Du social-nationalisme

par Sylvain Reboul
jeudi 22 juin 2006

De nombreux commentateurs politiques de gauche n’acceptent pas la notion de social-nationalisme pour caractériser l’opposition de la gauche française au libéralisme, dès lors que, pour eux, elle se confond avec celle de national-socialisme de type fasciste ou nazi. Or, à l’inverse de tous les partis socio-démocrates européens, le PS français, indiscutablement démocratique, continue à maintenir la vision, quand il est dans l’opposition, que recouvre ce terme pour ses adversaires. Comment comprendre ce paradoxe ?

Essayons pour ce faire de clarifier cette appellation : au sens général, elle vise la conviction qu’il y aurait des solutions purement nationales aux problèmes économiques, sociaux et politiques français.

1) Sur le plan économique

Cette vision fait abstraction du fait que nous sommes dans un monde dans lequel l’idée même d’économie nationale protégée et auto-suffisante n’a plus de sens, sauf :

- à restaurer la fermeture des frontières

- à mettre fin par conséquent à la construction européenne

- à revenir au franc comme monnaie nationale

- à interdire les investissements dits étrangers en France et/ou les soumettre à des conditions sociales telles qu’ils s’enfuiraient aussitôt

- à exiger pour entretenir des relations économiques étroites avec nos partenaires (plus ou moins considérés comme des ennemis potentiels) qu’ils se soumettent à notre fameux modèle social dont nous affirmons qu’il est naturellement supérieur à tout autre possible.

- dans sa variante extrême, renationaliser toutes les banques et les grandes entreprises, le secteur de l’énergie et des transports, sinon l’économie tout entière, et, par conséquent, revenir sur leur internationalisation en vendant toutes les entreprises qu’elles possèdent à l’étranger pour ne pas être soumis aux pressions de l’OMC et/ou de l’Europe qui exigent (et c’est absurde, selon cette vision), que le marché soit autant que faire se peut libre et non faussé.

2) Sur le plan social, est exigé par le social-nationalisme :

- que l’état garantisse à tous les salariés un emploi à vie, une progression continue du pouvoir d’achat des salaires, en même temps qu’une réduction du temps de travail et des retraites, et des soins médicaux qui ne soient soumis à aucune contrainte financière

- que le capital privé soit imposé de telle sorte que la couverture financière des coûts sociaux de ces garanties soit toujours suffisante

- le maintien en un état stable de la société française dans sa culture (comme chacun le sait, exceptionnelle) et le sentiment de son éternelle identité identificatoire nationale symbolique et dans sa variante extrême de son ethnicité exclusive de tout mélange (pureté originelle fondatrice)

3) Sur le plan politique.

Un tel nationalisme "social" supposerait logiquement :

- la toute-puissance de l’Etat-providence et du pouvoir politique sur la société civile

- donc la fin de toute alternance politique qui affecterait son indéfectible maintien (et donc l’interdiction en particulier du courant libéral, de gauche comme de droite). Ce qui, sans forcément aboutir au parti unique, implique de refuser tout parti qui menacerait une telle visée (en particulier ceux qui serait dénoncés comme des partis de l’étranger)

- donc non seulement la fin du capitalisme transnationalisé, mais aussi la fin de la démocratie libérale.

Or, heureusement, sauf pour une infime minorité hors jeu, aucun tenant de cette vision ne déclare vouloir instaurer un Etat totalitaire de type national-socialiste fasciste ou socialiste « purement » national, négateur des libertés fondamentales, et tous se réclament de la démocratie pluraliste. Il y a là une contradiction interne : comment établir un tel programme économique et social sans révolution politique nécessairement violente (guerre civile) et donc répressive des libertés publiques ? Mystère : les tenants de cette vision se contentent de nous faire croire que tout cela peut, comme par magie, se faire sans violence et sans mettre en cause les libertés politiques et publiques.

Ce mystère manifeste à l’évidence que le programme des socio-nationalistes actuels n’est qu’un leurre populiste afin d’exploiter les mécontentements suscités par un capitalisme dérégulé, pour prendre le pouvoir et par la suite gouverner dans un cadre qui ne ferait que reprendre la ligne sociale-libérale ou sociale-démocrate, pour la faire accepter comme la seule réaliste. Ils ne sont donc, pour reprendre une formule de Lénine, que des réformistes-révolutionnaires en peau de lapin. Sauf qu’à jouer de cette contradiction entre le discours et la pratique (ou plutôt entre le discours dans l’opposition et celui tenu au gouvernement), on risque de désespérer davantage Billancourt et de pousser des majorités disparates déboussolées dans les bras de quelques aventuriers de l’extrême (plutôt droite que gauche, avec quelques éléments transfuges ). Merci de votre attention, et bon débat de philosophie politique !


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