Allemande.
Mais pourquoi sommes nous à la traîne ?
L’ensemble des candidats à la Présidentielle partagent un certain nombre d’analyse. Mais je suis surpris qu’aucun des candidats ne mettent en avant suffisamment la logique économique de son programme.
De mon point de vue les clés se trouvent à plusieurs niveaux :
Le pouvoir d’achat est obéré par
- la crise du logement (il manque selon les Echos 1 millions de logement).
- la pression salariale liée aux 35 heures
- les prélèvements (fiscaux, sociaux, etc)
- une croissance trop faible
Le chômage n’est pas résorbable car :
- aucune politique ne permet de sortir du RMI
- la mobilité demeure faible
- le droit du travail est trop complexe
- les entreprises ne sont pas assez rentables
- les entrepreneurs n’ont pas forcément les qualités managériales, ou tout simplement l’envie, pour faire grossir leurs entreprises
Les délocalisations ne sont pas une fatalité mais le fruit :
- D’un manque de politique industrielle
- D’un manque d’investissement dans l’outils productif
- D’un manque de grosses PME / PMI (estimation 10.000)
Nos déficits nécessitent une action de fond :
- Réduire le déficit de la balance commerciale en augmentant notre productivité industrielle (75% des exportations sont liées à l’industrie)
- Réduire le poids de la dette en réduisant et ré-organisant les services de l’Etat et en particulier auprès des fonctionnaires dont les salaires représentent 117 milliards d’€uros sur un budget de 240 milliards d’€uros. Nous devons économiser 35 à 40 milliards d’€uros par an pour ne plus avoir de déficit. Question comment faire ? Certains proposent de « décréter » la croissance par de l’emploi « public » d’autres par le travail. Il me semble que le travail nécessaire pour aboutir doit prendre en compte certes ces deux pistes, mais aussi de nouvelles pistes pour financer mieux et différemment nos dépenses.
- Réformer notre système de santé qui sera l’otage des médecins si aucun choix collectif sur le système n’est pris. En effet aujourd’hui dans certaines régions le manque de médecin est tel que s’ils décident de se déconventionner le service public (l’égalité dans l’accès aux soins) de médecine de ville ne sera de fait plus assurer.
La TVA l’arme absolue ?
La TVA est-elle l’arme absolue de nos problèmes ? TVA sociale, Taxe Microsoft (idée proposée sur mon blog), TIPP... La TVA invention Française est une arme ajustable aux intérêts des Français et surtout modulable selon des choix politiques. Ainsi la TVA sociale peut elle être appliquée sur les produits importés (hors UE) et financer notre système social. La taxe Microsoft permet elle de pénaliser les produits en position dominante, tel le système d’exploitation Windows, l’Ipod ou encore les opérateurs de téléphonie mobile pour financer le développement de la concurrence via la rechercher et le développement.
Le principal argument qui est proposé est de dire que ce sont les consommateurs qui payent. Encore et toujours. C’est vrai, mais les consommateurs sont plus nombreux que les travailleurs, donc la TVA sociale est financée par un plus grand nombre. Ensuite je ne suis pas sûr que les augmentations de TVA entraînent forcément une augmentation des prix. Dans le cadre de situation dominante, les marges sont telles que pour rester compétitifs les entreprises réduiront leur marge pour conserver leurs clients et le plus longtemps possible leur rente de "dominant".
Enfin il faut savoir que c’est la consommation (au sens large) qui génère de toute façon nos salaires, nos salaires qui font une partie de l’impôt. La TVA ramène 118 milliards d’€uros à l’Etat, l’Impôt sur le revenu 50 milliards...
Logement le paradoxe du faire mieux...
La crise du logement en France pose un réel problème car pour en sortir cela ne va pas être simple. Lancer de vastes programmes de constructions pour avoir du logement social est en soit une très bonne idée. Cependant cela prendra du temps car le secteur du bâtiment est le secteur qui n’arrive pas à recruter. Dureté du travail ? Salaires trop bas ? Un peu des deux mais voilà le mal est là, il faut à la fois bâtir plus sans avoir les électriciens, maçons, charpentiers, couvreurs, etc, qu’il faut et dans le même temps résoudre la crise du logement peut devenir un drame pour les familles qui viennent de s’endetter sur 25 ans espérant avoir ainsi un patrimoine qui se valorise. La pénurie créée la richesse jusqu’au jour où les Français ne peuvent plus payer. Nous en sommes à ce stade, les villes riches doivent s’engager à financer des programmes qui permettront de faire baisser le marché de l’immobilier.
