Et si Redeker avait raison ?

par Candide2
lundi 9 octobre 2006

 

A la suite de la tribune de Robert Redeker dans Le Figaro, il n’est pas une plume qui n’ait vigoureusement protesté qu’elle défendait mordicus la liberté d’expression qui est la base même de la démocratie. C’est bien le moins, car encourager la Fatwa, c’est-à-dire appeler au crime, tombe encore sous le coup de la loi... en France. Mais où apparaît « l’islamisation des esprits », dont se plaint Redeker, c’est dans le fait que pas un seul de ces scribes n’ait omis de faire ses petites réserves de principe pour bien marquer, chacun pour soi, qu’en ce qui concerne le fond, il n’était pas d’accord. Certes, on peut ne pas être d’accord, c’est le fait même de la polémique, mais ce qui est suspect, c’est l’unanimité. Cela a commencé par le ministre, qui nous a rappelé que la liberté d’expression ne saurait être totalement libre chez les fonctionnaires.

Certains citoyens sont donc plus égaux que d’autres, et on ne pouvait mieux légitimer l’hallali. Il n’a pas tardé : la violence ne se limite pas à la menace de mort, c’est aussi le terrorisme intellectuel, l’invective qui, en rabaissant l’auteur au rôle de débile, d’inconscient, d’ignorant, de pervers et, bien entendu d’extrémiste, se dispense de discuter les arguments, globalement assimilés à une insulte qui ne mérite que menace. Menace contre insulte, c’est ce à quoi bon nombre de musulmans ramènent cette affaire. Pour LDH, il s’agit d’un texte « nauséabond ». Pour le MRAP, « toute forme de violence en appelle, hélas, d’autres en retour, parfois plus extrémistes encore ». C’est un peu ce que sous-entendait le ministre : au fond, il ne l’a pas volé ! Ensuite il y a toute la classe des donneurs de leçon, souvent enseignants, peut-être par déformation professionnelle, qui donnent un avis qui ne saurait faire qu’autorité : « Un texte d’une rare bêtise », lit-on ici, « Il faudrait lui retirer son agrégation », lit-on là.

La condescendance prend parfois des airs d’indulgence : « Le philosophe qu’est Robert Redeker ne peut pas ignorer la différence entre l’islamisme, une idéologie, et l’islam qui est une religion ». Franz-Olivier Giesbert lui-même, dans sa chronique du Point, n’a pas pu s’empêcher, comme pour s’excuser, de dire que Redeker avait « proféré une énormité. Il a juste oublié de lire la sourate de la Génisse, celle de l’Abeille et bien d’autres encore. » Donc acte, il faut tout lire du Coran pour en parler, mais ne faut-il pas aussi le lire en arabe ? Guy Sorman, grand prêtre de l’entrée de la Turquie en Europe, nous explique les raisons de « son profond désaccord » : ...Sa position est d’affirmer que tout est dans le Coran. C’est également ce que soutiennent les fondamentalistes musulmans ! Soit on considère qu’une religion se définit tout entière dans le texte, soit, et c’est mon avis, que c’est la pratique qui la définit.

Sur le principe, on ne peut que lui donner raison. Ce qui compte, ce sont les retombées pratiques, les faits et les actes qui résultent de l’appartenance à une religion. On ne peut prévoir avec certitude les répercussions d’un texte, d’une doctrine, d’une idéologie ou d’une religion. Tout dépend du terrain qui le reçoit, du contexte social et politique, bref cela fait partie du complexe, donc de l’imprévisible. Le recours au texte ne peut être qu’une explication parmi d’autres, a posteriori, de ce qu’on observe. Marx n’avait certainement pas prévu ce que serait vraiment le communisme ! Mais que fait Redeker ? Il considère comme un fait que l’islam « exalte violence et haine » et fasse preuve d’intolérance. Il en cherche une explication dans le Coran et dans l’exemple du personnage de Mahomet, chef militaire et pilleur de caravanes qu’il oppose à Jésus, non violent qui « meurt pour nous sauver de nos péchés ».

On peut ne pas adhérer à sa thèse et trouver des arguments pour la contredire, mais les réactions disproportionnées provoquées par sa tribune tendent à lui donner raison ! L’intolérance de l’islam est étayée justement par ces explosions de violences contre tout ce qui peut paraître une critique, une satire ou une moquerie. La fatwa contre Rushdie, le meurtre d’une vieille religieuse après les propos du pape, les manifestants piétinés par des foules hystériques après la publication des caricatures danoises, le meurtre de Van Gogh au nom de l’islam, les menaces de mort qui pleuvent dès qu’on ose critiquer l’islam ou le Coran, tout cela conforte l’idée que l’islam est bien générateur d’intolérance.

A cela les musulmans opposent deux arguments : le premier est que l’Eglise chrétienne n’a pas à donner de leçon en raison de son passé. Le deuxième est que c’est faire un amalgame que d’attribuer à l’islam en général les actes des islamistes qui ne représentent pas l’ensemble des musulmans. Le premier argument est juste, en effet, si on considère l’histoire.