Si le prix du logement diminue, cela est tout à fait possible, alors le pouvoir d’achat des Français redeviendra plus important.
Le Smic la hausse créée le recul !
Le débat sur le SMIC est quelque peu biaisé. D’abord parce qu’il est scandaleux d’entendre des patrons riches à millions qui ne prennent pas de risques pour eux s’exprimer contre la hausse du Smic. Ensuite parce que la hausse du Smic ne résout en fait rien. Disons le il permet aux fonctions dites protégées de voir leur pouvoir d’achat augmenter (en théorie) mais surtout les allègements de charge sur les bas salaires touchent de plus en plus de Smicards car le Smic augmente plus rapidement que les salaires.
Résultat les entreprises rechignent à employer une main d’œuvre peu ou pas qualifiée qui coute chère. Triste réalité, réalité économique qui n’aurait pas tant de conséquences si en parallèle nous étions dans le plein emploi. En fait nous sommes en sous-emploi massif, contre-choc des 35 heures (plus de productivité et moins de lien social) et moins de gens au travail.
Comme le taux d’emploi de la France est de loin très inférieur à ceux de nos camarades, notre productivité ne suffit pas à rendre l’ensemble France compétitif. Un peu moins de productivité pour un meilleur lien social et plus d’emplois serait le bienvenu. Sus aux 35 heures, nous y reviendrons quand nous aurons résolus réellement le chômage de la France, c’est l’exemple même de la promesse électorale (tenue) qui fout tout le monde dans la merde.
Des Fonds de pension à vocation « Française »
Oui mais me direz vous, et toutes ses super multinationales qui licencient pour faire plus de profits comment les gèrent-on ?
Si nous avons réellement des convictions profondes nous devons nous imposer. Le libéralisme dit libre concurrence, quitte à ce que l’Etat intervienne pour réguler d’une manière ou d’une autre. Dans le domaine du capital investissement et des LBO l’Etat peut intervenir en créant ses propres fonds de pension et en sensibilisant plus fortement les entrepreneurs. La vocation Française de ces fonds de pension serait de mettre en avant des critères de rentabilité plus souples et surtout de fixer dès le départ sa mission au sein de l’entreprise. Vous me direz oui mais Eads... Certes il paraît que l’Etat n’est pas le meilleur actionnaire. Pourtant il a une puissance financière et il peut assurer cette mission à partir du moment où l’ensemble se fait dans la plus grande transparence, objectifs à atteindre, sorties prévues et avec qui de préférence, recrutement du dirigeant en dehors de toutes considérations politiques et de copinage, limitation du niveau des salaires etc.
Croyez-moi il y a matière à faire !
Je n’ai pas répondu sans doute à l’ensemble des questions, c’est normal je ne suis pas candidat à la Présidentielle. J’ai voulu illustrer par trois exemples qui peuvent susciter le débat que le lien entre économie et social est un lien fort. L’un ne va pas sans l’autre. La puissance financière est une réalité effrayante pour la démocratie (la liberté des Hommes et de leur identité), pour le libéralisme (la liberté d’entreprendre), et par l’absence de sens.
La Finance n’a pas de projet autre que de générer plus d’argent de façon artificielle, par des produits dérivés, par des mathématiques qui rendent la production irréelle.
Retournons au réel, à l’homme. Retournons alors au réel, à la production de biens et services. Aucune solution n’est simple, aucune n’est définitive. Nous avons un idéal, "Liberté, Egalité, Fraternité" cela a du sens, c’est le destin que nous nous sommes donnés, c’est le destin dont nous avons hérité, c’est le destin que nous devons transmettre à nos enfants.
Continuons le débat !
Quelques lectures en Vrac pour piocher des idées :
- Daniel Cohen : 3 leçons sur la société post-industrielle
Michel Godet : Le choc de 2006 - Le Courage du bon sens
- Jacques Marseille : Les deux France
- Jacques Baratier : L’entreprise contre la pauvreté
- Eric Le Bouché : Economiquement incorrect
- J. Stiglitz : La grande désillusion