Mais en fait, il ne résout rien, car historiquement, toutes les civilisations sont parties de la barbarie. C’est un des mérites des religions d’avoir contribué à en sortir, mais il a fallu plusieurs siècles. Or, justement, la chrétienté en est sortie, parce qu’elle a rejeté le dogmatisme pour remettre l’Eglise à sa place en la séparant de l’Etat. Ce n’est donc pas dans les temps historiquement barbares qu’il faut faire des comparaisons, mais dans notre monde d’aujourd’hui, où toutes les idées sont accessibles à tous, mais où la barbarie n’a pas disparu. Le deuxième argument voudrait désolidariser l’ensemble des musulmans des excès, évidents, des fondamentalistes. Là encore, on ne peut qu’être d’accord : tous les musulmans ne sont pas des extrémistes, loin s’en faut, et il n’est pas une religion ni une idéologie qui n’ait ses extrémistes !

Rien n’est plus stupide que de faire de tous les musulmans des poseurs de bombe. Mais ce n’est pas des hommes qu’il s’agit, c’est de l’islam, c’est-à-dire de l’idéologie dans laquelle ils sont moulés. Le résultat dépend du terrain sur lequel est semé le grain. Tous les musulmans ne sont pas islamistes, mais tous les islamistes sont musulmans ! Et le fait est qu’il y en a beaucoup. L’illusion qui a fait croire qu’il suffisait que les musulmans soient bien insérés dans notre société pour éliminer l’islamisme a perdu toute crédibilité : tous les humains ont des enfants qui passent par des crises d’adolescence. Les uns s’inscrivent au Parti communiste ou à une cause humanitaire, les autres entrent dans les ordres ou dans une secte, et les jeunes musulmans sont tentés par le radicalisme. La dispersion statistique est une loi des populations. L’islamisme est indissociable de l’islam car ce n’est qu’une variante nécessaire de sa diversité statistique. On ne peut donc assimiler les musulmans à l’islam ni la critique de l’islam à celle des musulmans : les musulmans sont des hommes comme les autres. Il y a des bons et des méchants.

Mais l’islam est une religion qui génère une culture. Cette culture ne s’est pas avérée efficace pour moderniser les Etats qui s’en réclament, ni pour exorciser la violence de la barbarie. Et c’est là un fait ! J’entends déjà les protestations outrées assurant que l’islam est une religion de paix et que les extrémistes n’y ont rien compris. Je veux bien admettre que certains aient raison et pas d’autres, mais lesquels ? Ceux qui interprètent le texte au pied de la lettre, ou ceux qui l’interprètent différemment ? Pour moi, qui suis athée, ont raison ceux qui renoncent totalement à tous ces dogmatismes d’un autre âge, mais ce n’est que mon opinion. Dans les faits, il y a les deux, et une fois encore, c’est statistiquement inévitable. On ne peut juger que sur ce qu’on observe, et non pas sur les théories ou sur les paroles.

Ce qu’on observe, c’est que bien que les musulmans ne représentent qu’environ 20% de la population du globe ; ils sont impliqués dans la majorité des conflits.

Et les études irréfutables à ce sujet abondent. Samuel Huntington en a recensé quelques-unes dans son livre maintenant célèbre, Le choc des civilisations : trois fois plus de guerres intercivilisationnelles impliquant des musulmans que de conflits n’en impliquant pas. De même, les conflits internes à l’islam sont plus nombreux que les conflits internes aux autres civilisations, y compris les conflits tribaux en Afrique. Ainsi en 1992, sur douze conflits intercivilisationnels faisant plus de mille victimes par an, neuf impliquaient des musulmans. Pendant les années 1993-1994, sur 20 confllits, 15 impliquaient des musulmans. Et ces conflits faisaient aussi un plus grand nombre de victimes en moyenne. Ce sont là des faits, pas des discours. Ensuite, on peut bien en chercher des causes, des explications a posteriori, et c’est ce qu’a fait Redeker.

Il y voit l’enseignement du Coran et l’exemple de Mahommet. Ça se discute, on peut être d’accord ou pas avec lui, mais on ne peut occulter les faits. Je note d’ailleurs que Samuel Huntington avait fait le même diagnostic. Il souligne que l’islam est dès l’origine une religion du glaive qui glorifie les valeurs militaires. Que Mahomet était un combattant acharné et un commandant militaire avisé, qualificatif que personne ne songerait à appliquer à Jésus ou à Bouddha. Que le concept de non-violence est absent de la doctrine ainsi que de la pratique musulmane. Enfin, il rapporte l’explication que lui donnait un homme d’Etat musulman en parlant de son propre pays : « l’inassimilabilité » des musulmans. Il y ajoute le statut victimaire dans lequel s’enferment les musulmans et la masse de jeunes entre quinze et trente ans, souvent sans emplois, due à l’explosion démographique des sociétés musulmanes et qui sont une source naturelle d’instabilité. L’étude de Huntington n’a guère été écoutée : avant les attentats de New York, il avançait que le problème de l’Amérique n’était pas tant l’islamisme que l’islam lui-même. Que la religion est le facteur le plus important pour définir une civilisation où des différences sont sources de conflits, plus que l’ethnie, comme on l’a vu au Liban, dans l’ex-Yougoslavie et dans le sous-continent indien.

Nul doute que ces faits-là sont dérangeants pour les tenants français du multiculturalisme. Mais vont-ils taxer pour autant de racisme ce professeur de Harvard, fondateur de la revue Foreign Policy et qui sait bien de quoi il parle !

Robert Redeker a soulevé un débat, et quoi qu’on pense de ses explications, il mérite mieux que des menaces, des apostrophes, des jugements lapidaires ou condescendants. Il a posé une vraie question qui s’impose maintenant avec acuité. Nos intellectuels continuent de juger à partir de leurs dogmes, qu’ils croient universels. Pas plus que les religions, les présupposés philosophiques sur les droits de l’homme ne sont des vérités premières. La science nous apprend que les hommes ne sont pas des électrons libres, mais des êtres sociaux, c’est-à-dire façonnés par une culture qui se trouve le plus souvent émaner d’une religion. Dans tout groupe social on peut trouver des bons et des méchants. Il existe une dispersion statistique obligatoire, et les occidentaux ne sont pas meilleurs que les autres. Le problème c’est que les différences de cultures sont des sources de conflits, toute l’histoire et l’actualité nous le prouve. Il n’est pas un pays comprenant à la fois des communautés musulmanes et chrétiennes qui n’ait eu de conflits intérieurs graves ou de guerre civile : le Liban y est abonné et la guerre du Kosovo a opposé deux cultures de même ethnie.

Quand ils sont minoritaires, les musulmans se disent opprimés et atteints dans leur dignité : c’est ce qu’ils prétendent en France ou en Angleterre, où leurs libertés sont pourtant bien mieux préservées qu’elles ne le seraient dans aucun pays musulman. C’est probablement vrai, ou ça l’a été, dans un certain nombre de cas comme en Tchétchénie, au Cachemire, en Bosnie. Mais que dire quand ils sont majoritaires, comme en Iran, en Irak, en Egypte, en Indonésie, au Soudan ? Là encore les explications contradictoires ne font que révéler un terrible malentendu : • pour les musulmans, ils sont évidemment victimes d’un complot venu de l’Occident, volontiers sioniste, où se reconnaissent l’Amérique et l’Europe. • pour nombre d’observateurs, l’islam est générateur de conflits violents.

Encore une fois, il est inutile de chercher qui a tort et qui a raison. Le seul fait qui vaille est que jamais ces deux cultures n’ont eu de relations paisibles. Quatorze siècle d’histoire nous le prouvent, et l’actualité plus encore. Il suffit de voir les réactions musulmanes à ce qui nous paraît relever de la liberté d’opinion : les caricatures, les propos du pape, la tribune de Robert Redeker. Pour eux, c’est une incitation à la haine. A regarder les reportages sur ces foules hystériques qui se piétinent, qui brûlent les drapeaux danois, qui hurlent leur colère et leur haine de l’Occident, il n’y a pas de doute qu’ils nous haïssent, et que s’ils le pouvaient, ils nous tueraient tous. Ils ont donc raison, nous les incitons à la haine !

Mais nous, nous avons une autre culture : le débat d’idées, la critique, la satire même sont nécessaires au fonctionnement de la démocratie. Justes ou pas, mesurées ou excessives, il faut que toutes les opinions soient exprimées. Critiquer, c’est obligatoirement blesser celui qui est la cible, mais c’est le fondement même de notre société de liberté. Aussi est-il impossible de juger sans prendre un parti pris culturel. Il n’y a pas des bons et des méchants. Chacun a raison dans sa culture, mais voilà, elles sont différentes, et incompatibles !

Ainsi Redeker a bien raison : pétri de bons sentiments, l’Occident s’est engagé dans la voie dangereuse du multiculturalisme. Or, une civilisation est par définition monoculturelle. La culture est le liant d’une société, elle fait son unité et inspire ses lois. Pour satisfaire des cultures différentes il faudrait des lois différentes. On voit bien que c’est impossible ! Il ne faut pas s’étonner alors qu’il s’ensuive des guerres civiles. On peut bien condamner les Milosevic et tous les boucs émissaires. Il se trouve des millions de Milosevic quand la haine de l’autre ne peut plus être réprimée, quand chacun se sent atteint dans ce qu’il a de plus sacré, de plus fondamental, de plus intime, la culture qui l’a vu naître. Plus rien ne compte alors, et on trouve toujours un Milosevic pour le plébisciter !


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